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L

ROCHEFOUCAULT.

REFLEXIONS MORALES.

TAYLOR

'AMOUR propre eft le plus grand de tous
les flateurs.

Quelque découverte que l'on ait faite dans le pays de l'amour propre, il y reste encore bien des terres inconnues.

La paffion fait souvent un fou du plus habilè homme; & rend fouvent les plus fots habiles.

Les paffions en engendrent fouvent qui leur font contraires. L'avarice produit quelquefois la prodigalité, & la prodigalité l'avarice: on eft fouvent ferme par foibleffe, & audacieux par timidité.

Notre amour propre fouffre plus impatiemment la condamnation de nos goûts, que de nos opinions.

Nous avons tous affez de force pour supporter les maux d'autrui. La philofophie triomphe aisément des maux paffés, & des maux à venir: Mais les maux préfens triomphent d'elle.

Il faut de plus grandes vertus pour foutenir la bonne fortune que la mauvaise.

On fait fouvent vanité des paffions même les plus criminelles: mais l'envie eft une paffion timide & honteufe que l'on n'ofe jamais avouer. A

La

La jaloufie eft, en quelque maniere, juste & rais fonnable, puifqu'elle ne tend qu'à conferver un bien; au lieu que l'envie eft une fureur qui ne peut fouffrir le bien des autres.

Nous avons plus de force que de volonté : & c'eft fouvent pour nous excufer à nous-mêmes, que nous imaginons que les chofes font impoffibles. Si nous n'avions point de défauts, nous ne prendrions pas tant de plaifir à en remarquer dans les autres. Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.

Il femble que la nature, qui a fi fagement difpofé les organes de notre corps pour nous rendre heureux, nous ait auffi donné l'orgueil pour nous épargner la douleur de connoître nos imperfections.

Ceux qui s'appliquent trop aux petites chofes, deviennent ordinairement incapables des grandes. L'intérêt parle toutes fortes de langues, & joue toutes fortes de perfonnages, même celui de défin

tereffe.

Pour s'établir dans le monde, on fait tout ce que l'on peut pour y paroître établi.

Notre humeur met le prix à tout ce qui nous vient de la fortune.

Ceux qui croient avoir du mérite, fe font un honneur d'être malheureux, pour perfuader aux autres & à eux-mêmes qu'ils font dignes d'être en bûte à la fortune.

Rien ne doit tant diminuer la fatisfaction que nous avons de nous-mêmes, que de voir que nous défapprouvons dans un tems ce que nous approuvions dans un autre.

Il n'y a point d'accidens fi malheureux dont les habiles gens ne tirent quelque avantage; ni de fi heureux que les imprudens ne puiffent tourner à leur préjudice.

Le

Le bonheur & le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune. La bonne grace eft au corps ce que le bon fens eft à l'efprit.

Le filence eft le parti le plus fûr pour celui qui fe défie de foi-même.

Ce qui nous rend fi changeans dans nos amitiés, c'est qu'il eft difficile de connoître les qualités de l'ame, & facile de connoîtres celles de l'efprit..

Il est plus honteux de fe défier de fes amis, que d'en être trompé.

Tout le monde fe plaint de fa mémoire, & perfonne ne se plaint de fon jugement.

Détromper un homme préoccupé de fon mérite, c'est lui rendre un auffi mauvais, office, que celui que l'on rendit à ce fou d'Athenes, qui croyoit que tous les vaiffeaux qui arrivoient dans le port étoient

à lui.

Les grands noms abaiffent au lieu d'élever ceux qui ne les favent pas foutenir.

Chacun dit du bien de fon coeur, & perfonne n'en ofe dire de fon efprit.

Les hommes & les affaires ont leur point de perfpective. Il y en a qu'il faut voir de près pour en bien juger; & d'autres dont on ne juge jamais f bien, que quand on en eft éloigné.

On ne donne rien fi libéralement que fes confeils.

On ne fe peut confoler d'être trompé par fes ennemis, & trahi par fes amis; & l'on eft fouvent fatisfait de l'être par foi-même.

Il eft auffi facile de fe tromper foi-même, fans s'en appercevoir, qu'il eft difficile de tromper les autres fans qu'ils s'en apperçoivent.

La plus fubtile de toutes les fineffes eft de favoir bien feindre de tomber dans les pieges qu'on nous

A 2

tend

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