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auquel il n'a manqué que les moindres vertus, et cependant cet idéal était d'une verité saisissante. Les Théobaldes auraient été mal venus à le critiquer. Me la Duchesse elle-même aurait pu l'admirer : mais elle venait de donner le jour à un fils, qui mit le comble à la joie de sa famille. Ce prince sera, pensait-on, l'image la plus fidèle du grand ancêtre qui devait servir de modèle à tous ses descendants. Qu'étaitce que la septième édition des Caractères de M. de la Bruyère auprès de la naissance de ce petit enfant, qui sera le triste ministre de Louis XV?

CHAPITRE XXXVI.

1691-1692.

suet.

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La réforme des mœurs inspirée par Mme de Maintenon parut compromise par le scandale de l'abbé de Mauroy, curé des Invalides. Sermon de Bourdaloue devant le roi sur l'hypocrisie. Approbation de l'Onuphre de la Bruyère, et critique du Tartuffe de Molière. - Corrections et additions au caractère d'Onuphre. — Hypocrisie raffinée de la femme galante, Glycère. — Où en est réduite Lélie, l'impudique effrontée? La Bruyère essuie d'amères critiques : le sermonneur est plus vite récompensé que le plus solide écrivain. Que signifient les jugements des hommes ? un bon conseil donné par Bos La Bruyère partage le chagrin de Bossuet contre la critique. Singulière démonstration de l'existence de Jésus-Christ. Scepticisme de Fontenelle; opinion de Leibnitz sur ce sujet. - La Bruyère entreprend la réfutation de la Pluralité des mondes. Ses erreurs et ses solides raisons pour démontrer l'existence de Dieu, sa providence et les vérités éternelles de la justice et de la vertu. Mystère de la vie morale. Répartition de la richesse en ce monde. Système des compensations; elles viennent de Dieu et se trouvent dans tous les gouvernements. - La morale indépendante prépare les révolutions du XVIIIe siècle. La Bruyère les prévoit, mais ne les annonce pas.

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Tandis que Mme de Maintenon réformait la maison royale de SaintCyr, et tâchait d'introduire à la cour le zèle pour l'honneur de la religion; tandis que le roi faisait connaître sa volonté de bannir de sa présence les scandales dont il avait donné l'exemple, et s'occupait de marier les jeunes gens les plus exposés au libertinage, il arriva un fait scandaleux qui est aujourd'hui oublié, mais qui eut alors le plus grand retentissement. M. de Mauroy, curé des Invalides, prêtre de la congrégation de la Mission, gentilhomme de bon lieu, savant, de beaucoup d'esprit et d'intrigue, grand directeur de femmes, fit banqueroute et emporta plus de 40,000 écus. « On a découvert

beaucoup d'histoires scandaleuses, dit Dangeau le 5 décembre 1691; et même des dames de qualité sont mêlées dans cette affaire (1). » L'exact Dangeau ajoute, le 16 janvier 1692 « On a arrêté M. de Mauroy, curé des Invalides, à l'abbaye de Sept-Fonts, en Bourgogne, où il était allé pour prendre l'habit. On le fait transférer au Châtelet, à Paris. » On lui fit son procès : il allait être condamné aux galères; mais le roi ne voulut pas le pousser à bout, et le confina dans l'abbaye de Sept-Fonts; là « il se convertit, dit Saint-Simon, si bien qu'il y fit profession, et y a été pendant plus de trente ans l'exemple le plus parfait de la pénitence, de la miséricorde de Dieu, et des vertus de cette maison qui a la même règle que la Trappe. » Mais dans l'hiver de 1691-1692 on ne parlait que du scandale qu'il avait donné : «l'Église de France était en butte aux railleries et aux outrages des impies, des athées et des partisans de l'hérésie; on disait qu'il avait fait longtemps avec ses pénitentes de quoi être brûlé, sans qu'on en eût le moindre soupçon; on affirmait qu'il avait volé tant et plus M. de Louvois, de qui il tirait, sous prétexte d'aumônes, des sommes très considérables.» «Le dimanche 16 décembre 1691, à Versailles, le roi et Monseigneur, dit Dangeau, allèrent entendre le père Bourdaloue qui prêcha sur l'hypocrisie. Il fit le plus beau sermon du monde. Après avoir flétri ces âmes artificieuses qui, comme Tartuffe et Onuphre, cachent le crime sous le voile de la dévotion, le prédicateur entreprit de combattre ceux qui, raisonnant mal sur le sujet de l'hypocrisie, en tirent de malignes conséquences contre la vraie piété.

« L'impie, déterminé à être impie, soutient que tous les autres ne sont pas meilleurs que lui. Parce qu'il y a des dévots hypocrites, il conclut d'abord que tous le peuvent être ; et de là, passant plus loin, il s'assure que la plupart et même communément tous le sont. Il se croit en un sens moins coupable qu'eux, parce qu'il est au moins de bonne foi, et qu'il n'affecte point de paraître ce qu'il n'est pas. Que s'il est après tout forcé de reconnaître que toute piété n'est pas fausse, du moins prétend-il qu'elle est suspecte, et qu'il y a toujours lieu de s'en défier. Or cela lui suffit : car il n'y a point de piété qu'il ne rende par là méprisable en la rendant douteuse; et tandis qu'on la méprisera, qu'on la soupçonnera, elle sera faible et impuissante contre lui. C'est ce qu'il croit gagner en faisant de ses entretiens et

(1) T. III, p. 438, et l'addition de Saint-Simon.

LA BRUYÈRE. T. II.

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de ses discours autant de satires de l'hypocrisie et de la fausse dévotion: car, comme la fausse dévotion tient en beaucoup de choses de la vraie; comme la fausse et la vraie ont je ne sais combien d'actions qui leur sont communes ; comme les dehors de l'une et de l'autre sont presque tout semblables, il est non seulement aisé, mais d'une suite presque nécessaire, que la même raillerie qui attaque l'une intéresse l'autre, et que les traits dont on peint celle-ci défigurent celle-là, à moins qu'on n'y apporte toutes les précautions d'une charité prudente, exacte et bien intentionnée, ce que le libertinage n'est pas en état de faire. Et voilà, Chrétiens, ce qui est arrivé, lorsque des esprits profanes, et bien éloignés de vouloir entrer dans les intérêts de Dieu, ont entrepris de censurer l'hypocrisie, non point pour en réformer l'abus, ce qui n'est pas de leur ressort, mais pour faire une espèce de diversion dont le libertinage pût profiter, en concevant et en faisant concevoir d'injustes soupçons de la vraie piété par de malignes représentations de la fausse. Voilà ce qu'ils ont prétendu, exposant sur le théâtre et à la risée publique un hypocrite imaginaire, ou même, si vous voulez, un hypocrite réel, et tournant dans sa personne les choses les plus saintes en ridicule, la crainte des jugements de Dieu, l'horreur du péché, les pratiques les plus louables en elles-mêmes et les plus chrétiennes. Voilà ce qu'ils ont affecté, mettant dans la bouche de cet hypocrite des maximes de religion faiblement soutenues, au même temps qu'ils les supposaient fortement attaquées; lui faisant blâmer les scandales du siècle d'une manière extravagante; le représentant consciencieux jusqu'à la délicatesse et au scrupule sur des points moins importants, où toutefois il le faut être, pendant qu'il se portait d'ailleurs aux crimes les plus énormes ; le montrant sous un visage de pénitent, qui ne servait qu'à couvrir ses infamies; lui donnant, selon leur caprice, un caractère de piété la plus austère, ce semble, et la plus exemplaire, mais, dans le fond, la plus mercenaire et la plus lâche. »

La Bruyère avait évité ces inconvénients, qui sont ceux du Tartuffe de Molière; ou du moins il avait tracé le caractère d'Onuphre, comme le voulait Bourdaloue, avec toutes les précautions d'une charité prudente, exacte et bien intentionnée. Fort de cette approbation, il résolut de poursuivre partout l'hypocrisie du siècle, et de forcer les esprits forts jusque dans leurs derniers retranchements. Pour bien montrer à ses ennemis, Théobaldes ou libertins, qu'il n'avait aucun souci de leurs finesses ni de leurs interprétations malicieuses, il intro

duisit Onuphre à la cour, et développa les replis de son caractère, en y ajoutant quelques traits empruntés à M. de Mauroy, curé des Invalides.

Dans la quatrième édition, la Bruyère avait tracé le caractère da vrai dévot. « Un homme dévot entre dans un lieu saint, perce modestement la foule, choisit un coin pour se recueillir, et où personne ne voit qu'il s'humilie ; s'il entend des courtisans qui parlent, qui rient et qui sont à la chapelle avec moins de silence que dans l'antichambre, quelque comparaison qu'il fasse de ces personnes avec lui-même, il ne les méprise pas, il ne se plaint pas ; il prie pour eux. » Dans la septième édition, la Bruyère supprime ce caractère et en met quelques traits dans le caractère d'Onuphre. « Il entre dans un lien saint, perce la foule, choisit un endroit pour se recueillir, et où tout le monde voit qu'il s'humilie (1): s'il entend des courtisans qui parlent, qui rient, et qui sont à la chapelle (2) avec moins de silence que dans l'antichambre, il fait plus de bruit qu'eux pour les faire taire ; il reprend sa méditation, qui est toujours la comparaison qu'il fait de ces personnes avec lui-même, et où il trouve son compte. » Voilà l'hypocrite à Versailles et devenu un vrai courtisan. « Si Onuphre est nommé arbitre dans une querelle de parents ou dans un procès de famille, il est pour les plus forts, je veux dire pour les plus riches, et il ne se persuade point que celui ou celle qui a beaucoup de bien puisse avoir tort. » Enfin Onuphre est plus prudent que Tartuffe ; nous l'avons déjà vu dans la sixième édition. « S'il se trouve bien d'un homme. opulent (3), à qui il a su imposer, dont il est le parasite, et dont il peut tirer de grands secours, il ne cajole point sa femme, il ne lui fait du moins ni avance ni déclaration; il s'enfuira, il lui laissera son manteau, s'il n'est aussi sûr d'elle que de lui-même. Il est encore plus éloigné d'employer pour la flatter et pour la séduire le jargon de la dévotion; ce n'est point par habitude qu'il le parle, mais avec dessein, et selon qu'il est utile, et jamais quand il ne servirait qu'à le rendre très ridicule. Quoi donc? Onuphre serait-il vraiment sage? Pas du tout il représente le curé des Invalides et ses poulettes, comme les appelle Saint-Simon. « Onuphre sait, dit la Bruyère (4) dans la

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