D'un autre côté, si en rejetant ou adoptant ce qu'il vous plaira de la doctrine de tous ces gens-là, et en y ajoutant de vous-même ce que vous jugerez à propos, vous vous formez une croyance particulière et différente de leurs formules, vous serez alors un chrétien d'une espèce nouvelle, qui aura eu le don de voir plus clair que tous les autres. Mais je ne crois point que vous vous flattiez de posséder tant de lumières. Mon ami, dis-je au vieillard, je m'aperçois que vous vous jouez de mon ignorance. Je vois clair comme le jour, que ce que vous me débitez-là n'est qu'un tas de sophismes absurdes, par lesquels vous prétendez m'embarrasser. Vous avez parfaitement réussi ; car je ne suis point en état de vous répondre tout ce que j'ai à vous dire est, que je crois que la croyance en la révélation est nécessaire pour être sauvé, ainsi que la pratique de tout ce qu'elle prescrit. Si je n'ai point présentement assez de lumières, assez de forces, pour me conformer exactement à ce dernier point, j'espère que Dieu m'en accordera suffisamment par la suite. : Je loue votre zèle, reprit le vieillard : j'aime à voir les gens dans la disposition de faire le bien, mais ce zèle n'est point aussi éclairé que je le désirerais je voudrais que vous ôtassiez de votre tête que la croyance en la révélation est aussi nécessaire que la pratique des vertus qu'elle prescrit. Il y a eu de tout temps sur la terre des hommes vertueux et sages, qui n'ont de leur vie entendu parler de la révélation. Il en est encore qui en entendent parler tous les jours, qui ne sont ni juifs, ni chrétiens, et qui poussent la pratique de toutes les vertus aussi loin que la révélation le puisse prescrire. La vérité de la révélation serait mille fois plus certaine, que ni la nécessité de sa connaissance, ni la nécessité de sa croyance ne le seraient pas; elles ne le peuvent être. Comme la preuve de ce que je viens d'avancer pourra vous faire plaisir, je vous prie de prêter l'oreille à ce que je vais vous dire. CHAPITRE VI. Discours du Vieillard sur la nécessité de la croyance en la révélation. << UN homme qu'on nommait Christ, est, dit-on, << venu sur la terre : il s'est dit envoyé de Dieu. Cet « homme a confirmé l'authenticité de sa mission, «en annonçant des vérités sublimes, en prêchant « la morale la plus pure, en menant une vie sainte <«<et édifiante, en guérissant les malades, en res<< suscitant les morts, en ressuscitant lui-même << trois jours après sa mort: des hommes qui avaient « des yeux, des oreilles, du bon sens, le cœur droit, « ont été témoins de ces choses; ils en ont trans«mis l'histoire: le christianisme existe. » Voilà le fondement de la vérité de la révélation. La vérité de la révélation est donc la preuve de son utilité ; mais son utilité n'est pas plus la preuve de sa nécessité, qu'elle ne l'est de sa vérité. La connaissance de la révélation, ·la croyance en icelle, ne sont donc point nécessaires. Le fait prouve le contraire; et le fait en ce cas est l'expres sion de la volonté de Dieu. Je ne m'attache pour le moment qu'à ce qui re garde la nécessité de la connaissance de la révélation; je parlerai ensuite de la nécessité de sa croyance. Ou Dieu a voulu que tous les hommes connussent la révélation, et il n'a pu faire que cela fût; ou il l'a pu, et il ne l'a pas voulu ; ou il l'a voulu, et il l'a pu. Si Dieu a voulu que tous les hommes connussent la révélation, et qu'il ne l'ait pu faire, c'est marque d'impuissance; mais Dieu est tout-puissant. Si Dieu a pu faire que tous les hommes connussent la révélation, et qu'il ne l'ait pas voulu, c'est marque de méchanceté ou de caprice; mais Dieu n'est ni méchant, ni capricieux. Si Dieu a voulu et a pu faire que tous les hommes connussent la révélation, pourquoi ne l'a-t-il pas fait? pourquoi tous les hommes ne la connaissentils pas? La révélation n'est donc qu'utile pour conduire les hommes à un certain degré de perfection; mais il est encore une infinité d'autres degrés de perfection, qui plaisent à Dieu. Pourquoi? Parce que le système général renferme cette diversité de perfections; parce que Dieu n'a point voulu que les hommes fussent des anges, ni tous les animaux des hommes, ni les plantes des animaux : la nature des choses voulait de la diversité, de la variété, des gradations, aussi bien dans le moral que dans le physique; et Dieu a voulu la nature des choses. Pourquoi, par exemple, Socrate n'a-t-il pas eu connaissance de l'Évangile? Parce qu'il est venu trop tôt au monde. Pourquoi est-il venu trop tôt au monde? Parce que Dieu l'a voulu ainsi. L'ignorance de Socrate est donc un effet dont la volonté de Dieu est la cause. Si la connaissance de la révélation est nécessaire à tous les hommes pour être sauvé, Socrate est donc damné, parce que Dieu a voulu qu'il vînt au monde quatre ou cinq cents ans avant qu'il pût en avoir connaissance. Notre salut dépend donc d'une cause hors de nous. Il y a donc une fatalité. y a donc une prédestination. Il y a donc de l'absurdité en ce que l'homme doit croire ; car la fatalité est la fille aînée de la prédestination, et la prédestination est celle de l'absurdité. II Mais Socrate pouvait avoir connaissance de la religion des juifs.... Cela peut être ; mais le contraire peut être aussi; et si ce contraire a eu lieu envers Socrate, comme envers tant d'autres, voilà Socrate dans le cas que je viens de dire. Mais, me direz-vous, je ne juge personne : les secrets de Dieu me sont impénétrables; je ne veux point dire que Socrate soit damné ou sauvé... Ne dites donc plus que la connaissance de la révélation est nécessaire, car vous vous démentiriez ; mais dites, tout au plus : la connaissance de la révélation est utile, c'est un moyen de plus pour porter les hommes à certain degré de perfection, auquel ils peuvent pourtant atteindre sans elle. Dites encore : nous ne serons point damnés, parce que Dieu l'aura voulu; mais parce que nous l'aurons voulu. |