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« Lorsque je fus dans ce palais, un huissier de la chambre me fit entrer chez Lucifer. Ce monarque ne paraît pas si vieux qu'on le fait; il pourrait même passer pour joli, s'il n'avait une verrue au bout du nez (1). Il était sur son trône, et environné de toute

(1) Ce portrait se trouve bien différent de celui que l'on nous fait ordinairement de Lucifer. Je crois qu'il n'y a que le seul Diego qui l'ait fait si beau. Les théologiens, les peintres et les poètes semblent avoir enchéri les uns sur les autres, dans leurs efforts à nous rendre ce prince des ténèbres hideux et épouvantable. Mais ils n'ont puisé les traits du portrait qu'ils en font, que dans leur imagination échauffée. L'Espagnol dit : «Ce prince ne paraît pas si vieux qu'on le fait: il pourrait même passer pour joli, s'il n'avait une verrue au bout du nez. >> Si la nature est simple, si la vérité est naïve et pure, c'est bien dans ces quatre mots que l'on les reconnaît l'une et l'auet non dans tout ce que l'on nous débite à ce sujet, notamment dans les vers suivants :

tre,

Ingentem vidi Regem, ingentique sedentem
In solio, crines flammanti stemmate cinctum,
Pectus et os illi turgens, oculique micantes ;
Alta supercilia; erectus, similisque minanti
Vultus erat; latæ nares, duo cornua lata.
Ipse niger totus; quando nigra corpora pravis
Dæmonibus natura dedit, turpesque figuras :
Deus tamen albus erat, sannæ albæ utrinque patentes;
Alæ humeris magnæ, quales vespertilionum,
Membranis contextæ amplis; pes amplus uterque ;

Sed qualem fluvialis anas, qualemve sonorus
Anser habere solet: referebat cauda leonem.
Nudus erat, longis sed opertus corpora villis.
Multa illi adstabat turba, innumerusque satelles.
PALINGEN., in Sagitt., pag. 196.

« Je vis un monarque d'une taille prodigieuse, assis sur un « trône immense, ayant le front ceint d'un bandeau de feu, ayant

sa cour: il était vêtu d'une simarre de ras de SaintMaur, doublée de fer-blanc et avec des parements de fayence : il avait sur la tête une couronne de buis, et tenait à la main un sceptre de fer. Son trône fut autrefois d'or massif; mais depuis qu'il a perdu une somme considérable en jouant aux cartes ce trône n'est plus que de bois de noyer, encore

« la poitrine gonflée, le visage bouffi, les yeux étincelants, les « sourcils élevés, et l'air menaçant. Il avait les narines extrême«ment larges, et deux grandes cornes sur la tête. Il était noir "comme un More. Il avait deux grandes aîles de chauve-souris attachées aux épaules, de larges pattes de canard, une queue de «de lion, et de longs poils depuis la tête jusqu'aux pieds, etc. ›› Voilà en substance la description que Palingène fait de son Typhurgue, prince des diables. Si les portraits que les autres font de Lucifer sont différents, ils n'en sont pas moins affreux. Témoin celui qui se voit sur une médaille que j'ai entre les mains, et dont voici la description : L'on voit d'un côté le buste du Sauveur avec cette légende allemande : « Ich bin das Lemlein das der weld sünd tregt. Johanes am I. Capt. - Neimant kumpt zu dem vater dan durch mich. Jo. am XIV. (1) >> De l'autre est le buste du pape avec cette autre légende : « So bin ich das kindt der Verderhnus und der Sund Sagt Sant. Paul. in der II. Epistel an die Tessalonicher (2). » Satan a les deux pattes de derrière sur les épaules du Saint-Père, et le coiffe d'une triple couronne. Le prince des ténèbresest ici représenté avec le corps d'une harpie, les pattes d'un vautour, la queue d'un serpent, les ailes d'un dragon, les testicules d'un taureau, la tête d'un cochon, et le capuchon d'un moine.

(1) « Je suis l'agneau de Dieu qui efface les péchés du monde, etc. Personne ne peut aller à mon père que par moi, etc.

(2) Je suis cet homme de perdition, cet enfant de péché, etc.

est-il tout vermoulu. Ce prince est d'un appétit extraordinaire; il mange lui seul autant que tous ses sujets ensemble; il lui faut annuellement plus de quinze cent mille aunes de boudin, et environ six millions de quintaux de poivre; ce qui fait que cette denrée est si chère en enfer. Il dort au moins cinq mois de l'année; le reste il ne fait que végéter. Il est extraordinairement simple et crédule; il n'y a point de jour qu'on ne lui fasse accroire que des vessies sont des lanternes ; et ceux qui ont intérêt qu'il demeure tel, lui disent que sa bêtise est débonnaireté. Mais ses officiers ne lui ressemblent pas; se sont bien les plus malins, les plus déterminés coquins qui aient jamais existé. Parmi ces officiers, je remarquai les diables Moria, Misia, Sual, Jabès, Enac et Javan. « Item, les diables Rebla, Bezec, Borithon, Bela et Uriel.

<< Item, les diables Achaian, Chorrœon, Easas et Béelzébuth.

<< Item, les diables Acaos, Cedon, Cis, Armer et Isbozeth.

<< Item, les diables Aphron, Rammon, Oreb, Ur et Ramessés.

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Item, les diables Avon, Boanergon, Siba, Sichor et Lapidoth.

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Item, les diables Cinoth et Astaroth, qui fut pourfendu en disputant mon ame contre Jahel, et qui était déjà aussi parfaitement guéri que s'il ne lui fût rien arrivé.

« Je vis encore les diables Sin Achas, Alex, Asmodée et Béelphegor.

<< Item, les diables Rajan, Boohra, Palim, Urthos et Grevianan.

Item, les diables Saroth, Faïthros, Molabi et Cosbi, qui se brûla les griffes en éclairant saint Dominique (1).

<< Comme depuis cette aventure ce Cosbi est demeuré manchot, et que, par conséquent, il n'est plus propre à grand'chose, il est chargé de montrer le palais aux étrangers, et de satisfaire à leurs questions sur l'état et le gouvernement de l'enfer.

« Lorsque j'eus assez contemplé le seigneur Lucifer, et que j'eus parcouru les principaux appartements de son palais, Cosbi, qui m'accompagnait, m'en fit voir les environs. Le premier objet qui s'offrit à ma vue, fut l'empereur Charlemagne, ramant

(1) Saint Dominique était un homme qui travaillait, qui lisait, qui priait sans cesse. Le diable, quoique jaloux des vertus éminentes du saint homme, le laissait assez tranquille pendant le jour; mais lorsque le soir était venu, il lui faisait mille niches, et se plaisait surtout à lui souffler sa chandelle. Le saint supportait cela avec beaucoup de patience; mais un jour qu'il était occupé à lire l'Écriture sainte, Cosbi, dont je viens de parler, vint éteindre sa lumière. Dominique s'impatienta, et dit au diable: Puisque tu éteins ma chandelle pour ton plaisir, tu la tiendras présentement pour le mien aussi long-temps que j'aurai fini ma lecture. Le diable obéit, et la chandelle étant venue à sa fin, il fut obligé de la tenir encore, et de se laisser brûler les griffes, plutôt que de la lâcher. Voy. sa Vie.

des pois, sous la direction d'un Bostangi-bachi, Saxon d'origine, qui haussait les épaules à Sa Majesté toutes les fois qu'elle ne travaillait point à son gré. Comme j'ai toujours respecté ce grand homme, je n'osais lui demander qui l'avait réduit à une condition si basse et si méprisable; mais je me doutai bien que ç'avait été son ambition démesurée, et le zèle un peu trop apostolique qu'il avait fait paraître dans la plupart de ses expéditions. Plus loin, je vis le pape SixteQuint, à l'affût sur un saule, et guettant un lièvre, sur lequel il fondait son souper et celui de quinze enfants qu'il avait de la reine Élisabeth, sa femme. Ayant aperçu Sa Sainteté, je me jetai à genoux pour lui demander la bénédiction; mais le saint-père me coucha en joue pour me donner un coup de fusil, ce qui fit que je me relevai au plus vite, et je me sauvai à toutes jambes. Un peu plus loin je vis..... ah! mes chers amis ! lorsque je pense à ce que je vis, peu s'en faut que je ne remeure de douleur et de tristesse ; je vis mon ancien maître, l'éminentissime cardinal Tongarini, jusqu'à la ceinture dans un ruisseau bourbeux, ayant une chemise bleue, dont les manches étaient retroussées jusqu'aux épaules, une toque de laine crasseuse sur la tête, le visage aussi noir que celui d'un charbonnier, et mâchant du tabac comme un Écossais; je vis, dis-je, un si saint homme réduit à pêcher des écrevisses pour gagner sa vie. Je voulus embrasser mon doux maître; mais une puissance invisible m'empêcha d'en approcher.

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