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ont en Christ, cette conversion dépendait encore d'une cause hors de la puissance du Rabbin?.. Il fallait que le Rabbin méritât la grace de devenir chrétien; et il ne pouvait mériter cette grace sans être chrétien. Quelle absurdité?

Je vous ai démontré, poursuivit le vieillard, que Socrate et le Rabbin peuvent être sauvés, quoique le premier n'ait point connu la révélation'; quoique le second ait refusé constamment d'ajouter foi à sa partie la plus essentielle, c'est-à-dire, à la venue du Messie, à l'établissement de la loi nouvelle sur les débris de l'ancienne. Il ne me reste donc plus qu'à vous faire voir qu'un homme, après avoir cru longtemps à tout ce qui est révélé, tant dans l'Ancien que dans le Nouveau Testament, peut être également sauvé, en n'y croyant pas du tout.

Comme c'est le cas où je me trouve, je m'y prendrai d'un peu loin; et ma conclusion sera que quand la vérité de la révélation serait aussi certaine que l'existence du soleil, sa croyance n'en serait pas plus nécessaire. La vérité d'une chose n'est pas toujours la mesure de son évidence par rapport à chacun de nous; mais celle-ci est la mesure de la croyance que chacun de nous doit à une telle chose.

Comme c'est assez parler pour une fois, nous remettrons la partie à demain.

Lorsque je fus rentré dans ma chambre, je ne sus que penser de ce vieillard. Cet homme dis-je

en moi-même, m'a témoigné d'abord la meilleure volonté du monde à m'apprendre à gagner du pain; voilà qui est bien, du côté du corps : il me paraît qu'il voudrait me plonger dans le trouble et l'embarras du côté de l'esprit. Ce qu'il vient de me débiter n'est qu'un tas de paradoxes révoltants, qui certainement n'attireraient point de louanges à leur auteur, s'il s'avisait de les répandre dans le public; et si c'est là sa vraie manière de penser, il n'est rien moins qu'aussi tranquille dans son intérieur qu'il le paraît au-dehors. Je me suis laissé aller, je ne sais par quelle faiblesse, aux illusions de la philosophie du Compère; et je sais combien de fois la voix de la religion s'est fait entendre au fond de mon ame, et y a porté les remords et l'effroi. Le Compère même, tout infatué qu'il était de ses principes, ne fut point exempt d'entendre cette voix : s'il vivait encore, et qu'il voulût dire la vérité, il ne me démentirait pas. Que l'on dise si l'on veut, que les préjugés de l'enfance ne s'effacent jamais; que ce sont des tyrans qui nous font sentir leur pouvoir jusqu'à la mort : il ne m'en semblera pas moins qu'il n'y a que la vérité qui réclame ses droits avec autant de force et de constance, que je l'ai éprouvé. En un mot, j'ai senti que tout homme qui avait une fois été chrétien, ne pouvait impunément cesser de l'être. Je veux donc le redevenir en dépit de tout; non pas toutefois de la manière dont tels ou tels le sont; mais d'une manière raisonnable, et telle qu'il

plaira à Dieu de me la montrer. Et quoi que le vieillard me dise demain, je sais à quoi m'en tenir. L'expérience du passé est le bouclier dont je veux couvrir dorénavant ma faible raison contre les attaques de l'erreur.

CHAPITRE VII.

Suite du discours du Vieillard.

Le lendemain, je retournai chez mon voisin. Après avoir parlé quelque temps de choses indifférentes, il revint sur la matière dont il m'avait parlé la veille, et me dit:

Je vous ai conté que les malheurs de ma vie m'avaient fait prendre la résolution de renoncer, autant qu'il me serait possible, à tout ce qui pouvait m'attacher à la société, soit par état ou par opinion. Il me fut très-aisé de remplir le premier point; quant au second, j'y rencontrai de plus grandes difficultés: il ne s'agissait pas moins que d'acquérir assez de connaissances, assez de forces sur moi-même, pour me défaire de mes préjugés, surtout de ceux qui regardaient la religion où j'ai été élevé.

Je commençai d'abord par examiner les points les plus épineux de cette religion; tels que la doctrine du péché originel, de la présence réelle, de la transubstantiation, etc.; je lus et relus la Bible entière, ainsi que les plus fameux auteurs qui traitent de ces matières; et je rejetai généralement tout ce qui s'appelle mystère, tout ce qui choque la droite raison et l'équité.

Voici comme je raisonnai sur l'article du péché originel :

« Si Dieu est juste, bon, miséricordieux; s'il pardonne, à ceux qui implorent sa miséricorde, les péchés qu'ils ont commis librement, peut-il imputer un péché qu'on ne peut éviter, et auquel l'on n'a aucune part? Les enfants ne reçoivent de leurs pères que le corps; c'est dans l'ame que réside le péché ; et l'ame sort pure et innocente des mains du créateur. D'ailleurs, quand il serait vrai que l'ame deviendrait souillée par son union avec le corps que nous recevons de nos pères, cette souillure ou cette corruption ne serait pas moins un péché, puisque la corruption du corps et l'union de l'ame au corps seraient produites par des causes indépendantes de et qui ont précédé notre existence. Un enfant qui naît aujourd'hui, peut-il avoir consenti à un péché commis il y a plus de six mille ans? A-t-il pu réclamer contre la prévarication d'Adam ? C'est une absurdité énorme que de faire une telle supposition.

nous,

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Que l'on ne me dise pas que le péché d'Adam causa, dans ses facultés, un désordre qui se communiqua à ses enfants, et qui se transmit à tous les hommes, par la voie de la génération; ce qui fait qu'aucun homme ne vient au monde sans avoir l'esprit environné de ténèbres, la volonté déréglée, en un mot, toutes les inclinations au mal (1). Que l'on

(1) PLUQUET, Dict. des Hérés.

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