Page images
PDF
EPUB

sur le carreau, et j'en blesse quinze; rien encore de plus naturel qu'un telle défense............ Mais le gourdin était plombé : c'est une arme traîtresse et meurtrière, qu'il est défendu de porter dans tous les états policés..... Voudrait-on qu'un homme menacé depuis deux jours d'être jeté dans la rivière, ne portât pour toute arme qu'une baguette? Il serait absurde de faire une telle supposition.

Ce que je viens de vous dire, messieurs, est la pure vérité. Tout autre que moi aurait demandé de remettre la défense de sa cause à quelque avocat, dont la rhétorique captieuse imposât et séduisît plutôt qu'elle ne démontrât. Un tel procédé est indigne de moi. Je ne suis point orateur, et je méprise tous ceux qui le sont. J'ai exposé mon cas avec simplicité : cela suffit. Tous les juges intègres devraient se trouver offensés qu'on leur parlât autrement.

Il ne me reste plus qu'à vous dire que j'attends, avec toute la tranquillité possible, la décision de cette affaire. Si elle se termine à mon avantage, tant mieux pour vous; sinon, tant pis. Il s'agit ici de rendre justice, ou de faire une injustice : je suis le patient; vous, les agents; cette affaire vous regarde donc plus particulièrement que moi.

CHAPITRE XXVI.

Suite de l'emprisonnement de Père Jean.

Le lecteur croira sans doute que les juges anglais auront eu l'équité de renvoyer Père Jean, ou du moins, de faire toutes les perquisitions possibles pour justifier son innocence? Point du tout; il fut condamné le lendemain à être pendu à Tyburn.

Quelqu'un dira peut-être que si Père Jean n'avait pas mérité la mort dans cette occasion, il l'avait méritée dans d'autres, et que le ciel ne laisse jamais rien d'impuni. Je répondrai à cela qu'il ne s'agit ici que de cette fois-ci, et non d'autres ; et que le ciel n'a point recours aux injustices des hommes pour punir les coupables. Si j'ai avancé quelque part, que les peines et les récompenses méritées étaient les suites naturelles du crime et de la vertu, cela regarde l'autre vie. Quand à celle-ci, si les maux que nous y souffrons viennent une fois du mal que nous avons fait, ils en viennent au moins quatre du mal que font les autres. Notre destinée tient ici-bas à trop de circonstances, pour que l'on puisse toujours dire avec exactitude, un tel vient d'être fait maréchal de France, parce qu'il le mérite; un tel vient d'être condamné à mort, parce qu'il le mérite aussi.

Quoi qu'il en soit, nous eûmes à peine appris cette déplorable nouvelle, que nous courûmes tous quatre à la prison pour voir le pauvre Père Jean. Nous le trouvâmes à table à côté d'un baril de vin. Palsambleu, mes amis, s'écria-t-il en nous voyant, vous me prenez sur le fait ; Socrate fit sacrifier un coq à Esculape avant de mourir, et moi je sacrifie un dindon à mon appétit. Or çà, mettez-vous là, et faites comme moi. Je m'en vais partir pour la gloire, et vous demeurez; cela revient au même, car tôt ou tard vous en ferez autant. Mon cher oncle, dit le Compère, je n'aurais point cru que c'eût été si tôt, ni d'une manière si funeste.-A te dire la vérité, reprit le Révérend, je n'aurais point cru non plus que c'eût été cette semaine, du moins. Quant à la manière dont je vais mourir, que ce soit de celle-ci, ou d'une autre, cela m'est égal: la forme n'y fait rien; mais la brièveté de l'expédition y fait beaucoup; et je n'en trouve point de plus courte que celle dont je vais faire l'épreuve. Mais la honte....Il n'y a point de honte à mourir, poursuivit Père Jean, il n'y en a qu'à mériter la mort. Il est encore indifférent de mourir en public ou dans son lit; d'avoir dix personnes autour de soi, ou d'en avoir mille. Je suis condamné à souffrir une minute; c'est peu de chose si je suis coupable, et peu de chose encore si je suis innocent. La nature porte tous les jours des sentences bien plus cruelles envers certaines personnes. Les unes, minées d'une consomption funeste, d'une

phthisie brûlante, avalent à longs traits le calice de la mort, qui n'arrive qu'après avoir éprouvé, de mille manières, jusqu'à quel point la patience et les forces humaines peuvent aller. D'autres sont condamnées à souffrir, des années entières, les douleurs d'une goutte opiniâtre, d'un cancer dévorant, et d'expirer ensuite dans des tourments effroyables. Après cela, serait-il raisonnable que je me plaignisse? Ma foi, dit Vitulos, mon confrère a raison. Il meurt innocent, il est vrai; mais il vaut mieux mourir innocent que coupable. D'ailleurs, le genre de mort auquel il est condamné, est le meilleur qu'on puisse choisir. Si ceux qui meurent de cette mort, avaient le sens commun, ils la regarderaient comme un bonheur, plutôt qu'avec horreur. Mais ils sont comme ceux que l'on saigne; la peur leur fait plus de peine que le mal. Pourquoi mourir pendant deux, trois, ou quatre jours, tandis qu'il ne tient qu'à eux de ne mourir qu'un moment? Mais telle est la nature de la plupart des hommes : ils ne souffrent que dans la crainte, et ne jouissent que dans l'espoir. Or çà, asseyons-nous, et buvons un coup à l'heureux voyage de mon cher confrère.

Nous nous assîmes donc, et nous nous mîmes à boire pour faire plaisir au Révérend.

CHAPITRE XXVII.

Suite du même sujet.

LORSQUE nous eûmes bu quelques rasades, le Compère commença par déclamer, à son ordinaire, sur le bien et le mal et contre l'auteur de ce dernier. Si tout était bien, s'écriait-il à tout moment, si le monde était gouverné de la manière dont mon compère Jérôme le prétend, verrait-on en ce jour le plus honnête homme de la terre, traité comme le dernier des scélérats? Grand Dieu, tu connais le cœur de mon cher oncle: si tu es aussi puissant, aussi bon, aussi juste qu'on le dit, ne permets pas que l'innocence soit confondue, et que la méchanceté triomphe (1).

Malgré ces déclamations, le Compère, ainsi que nous, ne laissait pas de boire de temps en temps quelques coups, parce que le Révérendissime Père Jean le voulait ainsi. Mais comme la tristesse échauffe

(1) Mon cher Jupiter, s'écriait Theognis, ta majesté et ton pouvoir sont grands; personne ne connaît mieux que toi le cœur et l'esprit de l'homme; rien n'égale ta puissance, ô souverain arbitre de l'univers ! Comment donc se peut-il faire que tu te plaises à voir l'honnête homme et le méchant jouir du même sort, comme si la vertu et le vice étaient égaux à tes yeux ?

« PreviousContinue »