épouvantail de chenevières, qui fait peur aux idiots; mais l'homme sage jette un coup-d'œil sur le fat et son train ; il l'apprécie à sa valeur, et passe outre. reuse Ne me prendrais-tu pas pour un fat aussi, dit l'Anglais en colère ?... Je te prends pour ce que tu es, repartit Père Jean. Si tu as l'ame noble, généet le cœur d'un honnête homme, je respecte en toi le mérite et la vertu, et ce respect rejaillit sur toi; si tu as de l'orgueil, et le cœur mauvais, je te méprise et je me moque de toi...-De quel pays serais tu, par hasard?...-Je suis de ce monde-ci. La patrie du sage est partout: il ne reconnaît point cette patrie au langage de certaines gens, aux murs d'une telle ville, au clocher d'un tel village, ni à la soupe qu'on y mange; lorsqu'il voit le soleil et les étoiles, il dit : je suis dans mon pays, et non dans un autre. Mais si tu veux savoir où je suis né, je te dirai que c'est en France... Quoi! un Français a l'audace de parler de la sorte à un Anglais ?...-Tout Français raisonnable parlera ainsi à un Anglais impertinent; et tout Anglais qui a le sens commun, ne fera point de Qui jamais ne se lasse, et qui, dans la carrière, différence entre un homme né au-delà de la Manche, et un autre en-deçà. Je ne nie point que les Français ne méritent à certains égards le mépris que les Anglais ont pour eux; mais pour mépriser les autres avec quelque ombre de raison, il faut être soi-même sans défaut : or, les gens de ton pays ont leurs ridicules, leurs faiblesses et leurs vices, ainsi que les autres nations; ils ont donc autant de tort de mépriser les Français, que ceux-ci en ont de les admirer. Sottise de part et d'autre... - Sais-tu, dit le lord, que si j'avais ici mes gens, je te ferais jeter par la fenêtre de ton taudis?.. Ah, Monseigneur ! s'écria Diego, savez-vous que le redoutable Père Jean a tué un capucin avec une cuiller à pot, et un marquis avec un bâton de fagot, et qu'il a mis en fuite six cent et trente-deux sauvages dans les déserts de la Tartarie?... Qu'il ait fait ce qu'il aura voulu, reprit le lord, je le fais jeter dans la Tamise, la première fois qu'il paraîtra dans les rues. En disant ces paroles, le seigneur anglais partit; et Père Jean haussant les épaules, ne prit point la peine de le regarder aller. Dulaurens.-Tome III. 18 CHAPITRE XXII. Réflexions sur l'aventure du Chapitre précédent. CETTE Scène me mit dans une telle transe, que je n'eus point la force de parler pendant qu'elle dura. Vitulos, qui s'était éveillé au bruit que le lord et le Révérend faisaient, fut d'abord si étonné, qu'il ne savait où il était. Mais quand l'Anglais fut parti, je dis à Père Jean qu'il avait eu tort de parler ainsi à un homme de qualité ; que s'il n'avait aucun respect pour sa personne, il devait au moins en avoir pour son rang; et que cette affaire pourrait bien avoir des suites fâcheuses pour lui. Je ne crains ni le lord, ni les suites fâcheuses qu'il pourra me susciter, répondit le Révérend; son début, en parlant à ma personne, a été celui d'un impertinent, et sa conclusion a été celle d'un fanfaron ou d'un assassin, c'est-à-dire, d'un lâche. Si les lois d'un pays comportent que l'on doive respecter les gens de qualité, elles supposent en même temps qu'ils se rendront dignes de respect. - Le tort d'autrui, repris-je, ne nous autorise pas à avoir tort nous-mêmes. Si le lord s'est oublié jusqu'au point de vous parler d'un ton impertinent, vous deviez lui faire sentir, par votre 1 modération, jusqu'à quel point il s'oubliait. Les procédés nobles et généreux d'un manant vis-à-vis d'un gentilhomme qui l'insulte, rappellent à ce dernier son devoir, ou le confondent. La grandeur d'ame ne consiste point à faire assaut d'impertinences et de grossièretés; elle consiste à opposer des raisons à des sottises, ou à se taire lorsqu'on a affaire à des gens déraisonnables. Ces conseils sont bons pour un lâche qui n'a pas le courage de se défendre, repliqua Père Jean. Que l'on honore, si l'on veut, la poltronnerie du beau nom de modération; je méprise un titre acquis à si bon marché. C'est tolérer le vice que souffrir les injures ; une repartie vigoureuse est plus propre à rembarrer un impertinent, qu'une réponse gracieuse : l'une le confond, et l'autre l'enorgueillit. L'homme est tellement constitué que l'indulgence l'endurcit, au lieu que la fermeté le corrige, ou le rend plus circonspect. Si le lord a le sens commun, il réfléchira à l'avenir, avant que d'attaquer un homme comme moi. Au reste, je n'ai lu nulle part que l'on se garantisse des attaques d'une bête féroce par un compliment. -- S'il y a vingt exemples, repris-je, qui prouvent que la fermeté corrige un homme, il y en a cent autres qui démontrent qu'elle l'aigrit. D'ailleurs, il ne faut pas seulement consulter l'intérêt de sa patrie dans ces circonstan ces, mais aussi le sien propre. Si l'homme à qui vous avez affaire allait tenir parole, que diriez-vous? que feriez vous ? — Je dirais, repartit le Révérend, que la crainte de mille morts ne doit jamais nous faire manquer à nous-mêmes (1), et je me défendrais. Toutes les menaces du monde ne m'empêcheront point de sortir à mon ordinaire : Jamais rien ne m'arrête; Je brave la tempête, Si le ciel en éclats (1) Justum, et tenacem propositi virum, Impavidum ferient ruinæ. HoR., lib. II, ode 3. Altus Olympi Vertex, qui spatio ventos hiemesque relinquit, CLAUD., de Mali Theod. Con. |