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exécuter de plus appétissant, de plus succulent et de plus délicieux, fut réuni, selon moi, pour former ce repas admirable; où, si quelqu'un trouve de la superfluité, c'est qu'il ignore que les saints ont meilleur appétit que les hommes.

les

<< Le palais n'était point le seul organe du plaisir: yeux, le nez, les oreilles, et généralement toutes les parties de notre corps, se disputaient à l'envi, la gloire de procurer le plus de délectation à chacun de nos individus.

«Une vapeur délicieuse qui sortit d'un plat de boudins du premier service, charma l'odorat pendant tout le repas. Vingt-deux jeunes filles, d'une beauté ravissante, nous chatouillaient de temps en temps la plante des pieds et le gras des jambes. Trente-six autres, non moins belles, nous versèrent à boire jusqu'au dessert, et nous essuyaient les lèvres avec une gaze légère, qui voltigeait sur leur sein. Huit cors-de-chasse, quinze trompettes et seize tambours remplacèrent ces jeunes filles, et vinrent faire l'accompagnement de la plus belle voix du monde, qui nous chanta les prouesses de saint George, la conver sion de saint Bruno, et le risque que le Lazare courut sur la mer Méditerranée, en venant de la TerreSainte à Marseille.

«Mais rien ne me fit plus de plaisir qu'un moutar dier de la grandeur d'un œuf d'autruche, ou environ. Le pied de ce moutardier était de rubis, et la coupe était le crâne d'un de ces mille Philistins que Samson

tua avec une mâchoire d'âne. Cette coupe était enrichie de bas-reliefs admirables... si admirables! que je ne crois pas qu'il en existe de pareils dans le ciel entier : la composition, la disposition, la correction, le goût, l'élégance, le caractère, la variété, l'expression, la délicatesse, le fini, portés au plus haut point, semblaient être réunis pour former ce chef-d'œuvre accompli. On voyait, d'un côté, les passages de la Mer Rouge et du Jourdain, par les Israélites, ainsi que celui de la Manche par le roi Jacques, lorsqu'il se sauva en France; d'un autre, c'était la chute des murs de Jéricho, au bruit des cornets à bouquins des prêtres de l'ancienne loi, et la démolition du temple de Charenton; puis, le repos du soleil pen dant la défaite d'Adonibesech et de ses confrères, et la même complaisance de cet astre pour CharlesQuint (1), lorsqu'il battit les protestants à Mulberg: enfin, le séjour de Jonas dans la baleine; l'enlèvement d'Habacuc (2), et quelques autres sujets d'his

(1) Sandoval, évêque de Pampelune, et historiographe de Philippe III, rapporte ce prodige comme témoin oculaire, ainsi que plusieurs auteurs contemporains.

(2) Il n'y a rien qui me tarabuste plus l'esprit que cet enlèvement d'Habacuc. L'Écriture rapporte que cet homme, qui demeurait en Judée, allant porter une potée de soupe à ses moissonncurs, un ange vint lui dire de porter cette soupe au prophète Daniel, que l'on avait jeté dans la fosse aux lions à Babylone; et que sur ce qu'Habacuc répondit qu'il ne savait point le chemin de Babylone, ni où était cette fosse aux lions, l'ange le prit par les cheveux, et

toire, mais plus simples, et qui n'excitèrent point tant mon admiration que la représentation au natu

le transporta dans la fosse; que Daniel mangea la soupe, et qu'Habacuc fut remis à la même place où l'ange l'avait pris.

Je trouve extraordinaire que l'ange soit allé à plus de cent cinquante lieues chercher de la soupe pour un prophète, tandis qu'il n'en manquait point à Babylone, et de toute espèce; qu'il choisît plutôt la portion de quelques pauvres moissonneurs, qui n'avaient peut-être que cela pour dîner, que quelque plat de la table d'un richard; qu'il emportât Habacuc avec la potée de soupe, tandis qu'il pouvait prendre la soupe seule, et laisser là Habacuc, etc.

Je trouve encore extraordinaire que l'ange ait dit à Habacuc de porter lui-même cette soupe à Daniel; car si cet homme eût obéi sans réplique, comme font les jésuites à leur général, il aurait été au moins quinze jours avant d'arriver à Babylone avec sa soupe; et indépendamment de ce qu'elle se fût aigrie en route, il eût peutêtre trouvé le prophète mort de faim en arrivant. L'on me dira que Dieu pouvait conserver la soupe en état pendant ces quinze jours, et le prophète en vie : je réponds à cela, que c'est justement parce que Dieu pouvait conserver ce prophète en vie pendant quinze jours, qu'il le pouvait aussi conserver pendant une semaine qu'il fut dans la fosse, sans donner tant de besogne à cet ange et à Habacuc. L'on me répliquera que c'est parce que Dieu l'a voulu ainsi; à cela je n'ai plus rien à dire. Cependant, si j'avais autant d'esprit que mon Compère Mathieu, j'ambitionnerais de devenir interprète, critique ou commentateur, pour avoir le plaisir de faire une belle et bonne dissertation sur cette aventure; sans toutefois perdre le respect dû au Sacro-Saint Concile de Trente, qui a mis cette histoire au rang des Livres sacrés, tandis que ces vilains hérétiques de protestants (*) la rejettent comme une fable digne des rêveries des Rabbins.

(*) Voyez, entre autres, le ministre Martin en ses notes sur l'Histoire de l'idole Bel, de son édition de la bible, in-folio.

rel, non-seulement de tous les Israélites qui se sauvèrent d'Égypte, mais encore celle de toute l'armée de Pharaon, depuis le chef jusqu'au moindre fifre; ainsi des autres, jusques et y compris les trois cents renards qui mirent le feu aux plaines de Thamnata, et dont j'avais oublié de vous parler. >>

Pour le coup, Père Jean ne put plus s'empêcher de rire de toutes ses forces. Oserais-je demander, dit Diego, pourquoi le vénérable Père Jean rit? Je ris de ton moutardier, répondit celui-ci. - Et moi je n'en ris pas, repartit l'Espagnol.

CHAPITRE III.

Suite du voyage de l'Espagnol en l'autre monde.

Diego avait assez parlé pour prendre un nouveau restaurant: aussi prit-il celui qu'on lui avait préparé pendant son dernier discours Ensuite il dormit un peu; puis il continua ainsi :

་་

Lorsque la voix qui nous avait chanté les hauts faits du patriache d'Angleterre, la conversion du Père St. Bruno, et le voyage de Lazare, eut fini, l'on renvoya les instruments. Alors St. Polycrone entama une conversation sur la qualité du bois de Brésil. Cette matière fut généralement discutée avec beaucoup d'intelligence et de sagacité, et St. Baradat ne m'y parut pas le moins entendu. Lorsque cette conversation fut finie, il lui en succéda de particulières ; c'est-à-dire, que chacun des convives se mit à parler avec son voisin. St. François et le frère Massé s'entretinrent des chaleurs de la canicule; St. Dominique et St. Jean le manchot parlèrent de cuirasses; et St. Cyrille et Ste. Dorothée, de l'abréviation des procédures; St. Adhelme et Ponce-Pilate discoururent de la levée des impôts; Ambroise Paré se mit

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