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LA GRAN. Qu'on emporte toutes ces hardes, dépêchez. Maintenant, mesdames, en l'état qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira; nous vous laisserons toute sorte de liberté pour cela, et nous vous protestons, monsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux.

SCÈNE XVII.

MADELON, CATHOS, JODELET, Mascarille, Violons.
CATH. Ah! quelle confusion!
MAD. Je crève de dépit.

UN DES VIOLONS, (à Mascarille.) Qu'est-ce donc que ceci ? Qui nous paiera, nous autres ?

MASC. Demandez à monsieur le vicomte.

UN DES VIOLONS, (à Jodelet.) Qui est-ce qui nous donnera de l'argent?

JOD. Demandez à monsieur le marquis.

SCÈNE XVIII.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, JODELET, MascaRILLE, Violons.

GORG. Ah! coquines que vous êtes, je viens d'apprendre de belles affaires vraiment de ces messieurs et de ces dames qui sortent!

MAD. Ah! mon père, c'est une pièce sanglante qu'ils nous ont faite.

GORG. Oui, c'est une pièce sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infâmes. Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait; et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront.

MAD. Ah! je jure que nous en serons vengées, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, oseźvous vous tenir ici après votre insolence?

MASC. Traiter comme cela un marquis! Voilà ce que c'est que le monde ; la moindre disgrâce nous fait mépriser de ceux qui nous chérissaient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part; je vois bien

qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considère point la vertu toute nue.

SCÈNE XIX.

GORGIBUS, MADELON, CATHOS, Violons.

UN DES VIOLONS. Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez à leur défaut pour ce que nous avons joué ici.

GORG. (les battant.) Oui, oui, je vais vous contenter, et voici la monnaie dont je veux vous payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant. Nous allons servir de fable et de risée à tout le monde, et voilà ce que vous vous êtes attiré par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines; allez vous cacher pour jamais. (seul.) Et vous, qui êtes cause de leur folie, pernicieux amusemens des esprits oisifs, romans, vers, chansons, et sonnets, que n'êtes-vous jetés dans le feu !

NOTES SUR LES PRÉCIEUSES RIDICULES.

1

PRÉCIEUSE, S. f. Femme qui est affectée dans son air, dans ses manières, et principalement dans son langage. LES DICTIONNAIRES MODERNES. (An affected, formal, finical woman.) Ce mot qui n'est pris aujourd'hui qu'en mauvaise part, signifiait autrefois une femme d'un mérite distingué et de très-bonne compagnie. Molière, dans la préface de sa comédie des Précieuses, déclare qu'il n'a voulu mettre sur la scène que les fausses Précieuses. M. Bret dit que, quelques années après la mort de Molière, on donnait encore le nom de Précieuses aux femmes de lettres de ce temps-là.

2 S'inscrire en faux contre, to deny.

Caution bourgeoise, good security.

* On appelait du nom de Ruelles les assemblées de ce temps-là.

5 PETITE OIE, (rubans qui ornaient le chapeau, les gants, les bas, &c.) trimmings.

CANONS, (bande d'étoffe fort large et souvent ornée de dentelle, qu'on attachait au-dessous du genou) rollers. On raconte qu'un auteur allemand donnant sur un théâtre de son pays les Précieuses ridicules, qu'il avait traduites, et ignorant la nouvelle acception du mot canons, faisait mettre dans les poches de Mascarille des pistolets, qu'il montrait en disant: Que dites-vous de mes canons ?

L'ENRAGE,

OU

PLUS DE PEUR QUE DE MAL,

PROVERBE, PAR CARMONTELLE.

PERSONNAGES.

LE COMTE D'ERMONT, lieutenant-général.
LE CHEVALIER DE GRISAC, lieutenant d'infanterie.
MAD. THOMAS, maîtresse d'auberge.

M. HACHIS, cuisinier.

(La scène est dans une auberge.)

SCÈNE I.

(La scène représente une chambre d'auberge de campagne.) LE COMTE, MAD. THOMAS.

MAD. THOM. (entrant la première, et fermant la fenêtre.) Monsieur le comte, voilà votre chambre.

LE COMTE. Elle n'a pas trop bonne mine; mais une nuit est bientôt passée.

MAD. THOM. Monsieur, c'est la meilleure de la maison; personne n'a encore couché dans ce lit-là depuis que les matelas ont été rebattus.

LE COMTE. Voulez-vous bien mettre cela quelque part. (Il lui donne son chapeau, son épée et sa canne, et il s'assied.) Ah çà, madame Thomas, qu'est-ce que vous me donnerez à souper ?

MAD. THOM. Tout ce que vous voudrez, monsieur le comte.

LE COMTE. Mais encore?

MAD. THOM. Vous n'avez qu'à dire.

LE COMTE. Qu'est-ce que vous avez?

MAD. THOM. Je ne sais pas bien; mais si vous voulez, je m'en vais faire monter monsieur l'écuyer.* LE COMTE. Ah! oui, je serai fort aise de causer avec monsieur l'écuyer.

MAD. THOM. (criant.) Marianne, dites à monsieur l'écuyer de monter.

LE COMTE. Avez-vous bien du monde, dans ce tempsci, madame Thomas?

MAD. THOM. Monsieur, pas beaucoup depuis qu'on a fait passer la grande route par...chose...

LE COMTE. Je passerai toujours par ici, moi; je suis bien aise de vous voir, madame Thomas.

MAD. THOM. Ah, monsieur, je suis bien votre servante, et vous avez bien de la bonté.

LE COMTE. Il y a long-temps que nous nous connaissons.

MAD. THOM. Monsieur m'a vue bien petite.

LE COMTE. Et vous m'avez toujours vu grand, vous. C'est bien différent.

SCÈNE II.

LE COMTE, MAD. THOMAS, M. HACHIS.

MAD. THOM. Tenez, monsieur l'écuyer, parlez à monsieur le comte.

LE COMTE. Ah! monsieur l'écuyer, qu'est-ce que vous me donnerez à manger?

M. HACH. Monsieur, dans ce temps-ci nous n'avons pas de grandes provisions.

LE COMTE. Mais qu'est-ce que vous avez ?

M. HACH. Qu'est-ce que monsieur le comte aime? LE COMTE. Je ne suis pas difficile: mais je veux bien souper: voyons.

M. HACH. Si monsieur le comte avait aimé le veau.
LE COMTE. Oui, pourquoi pas

?

M. HACH. Ce matin, nous avions une noix de veau' excellente.

LE COMTE. Hé bien, donnez-la moi.

M. HACH. Oui, mais il y a deux messieurs qui l'ont mangée. Cela ne fait rien, on donnera autre chose à monsieur le comte.

LE COMTE. Mais quoi?

M. HACH. Madame Thomas, si nous avions cette outarde de l'autre jour...

LE COMTE. Est-ce qu'il y en a dans ce pays-ci?
MAD. THOм. Oui, monsieur, quelquefois.

LE COMTE. Et vous ne pourriez pas en avoir une ?
M. HACH. Oh! mon Dieu, non.

LE COMTE. Pourquoi dit-il que vous en aviez une l'autre jour ?

MAD. THOM. Ce n'est pas nous, ce sont des voyageurs qui passent par ici, et qui nous en font voir, quand ils en ont; et quand il dit l'autre jour, il y a plus de six mois.

M. HACH. Six mois! il n'y en a pas trois.

MAD. THOM. Je dis qu'il y en a six, puisque c'était le jour du mariage de monsieur le Bailli.

M. HACH. Vous croyez ?

MAD. THOM. J'en suis sûre.

LE COMTE. Oui, mais avec tout cela, je meurs de faim, et je ne sais pas encore ce que j'aurai à souper. MAD. THOM. Il n'y a qu'à commencer par faire une fricassée de poulets.

M. HACH. Oui, cela se peut faire, et cela n'est pas long.

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