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D. RODRIGUE.

Quatre mots feulement,

Après ne me répons qu'avecque cette épée.

CHIMENE.

Qui! Du fang de mon pere encore toute trempée

Ma Chimene.

D. RODRIGUE.

CHIMENE.

Ote-moi cet objet odieux,

Qui reproche ton crime, & ta vie à mes yeux.
D. RODRIGUE.

Regarde-le plutôt pour exciter ta haine,
Pour croître ta colere, & pour hâter ma peine.

CHIMENE.

Il est teint de mon fang.

D. RODRIGUE.

Plonge-le dans le mien,

Et fais-lui perdre ainfi la teinture du tien.

CHIMENE.

Ah, quelle cruauté, qui tout en un jour tue
Le pere par le fer, la fille par la vûe!
Ote-moi cet objet, je ne le puis fouffrir;
Tu veux que je t'écoute, & tu me fais mourir !

D. RODRIGUE.

Je fais ce que tu veux; mais fans quitter l'envie
De finir par tes mains ma déplorable vie ;
Car enfin, n'attens pas de mon affection
Un lâche repentir d'une bonne action.
L'irréparable effet d'une chaleur trop prompte
Dé honoroit mon pere, & me couvroit de honte;

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Tu fais comme un foufflet touche un homme de cœur,
J'avois part à l'affront, j'en ai cherché l'auteur,
Je l'ai vu, j'ai vengé mon honneur, & mon pere,
Je le ferois encore, fi j'avois à le faire.

Ce n'eft pas qu'en effet contre mon pere & moi
Ma flamme affez long temps n'ait combattu pour toi;
Juge de fon pouvoir. Dans une telle offenfe
J'ai pu déliberer fi j'en prendrois vengeance,
Réduit à te déplaire, ou fouffrir un affront,
J'ai pensé qu'à fon tour mon bras étoit trop prompt,
Je me fuis accufé de trop de violence;

Et ta beauté, fans doute, emportoit la balance,
A moins que d'oppofer à tes plus forts appas
Qu'un homme fans honneur ne te méritoit pas,
Que malgré cette part que j'avois en ton âme,
Qui m'aima généreux, me haïroit infâme,
Qu'écouter ton amour, obéir à fa voix,
C'étoit m'en rendre indigne, & diffamer-ton choix,
Je te le dis encor; &, quoique j'en foupire,
Jufqu'au dernier foupir je veux bien le redire,
Je t'ai fait une offense, & j'ai dû m'y porter,
Pour effacer ma honte, & pour te mériter.
Mais, quitte envers l'honneur, & quitte envers mon
C'eft maintenant à toi que je viens fatisfaire,
C'est pour t'offrir mon fang qu'en ce lieu tu me vois,
J'ai fait ce que j'ai dû, je fais ce que je dois.
Je fais qu'un pere mort t'arme contre mon crime,
Je ne t'ai pas voulu dérober ta victime :
Immole avec courage au fang qu'il a perdu
Celui qui met fa gloire à l'avoir répandu.

CHIMENE.

[pere,

Ah, Rodrigue! Il est vrai, quoique ton ennemie,
Je ne puis te blâmer d'avoir fui l'infamie;
Et de quelque façon qu'éclatent mes douleurs,
Je ne t'accufe point, je pleuré mes malheurs.

Je

Je fais ce que l'honneur, après un tel outrage,
Demandoit à l'ardeur d'un généreux courage;
Tu n'as fait le devoir que d'un homme de bien;
Mais auffi, le faifant, tu m'as appris le mien.'
Ta funefte valeur m'inftruit par ta victoire,
Elle a vengé ton pere, & foutenu ta gloire,
Même foin me regarde, & j'ai, pour m'affliger,
Ma gloire à foutenir, & mon pere à venger.
Hélas! Ton intérêt ici me défefpere;

Si quelqu'autre malheur m'avoit ravi mon pere,
Mon âme auroit trouvé dans le bien de te voir
L'unique allégement qu'elle eût pû recevoir;
Et contre ma douleur j'aurois fenti des charmes,
Quand une main fi chere eût effuyé mes larmes.
Mais il me faut te perdre après l'avoir perdu,
Cet effort fur ma flamme à mon honneur est dû;
Et cet affreux devoir dont l'ordre m'affaffine,
Me force à travailler moi-même à ta ruine.
Car enfin, n'attens pas de mon affection
De lâches fentimens pour ta punition:

De quoi qu'en ta faveur notre amour m'entretienne,
Ma générofité doit répondre à la tienne ;
Tu t'es, en m'offenfant, montré digne de moi,
Je me dois par ta mort montrer digne de toi.

D. RODRIGUE.

Ne differe donc plus ce que l'honneur t'ordonne,
Il demande ma tête, & je te l'abandonne,
Fais-en un facrifice à ce noble intérêt,

Le coup m'en fera doux auffi bien que l'arrêt.
Attendre après mon crime une lente juftice,
C'eft reculer ta gloire autant que mon fupplice;
Je mourrai trop heureux, mourant d'un coup fi beau
CHIMENE.

Va, je fuis ta partie, & non pas ton bourreau.

Si tu m'offres ta tête, eft-ce à moi de la prendre?
Je la dois attaquer, mais tu dois la défendre,
C'est d'un autre que toi qu'il me faut l'obtenir;
Et je dois te pour:uivre, & non pas te punir.

D. RODRIGUE.

De quoi qu'en ma faveur notre amour t'entretienne,
Ta générofité doit répondre à la mienne;

Et pour venger un pere einprunter d'autres bras,
Ma Chimene, crois-moi, c'eft n'y répondre pas.
Ma main feule du mien a fù venger l'offenfe;
Ta main feule du tien doit prendre la vengeance.

CHIMENE.

Cruel, à quel propos fur ce point t'obstiner?
Tu t'es vengé fans aide, & tu m'en veux donner?
Je fuivrai ton exemple; & j'ai trop de courage
Pour fouffrir qu'avec toi ma gloire fe partage.
Mon pere & mon honneur ne veulent rien devoir
Aux traits de ton amour, ni de ton désespoir.

D. RODRIGUE.

Rigoureux point d'honneur! Hélas! Quoique je faffe,
Ne pourrai-je à la fin obtenir cette grace?
Au nom d'un pere mort, ou de notre amitié,
Punis-moi par vengeance, ou du moins par pitié;
Ton malheureux amant aura bien moins de peine
A mourir par ta main, qu'à vivre avec ta haine.

CHIMENE.

Va, je ne te hais point.

D. RODRIGUE.

Tu le dois.

CHIMENE.

Je ne puis.

D. RODRIGUE.

D. RODRIGUE.

Crains-tu fi peu le blâme, & fi peu les faux bruits?
Quand on faura mon crime & que ta flamme dure,
Que ne publieront point l'envie & l'impofture?
Force-les au filence; &, fans plus difcourir,
Sauve ta renommée en me faifant mourir.

CHIMENE.

Elle éclate bien mieux en te laiffant la vie ;
Et je veux que la voix de la plus noire envie
Eleve au ciel ma gloire, & plaigne mes ennuis,
Sachant que je t'adore, & que je te pourfuis.
Va-t-en; ne montre plus à ma douleur extrême
Ce qu'il faut que je perde, encore que je l'aime:
Dans l'ombre de la nuit cache bien ton départ.
Si l'on te voit fortir, mon honneur court hazard,
La feule occafion qu'aura la médifance,

C'eft de favoir qu'ici j'ai souffert ta présence ;
Ne lui donne point lieu d'attaquer ma vertu.
D. RODRIGUE.

Que je meure.

CHIMENE.

Va-t-en.

D. RODRIGUE.

A quoi te réfous-tu

CHIMENE.

Malgré des feux fi beaux qui troublent ma colere,
Je ferai mon poffible à bien venger mon pere;
Mais, malgré la rigueur d'un fi cruel devoir,
Mon unique fouhait est de ne rien pouvoir.

D. RODRIGUE.

O miracle d'amour!

Син

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