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CHAPITRE XVII.

Continuation du même sujet.

Nous crûmes d'abord que le Compère allait répondre en détail à tout ce que nous venions de lui débiter; mais il se contenta de nous dire que nous étions des ignorants, et qu'il persisterait dans ses opinions, jusqu'à ce qu'on lui eût démontré le contraire, par des raisons incontestables, et non par un tas de lieux communs qui ne convenaient que dans la bouche des pédants, et non à des gens qui faisaient profession d'être philosophes.

J'aimais mon Compère; mais son propos me piqua: je ne pus m'empêcher de répliquer qu'il n'y avait point tant de pédantisme qu'il se l'imaginait, dans ce qu'on venait de lui dire : que je lui accordais très-volontiers que les hommes en général étaient des méchants, des scélérats; mais que je n'avouerais jamais que l'univers fût mal gouverné.

Il est vrai, continuai-je, que les efforts que j'ai faits jusqu'aujourd'hui pour accorder l'existence du mal avec la toute-puissance, la sagesse et la bonté de l'Être qui gouverne l'univers, ont été vains ; mais cela a dépendu de mon peu de lumières, ou plutôt de ce que je m'y suis mal pris; car les plus impor

tantes découvertes n'ont pas toujours été faites par les plus savants....

Je te défierai bien de faire celle-ci, interrompit le Compère. Cela se peut, repris-je... mais il me vient une idée.... si mon cher Compère voulait me donner vingt-quatre heures pour penser là-dessus, je lui démontrerais peut-être que son défi n'est pas si fondé qu'il le croit.

Le Compère m'accorda, par pitié, les vingt-quatre heures que je lui demandais, et personne au monde ne fut plus étonné que Père Jean et Vitulos, lorsqu'ils me virent accepter ce défi.

Dulaurens.—Tome III.

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CHAPITRE XVIII.

Continuation du même sujet.

J'EMPLOYAI Ces vingt-quatre heures à éclaircir l'idée qui m'était venue sur le sujet de notre dispute; et lorsque le moment de la conférence fut arrivé, je parlai en ces termes :

Il me semble, mes chers amis, que si l'on venait à bout de définir la nature de la liberté de Dieu, ainsi que la nature de la liberté de l'homme, l'on pourrait rendre raison de l'origine du mal qui existe dans l'univers, tant dans le physique que dans le moral.

C'est ce que je vais essayer de faire.

La liberté de Dieu ne peut consister dans ce que les théologiens appellent indifférence de contradiction; c'est-à-dire, dans le pouvoir d'agir ou de ne pas agir : une telle liberté supposerait en Dieu ou de l'ignorance, ou de l'irrésolution, ou le pouvoir de choisir deux moyens différents dans l'exécution d'une chose, ou celui de se déterminer indifféremment pour l'une ou l'autre de deux choses opposées. La ⚫ liberté de Dieu consiste donc en ce qu'il fait ce qu'il lui plaît; or il n'y a jamais dans ce qu'il fait que le meilleur qui lui plaît.

Que l'on ne dise pas que si Dieu se détermine nécessairement, il n'est pas libre; car je demanderais si un être infiniment puissant n'est pas infiniment indépendant: que l'on ne dise pas non plus qu'un être infiniment puissant a la liberté de choisir plusieurs moyens dans l'exercice de sa puissance, ou de faire une chose, ou de ne la pas faire; car je répliquerais qu'un être infiniment bon, infiniment sage, se détermine nécessairement pour le meilleur moyen dans l'exécution de ce qu'il doit faire; et que lorsqu'une chose n'existe point, il se détermine nécessairement à produire cette chose, s'il est meilleur qu'elle existe, ou à la laisser dans le néant, s'il est meilleur qu'elle n'existe pas.

Poursuivons.

Lorsque l'univers était encore dans le néant, l'univers n'avait rien en soi qui déterminât Dieu d'une manière absolue à lui donner l'existence. Il faut done considérer le pouvoir dont il s'agit ici, du côté de l'agent, et non du côté de l'objet.

Dieu a résolu, de toute éternité, de créer le monde tel qu'il est : les décrets de Dieu sont invariables : donc Dieu n'avait pas le pouvoir de ne pas créer le monde et cependant on ne peut nier qu'il ne fût parfaitement libre en le créant : par conséquent, l'indifférence de contradiction n'est point de l'essence de la liberté.

Que l'on ne dise pas que Dieu ayant été libre de faire ou de ne pas faire ce décret, il s'ensuit qu'il

pouvait fort bien se dispenser de créer le monde, qui est l'effet de ce décret. Car si l'on ne peut supposer un instant qui ait précédé ce décret, on ne peut supposer un instant où Dieu ait eu le pouvoir en question, l'existence de ce décret anéantissant nécessairement ce pouvoir dans un être immuable : or, la supposition d'un instant préexistant détruirait l'éternité du décret, l'immutabilité de Dieu, et par conséquent Dieu lui-même.

Faisant abstraction du décret, par lequel Dieu s'est déterminé à créer le monde, ce pouvoir de le créer, ou de ne le pas créer, n'a pu se trouver en lui. Un tel pouvoir, considéré du côté de l'agent, est toujours l'effet de son ignorance, imperfection qui ne peut se trouver que dans la créature. Si Jean a le pouvoir de faire ou de ne pas faire telle action, c'est qu'il ignore ce qui lui est plus avantageux dans cette occasion, d'agir ou de ne pas agir. Que l'ignorance de Jean se dissipe, le parti qu'il découvrira être le plus à son avantage, sera celui qu'il suivra infailliblement, sans conserver le moindre pouvoir réel pour son opposé. Combien, à plus forte raison, Dieu, dont les connaissances sont sans bornes, suivra-t-il toujours infailliblement dans ses productions la règle que lui prescrivent ses perfections infinies.

La liberté de Dieu cesserait d'être infiniment parfaite, si, pour agir, il devait examiner les objets de son action, choisir celui qui lui plaît le plus, sans qu'aucun motif le déterminât nécessairement à ce

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