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L'histoire de la médecine me fait voir à combien d'accidents, d'infirmités, de maladies, l'homme civilisé est sujet, en comparaison de l'homme sauvage; et à combien de plus grands maux il s'expose encore, lorsqu'il se met entre les mains de cette engeance d'ignorants que l'on appelle médecins, qui, depuis trois mille ans de dispute sur les causes des maladies et la nature de leurs remèdes, ne sont point encore d'accord sur la manière de traiter une simple fièvre.

Enfin, l'histoire de la religion m'ouvre en entier le cœur et l'esprit humain; et je découvre, d'un coup d'œil à quel point d'erreur, de contradiction, d'ignorance et de barbarie même, l'homme peut atteindre, lorsqu'en sortant de son état naturel, il prétend pouvoir étendre sa curiosité téméraire sur l'auteur de la nature (1). Les uns, après ces re

(1) Un fameux écrivain du cinquième siècle, qui n'avait en vue que la différence des opinions des philosophes païens sur la nature de la divinité, en parle ainsi :

«Nec hoc est admiratione dignum, cùm sciamus inter istos philosophos quanta sit de ipsâ deorum naturâ dissentio quantisque disputationum argumentis vim totam Divinitatis conentur evertere. Cùm alii Deos non esse dicant, alii esse quidem, sed nihil procurare definiant; alii, et esse, et rerum nostrarum curam procurationemque suscipere.... et tantæ sint hi omnes in varietate et dissentione, nt longum et alienum sit singulorum enumerare sententias. Nam alii figuras his pro arbitrio suo tribuunt, et loca assignant, sedes etiam constituunt, et multa de actionibus eorum vitâque describunt, et omnia quæ facta et constituta sunt, ipsorum arbitrio regi guberna

cherches vaines, impuissantes, ont dit qu'il n'y avait point de dieu; d'autres ont dit qu'il y en avait un, et ceux-ci devaient s'en tenir là, d'autres ont dit aussi qu'il n'y en avait qu'un, mais en trois personnes distinctes; d'autres ont soutenu qu'il y en avait deux, un bon et un mauvais ; d'autres ont prétendu qu'il y en avait quatre, six, dix, quinze, vingt, plus ou moins, mais de diverses espèces et de différents grades. Tous, enflés de leur découverte, ont prétendu définir la nature de la divinité. Les uns ont fait de Dieu un être indolent, et ne se mêlant de rien; d'autres l'ont fait faible et ridicule;

rique pronunciant. Alii, nihil moliri, nihil curare, et ab omni administrationis curâ vacuos esse dixerunt : asseruntque omnes verisimile, quiddam quod auditorum animos ad facilitatem credulitatis invitet. JULIUS FIRMICUS MATERNUS, Astronom, lib 1, in Præfat. >>

« Ce que je viens de dire n'est point étonnant, puisque nous connaissons leurs divisions sur la nature des dieux et les arguments par lesquels ils semblent s'efforcer d'anéantir la puissance de la divinité. Les uns disent qu'il n'y a point de dieux ; d'autres qu'il y en a, mais qu'ils ne se mêlent de rien; et d'autres, qu'ils se mêlent de tout ce qui nous regarde.... d'autres leur forgent des figures déterminées, leur assignent une demeure fixe, font une histoire de leur vie, de leurs actions, et ajoutent que tout ce qui existe, se règle, se gouverne sous leur bon plaisir..... Tous enfin soutiennent leur opinion par des raisonnements, qui, ayant l'apparence de quelque vérité, sont d'autant plus propres à faire impression sur ceux qui les écoutent. >>

Si l'on eût demandé à ce Firmicus Maternus quel était son sentiment sur la nature de Dieu, je crois qu'il n'en aurait pu donner une meilleure définition que ceux qu'il entreprend ici de condamner.

d'autres avide et jaloux; d'autres inconstant et capricieux; d'autres vain et cruel, et tous, enfin, lui ont rendu un culte analogue à la nature et aux qualités qu'ils lui attribuaient.

Mais, entre tous ces gens-là, ceux qui ont admis qu'ils étaient les seuls qui eussent la véritable connaissance de la divinité; que le culte qu'ils lui rendaient, était le seul culte qui lui fût agréable; que hors de leur croyance, et de la pratique de ce culte, l'on était en abomination aux yeux de Dieu : ceuxlà, dis-je, sont devenus fanatiques, intolérants, persécuteurs, cruels et féroces. L'histoire des Juifs, et principalement ce qui s'est passé parmi les chrétiens, depuis l'établissement du christianisme, jusqu'à ce jour (1), sont une preuve de ce que j'avance.

En conséquence de toutes ces considérations, j'ai dit, en moi-même, que puisque les mœurs, les coutumes, les usages, les lois, les religions différentes, auxquels la plus grande partie du genre humain est soumise, causent de tels désordres et de si grands maux, ces choses ne sont point dans l'ordre naturel; et j'ai conclu, que pour que l'homme soit aussi heu

(1) Inter finitimos vetus atque antiqua simultas ;
Immortale odium, et nunquam sanabile vulnus,
Ardet adhuc Ombos, et Tentyra, summa utrinque ;
Indè furor vulgo est, quod numina vicinorum
Odit uterque locus, et nullos credat habendos

Esse Deos, quam quos colit ipse.

JUVEN., Satyr. XV.

reux qu'il est capable de l'être, il ne devait être soumis à rien de tout cela, ne devait suivre que l'instinct de la nature, et pouvait fronder ouvertement tout ce qu'il y trouvait de contraire.

Voilà le sommaire des faits et des raisons, continua le Compère, sur lesquels j'ai fondé ma philosophie. Si Monsieur a quelque envie de devenir philosophe aussi, je me ferai un plaisir d'entrer avec lui dans de plus grands détails. Il peut, pour cet effet, choisir tel jour qu'il lui plaira.... Très-obligé, dit le Hollandais, j'aime encore mieux être Coc

céien.

Père Jean, qui s'était enivré pendant que Vitulos et le Compère discouraient, dit au Hollandais: Corbieu, l'ami, tu as tort de ne point vouloir tâter de la philosophie. C'est un ruisseau d'eau claire et limpide, où tu débarbouillerais ton gros bon sens ; c'est le sanctuaire de la raison, le tombeau des opinions humaines, le fléau des préjugés du vulgaire, l'éponge de la conscience, et le rocher inébranlable, contre lequel les flots de la honte, de la crainte et des remords, ne produiront jamais que de l'écume.. Monsieur, dit le Hollandais, je vous ai dit que j'aimais mieux être Coccéien.... En disant ces mots, il se leva et partit. Comme il était fort tard, nous remerciâmes nos hôtes des politesses qu'ils nous avaient faites, et nous retournâmes à notre auberge.

CHAPITRE XIV.

Description de la Franc-Maçonnerie. Le Compère Mathieu fait sa tournée en Hollande. Ce qu'il voit dans ce pays-là.

Le lendemain matin, étant tous à prendre le chocolat dans la chambre de Vitulos, le Compère Mathieu lui demanda ce que c'était que cette francmaçonnerie, à l'ombre de laquelle il s'était introduit chez ces négociants Français ?.... Mon cher ami, répondit Vitulos, il y a plus de vingt ans que j'ai secoué le joug de toute honte et de toute pudeur; mais j'avoue que je suis presque honteux de te dire que c'est le comble de la folie humaine. Cependant je suis franc-maçon, et je ne suis point fâché de l'être, parce que sous ce titre, je m'introduis chez mes benêts de confrères, où je trouve souvent à me dédommager, par le jeu, du sacrifice que je fais du bon sens, lorsque je suis obligé de maçonner avec eux. Voici donc ce que c'est que la franc-maçonnerie. Imagine-toi une société de fous, qui prétendent avoir fait renaître entre eux l'égalité primitive de l'âge d'or, et de rassembler en eux toutes les vertus morales possibles, tandis qu'un gentilhomme franc

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