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s'ils mangent de la chair (1), et s'il leur est permis de jurer en justice (2). Mais le plus rare des talents du bon homme consiste dans la mauvaise foi en ses disputes (3); dans ses emportements, dans les injures, les calomnies même, dont il régale ses ennemis (4).

Saint Augustin est encore un des favoris du baron de Montenoy sur le prêt des femmes (5) ; mais ce n'est pas son opinion sur cet article qui le distingua; c'est pour avoir réduit en théorie ce que Saint Cyrille et autres intolérants avaient mis en pratique avant lui. Tout le monde connaît deux de ses lettres, que l'on a traduites pour justifier la persécution des hérétiques en France (6). Ce n'est point la peine d'en dire

(1) HIER. St., Adv. Jov., tom. I, lib. 1, pag. 30, édit. 1537, Basil. Item, DALL., ubi sup.

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(2) ID., Comment. in Matth., cap. v, et Zach., cap. vш. (3) Le bon Saint se glorifie lui-même de cette honorable qualité. Il avoue, dans son Apol. pro. Lib. advers. Jovin., tome II, édit. Basil., 1537, que lorsqu'il écrivait, ou disputait contre ses adversaires, il s'embarrassait fort peu de dire la vérité ou non, fondé sur ce qu'Origène, Methodius, Eusèbe, Appollinaire et autres, en usaient de même, lorsqu'il s'agissait de prendre la défense de la religion chrétienne contre ses ennemis. Il fait plus, il vante qu'il ne fait qu'imiter J.-C. et Saint Paul, qui soutenaient, ce qu'il prétend, le pour et le contre, selon que cela les accommodait.

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(4) Voyez la dissertation de LE CLERC, de Argumento Theol. ab individua ducto, laquelle est à la suite de sa logique Latine. (5) Voyez le Ier vol., page 123, note 1.

(6) BAYLE, Comment. Philosoph., part. m, critica, vòl. III, pag. 289 et 290, in-4o.

LE CLERC, Ars

davantage sur ce docteur; cela seul fait son portrait.

Ce que je viens de dire, mon cher Diego, suffit pour te prouver quels hommes étaient ces Pères, ces docteurs de l'Église, que tu vantes tant. S'il suffit d'être ignorant, visionnaire, brouillon, tracassier, orgueilleux, perturbateur, intolérant ou traître, pour mériter le titre de lumière du monde, tous ces Messieurs réunirent au suprême degré ces belles qualités entre eux : la morale, les dogmes, les mystères de la religion ne pouvaient passer par de meilleures mains pour être transmis à la postérité; et je ne m'étonne plus que leurs ouvrages aient été la source où les théologiens des siècles postérieurs puisèrent leurs arguments pour appuyer leurs opinions.

Quant à ton Emmanuel Sa, Suarès et leurs semblables, tu me permettras de te dire qu'ils ne méritent pas que je te réponde sur leur article.

Bienheureux Saint Polycarpe ! s'écria Diego, mon ancien camarade, mon intime, mon ami Jérôme est devenu hérétique! Il rejette l'infaillibilité des SS. Pères; il se moque de Saint Suarès et de ses compagnons, il ne lui manque plus que de se moquer de notre Saint-Père le pape. O mon ami! mon cher ami! je ne m'étonne pas que la Sainte Hermandad vous ait voulu brûler. Plût à Dieu qu'elle l'eût fait ; je n'aurais point aujourd'hui le déplaisir de voir le meilleur ami que j'aie sur la terre, marcher à grands

pas dans le chemin de la perdition; chemin trompeur et funeste, qui a mené Martin Luther et Jean Calvin en enfer... dans le fin fond de l'enfer !.. Ah, mon cher Jérôme ! renoncez aux opinions détestables où vous-êtes. Ouvrez les yeux : lisez le huitième chapitre de la Cayeda del Ciego de Caramuel d'Orviedo; lisez la Rienda del Asno de Gusman de Badajox ; ou, si vous ne savez point l'Espagnol, lisez les OEuvres du R. P. en Dieu, Dom Vincent Ceillier, religieux bénédictin de la congrégation de St. Maur, et Français comme vous vous verrez les erreurs monstrueuses où vous êtes sur l'article des Pères de l'Église; et puis un peu de réflexion sur vous-même, vous fera désabuser sur le compte de ces dignes enfants du glorieux Saint Ignace, que vous vilipendez si injustement.

Vous avez fait un pas vers le précipice; demain vous en ferez dix autres; et après demain cent autres; en augmentant ainsi de vitesse à l'infini, vous vous trouverez sur le bord de l'abîme, vous y culbuterez, et les prières de tous les Saints du Calendrier ne pourront vous en retirer. La route que Vous prenez est une pente rapide et glissante, que l'on a d'autant plus de peine à abandonner, que l'on est éloigné du point où l'on y a fait le premier pas. Rétrogradez donc, mon cher Jérôme, il en est encore temps: et prenez garde, surtout, de répandre vos opinions dans ce pays, où il n'y a sorte d'absurdités qui ne prenne cours, quand la fureur épidémique

de dogmatiser s'y allume. Le dernier siècle y a vu naître plus de cent quatre-vingts sortes d'hérésies en moins de six ans (1); l'on en verrait naître aujourd'hui cent quatre-vingts fois autant, si cette manie reparaissait. Dom Lopès de Cagliara dit que l'indiffé rence où sont actuellement les Anglais pour toutes sortes de religion, est une marque qu'ils ne sont point éloignés de rentrer dans le sein de notre Mère

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(1)« Quoniam hactenus in genere actum fuit de magno hæresium in Anglia. incremento, dit Horenius, et summa quoque turbonum Ecclesiæ orthodoxæ genera aperta: ideo nunc particularius cuncta errorum monstra in lucem protrahenda sunt. Facile enim concesserim, quod multi dicunt, Angliam receptaculum infamis ejusmodi credendi, scribendi, docendi licentiæ factum; sed illud non ignorandum est, longe majora pietatis incrementa fuisse ; et non habere omnes sectas, hæreses, schismata, quod uni illi summis viribus opponere queant.

« Catalogus hic erit ingens, immanis et incredibilis. Cæterum haud quamquam dubitandum est, quin ejusmodi apud Anglos venditata sint, et hoc communis totius regni experientia testatur. Habebis conflugem horribilium effatorum. Et hoc quoque statuendum erit, non ullam esse sectam, quæ omnia hæc profiteri ausit. Quædam Enthusiastas, alia Scepticos, Antinomos, Arianos, Anabaptistas respiciunt.

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« Hæc igitur opiniones sunt, quæ ab anno c110CXL maxime tamen XLV, XLVI, XLVII, et sequentibus, in Anglia prævaluc

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« Après ce préambule, qui se trouve à la page 290 de son Histoire Ecclésiastique, l'auteur fait l'énumération de toutes ces hérésies, qui le mènent jusqu'à la page 328, et que son traducteur Français a trouvé à propos de retrancher.

la Sainte Église; mais je dis, moi, que c'est une marque aussi qu'ils sont très-disposés à saisir toutes les opinions nouvelles et dangereuses qu'on leur débiterait. L'esprit vide d'opinions est une cire molle, susceptible de toutes sortes d'impressions ; c'est une table rase qui n'attend que les caractères que l'on voudra y graver.

Partez donc au plus tôt, mon cher, tant pour votre bien, que pour celui des autres. Prenez la poste de Douvres, embarquez-vous pour Calais, passez par Paris, par Lyon, par Turin, par Florence, arrivez à Rome, jetez-vous aux pieds du Saint-Père, faites abjuration de vos erreurs, demandez-lui l'absolution de vos fautes, et revenez ici faire la pénitence qu'il vous aura enjointe....

Mais que vois-je ? mon camarade Jérôme rit de mes remontrances... ô aveuglement terrible!... obstination abominable!... ô mon cher ami Jérôme ! que de maux vont fondre sur ta tête!.. l'esprit prophétique me saisit... je les vois... le ciel et la terre sont conjurés contre toi... malheureux! viens à résipiscence, ou tu es perdu. Tout ce qui respire te déclare la guerre... Les lions vont t'engloutir comme Milon Crotoniate; les tigres vont te déchirer comme Abul-Méhédin; les loups vont t'avaler comme Hasan de Schiras, les ours vont te dévorer comme les polissons de Bethel, les crocodiles vont te happer comme Hugo de Preneste; les serpents vont t'étrangler comme Camille d'Orviette; les vers vont te

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