Page images
PDF
EPUB

et mères à soixante ans ; les Massagètes assommer leurs parents devenus vieux, et les manger ensuite; les Hyrcaniens les exposer, tout en vie, pour être dévorés des chiens et des oiseaux (1); chez les Grecs et les Romains, la pédérastie tolérée, et l'infidélité des femmes punie; chez les modernes de l'Europe, enfin, quel contraste! quelle variété ! que de contradictions, dans les coutumes, les mœurs et les opinions! Je n'en rapporte rien; car j'en aurais trop à dire.

Ne m'allez pas non plus citer Grotius, qui dit que puisque l'homme est un animal doué de raison, et fait pour vivre en société, la moralité de ses actions provient de leur convenance ou disconvenance avec une nature raisonnable et sociable (2); car je vous enverrais demander à Grotius, où il a appris que l'homme est fait pour la société, ou plutôt pour cet état de contrainte et d'esclavage, où l'inégalité des fortunes et des conditions, le progrès des connaissances, la contrariété des opinions, le joug de la religion, l'autorité des lois, ont rendu cet homme malheureux, tandis qu'il était fait pour être libre, indépendant, égal à ses semblables; pour n'avoir que des idées propres à cet état de nature, ses besoins, en un mot, pour être aussi heureux que les autres animaux.... Qu'en dis-tu, mon neveu?

(1) EUSEB., -Ibid., lib. 1, pag. 9.

(2) Droit de la Guerre, etc., lib. 1, chap. 1. § 10.

à

[ocr errors]

Je dis, répondit le Compère, que mon cher oncle raisonne comme un ange. Aussi est-ce à

[ocr errors]

l'école de mon cher neveu, que j'ai appris toutes ces choses..... Or çà, l'homme de l'autre monde, continue-nous le récit de tes visions. Mon très-révérend Père, dit Diego, ce ne sont point des visions que je vous ai contées, c'est bien la pure vérité. Visions ou non visions, continue, te dis-je.

CHAPITRE IV.

Suite de la relation de Diego.

་་

LORSQUE Sainte Thérèse eut fini son histoire, reprit l'Espagnol, elle dit à son amie qu'elle était passablement instruite de la sienne; mais que comme elle ignorait le fond de celle de St. François, elle la priait de vouloir la lui conter. Ste. Claire acquiesça, avec plaisir, à une demande si raisonnable, et parla ainsi :

« Le Séraphique St. François, que voilà, est né à Assise, en Ombrie, ainsi que moi. Après avoir passé les premières années de sa vie à apprendre le commerce, auquel son père, qui était un riche négociant, le destinait, il attrapa je ne sais quel mal (1), en courant le guilledou avec ses camarades; et ce mal lui renversa tellement la cervelle, qu'il

(1)« Ferè usque ad vicesimum ætatis suæ annum tempus suum vané vivendo consumpsit, quem Dominus infirmitatis flagello corriripuit, ac in virum alterum subitò transformavit. » JAC. de VORAG.> Episc. Januens., in Vita St. Francisci. Vide etiam St. BONAVENT., in Vitâ ejusd. Sancti.

devint fou. Fou! s'écria Ste. Thérèse.

Oui,

ma chère, fou et très-fou, mais d'une folie si admirable, qu'elle servit de modèle, par la suite, à la réformation de la simplicité évangélique.

Le premier exploit que mon compatriote François fit en entrant dans la carrière qu'il courut si dignement après cette aventure singulière, fut de se revêtir de haillons, et de s'aller planter au milieu de soixante à quatre-vingts gueux, qui mendiaient à la porte de l'église de St.-Pierre à Rome (1). Après avoir demeuré quelque temps parmi ces truands, il jeta ses guenilles, reprit ses habits ordinaires, et revint à Assise; mais sa charité pour ses confrères ne l'abandonna pas: pour en convaincre toute la terre, il ne crut pouvoir mieux faire que de voler son père pour faire l'aumône aux Ladres (2), et raccommoder une église sur la recommandation d'un crucifix, qui lui avait fait l'honneur de lui parler (3).

(1) « Quâdam vice, Romam, causà devotionis, proficiscens, vestimenta sua deposuit, et pauperis cujusdam vestimenta induens, antè Ecclesiam S. Petri inter pauperes sedit, et cum eis velut unus ex illis avidè mendicavit. » Ubi sup.

(2) << Assumens magnam pecuniam, ad hospitale leprosorum accessit; et congregans omnes simul, dedit singulis ellemosinam, osculans sibi manum. »> BART. PISAN., Lib. Conform., pag. 57.

(3) « Ecclesiam S. Damiani, orationis cansâ, ingreditur, et sic imago crucifix miraculosè alloquitur: «< Francisce, vade repara do

« mum meam quæ, ut cernis, tota destruitur.» Ab eâ igitur hora, anima ejus liquefacta est, et crucifixi compassio ejus cordi mirabiliter est infixa. Institit sollicitè Ecclesiæ reparandæ et venditis Dulaurens.-Tome II. 8.

« Le père de François, interprétant mal-à-propos certaines paroles de Salomon (1), ou plutôt craignant que les pieuses libéralités de son fils, ne lui fissent faire un jour banqueroute, le déshérita et le traîna devant l'évêque pour le faire condamner (2). Mais le saint n'en fit pas à deux fois; il se mit nu comme un ver, en présence de toute l'assemblée, rendit toutes ses hardes à son père, et renia le bon homme (3), pour apprendre aux parents, à respecter leurs enfants: après quoi, s'étant affublé d'une guenille qu'on lui donna, s'étant ceint d'une corde qu'il trouva, et enveloppé la tête d'un capuchon qu'il se forma, il se mit a courir les champs, équipé à peu près comme Cratès.

«Des actions si saintes et si édifiantes touchèrent une infinité de personnes. L'on n'entendait parler que d'enfants qui avaient volé leurs parents, pour faire l'aumône ; l'on ne voyait que des fils qui avaient renié leurs pères pour s'attacher à Dieu; l'on ne rencontrait que des gens qui avaient renoncé à tout pour aller mendier ; c'était à qui admirerait, à qui

quæ habebat, cùm pecuniam cuidam presbytero daret: et ille, timore parentum, recipere recusaret, coram ipso eam projiciens, tanquam pulverem vilipendit. » JAC. DE VORAG, De ubi sup. V. etiam S. BONAVENT.

(1) Celui qui vole son père et sa mère, et qui dit que ce n'est pas péché, participe au crime des homicides. Prov., chap. xxvi.

V. 24.

(2, 3) Voyez sa Vie.

« PreviousContinue »