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MAD. DE MIR. Je n'en ai jamais vu d'aussi gentil. MARIE. En effet, il a les couleurs les plus vives... S'il est à madame, n'est-ce pas comme s'il était à moi. Madame me ferait beaucoup de peine, si elle le refusait; je croirais voir une espèce de dédain...

MAD. DE MIR. Ah! tu me connais bien mal. Je fais réflexion qu'il y a long-temps que je ne t'ai rien donné. Tu choisiras une de mes robes.

MARIE. Comme madame est bonne !

MAD. DE MIR. Allons, je ne veux pas t'affliger,
Marie. J'accepte. Or ça, où placerons-nous cette
cage? Dans mon boudoir, n'est-ce pas ?
MARIE. Oui, tout près du piano de madame.

AUTRE SCÈNE DES RICOCHETS.
DORSAY, LAFLEUR.

DOR. Eh bien, mon ami, tes pressentimens ne te trompaient pas. Je vais être placé. J'ai la parole et l'appui du colonel.

LAFL. J'en fais mon compliment à monsieur.

DOR. Or ça, mon enfant, comme tu disais tantôt, il faut que je songe à monter ma maison. C'est malheureux que ton protégé n'ait pas une plus belle main.

LAFL. Mais je vous assure, monsieur, que je n'écris pas mieux, moi qui vous parle.

DOR. Je le sais parbleu bien. Voyons donc encore une fois cette écriture.

LAFL. Ma foi, monsieur, le pauvre garçon, dans son chagrin, a déchiré l'exemple qu'il m'avait remis. DOR. Tant pis.

LAFL. J'ai eu toutes les peines du monde à lui en faire écrire une autre sous ma dictée, parce que moi, qui connais toute la bonté de monsieur...

DOR. Voyons.

LAFL. (lui remettant un papier.) Tenez.

DOR. (lisant.)

66 Devoir des valets envers leurs maîtres soumission, zèle, intelligence." Eh bien, c'est cela, c'est écrit, c'est pensé, l'orthographe y est.

Un caractère fort net, fort agréable. Où avait-il eu la tête d'écrire si mal ce que tu m'avais montré d'abord ? LAFL. La crainte de ne pas réussir. La main lui tremblait.

DOR. Qu'il se rassure. Que j'aie ma place, il a la sienne. Quant à toi, je t'aime; tu restes mon premier valet de chambre, mon confident. Demande, mon garçon, sollicite, et compte toujours sur ton bon maître. (Il sort.)

SCÈNE SUIVANTE.

LAFLEUR; GABRIEL; MARIE, au fond.

LAFL. (à Gabriel.) Eh bien, mon ami, nous sommes placés. Qui; M. Dorsay a la parole du colonel. Cette maison-ci va devenir très-bonne. Nous aurons des clients, des créatures. Monsieur Gabriel, de la probité au moins, et le moins d'insolence qu'il vous sera possible.

GAB. Ah! monsieur peut compter...Et quant à l'objet dont je vous parlais tantôt...

LAFL. Écoute, je ne suis pas un méchant homme, moi. J'ai été amoureux comme toi; ma nièce est sage, vertueuse; tu es rangé, soumis, complaisant; et comme je serai là... Fais venir ma nièce ; je suis bien aise de vous faire un sermon à tous deux.

MARIE, (s'avançant.) Me voici, mon oncle.

LAFL. Ah! tu étais là. Eh bien, sais-tu ce qui se passe? Sais-tu que ce mauvais sujet de Gabriel a l'impertinence d'être amoureux de toi ?

MARIE. Je le sais, mon oncle.

LAFL. Tu le sais... Tu as peut-être la folie de n'en pas être fachée, toi ?

MARIE. Mon bon oncle, si vous vouliez...

LAFL. Ah! oui, mon bon oncle! vous me flattez, vous me cajolez, c'est fort bien: mais attendez donc que Gabriel ait fait son chemin.

MARIE. Il l'a fait, mon oncle; il est valet de cham

bre du colonel Sainville. Monsieur le colonel épouse madame; c'est moi qui ai arrangé tout cela.

LAFL. Comment? c'est toi qui as arrangé...

MARIE. Monsieur le colonel arrive à l'instant même; j'ai bien fait la leçon à madame; dans ce moment elle accorde sa main au colonel, et lui demande la place de valet de chambre pour mon Gabriel.

LAFL. Pour ton Gabriel. Tu le regardes déjà comme à toi ?

MARIE. Les voici.

SCÈNE SUIVANTE.

LAFLEUR, GABRIEL, MARIE, MADAME DE MIRCour, SAINVILLE; DORSAY, entrant d'un autre côté.

MAD. DE MIR. Où est-il, où est-il, mon cher oncle? Ah! le voici. Félicitez-moi, félicitez-vous, remerciez ce digne ami; il vous a bien servi. Comment, après cela, pourrais-je lui refuser ma main?

SAINVILLE. Ah! madame, quel bonheur ! (à Dorsay.) Vous êtes nommé, mon cher Dorsay. Demain vous recevrez votre brevet.

DOR. Ah! monsieur, quelle obligation! (à Lafleur.) Eh! vite, Lafleur, ton jeune homme. Il me faut un secrétaire dès ce soir.

LAFL. Ah! monsieur, quelle reconnaissance! (à Gabriel.) Je te donne ma nièce.

GAB. Ah! monsieur Lafleur, mademoiselle Marie, monsieur Dorsay, monsieur le colonel, madame, que de remercîmens je vous dois à tous !

MARIE. Nous voilà tous contens; vous voilà tous bonnes gens, et nous nous marions.

MAD. DE MIR. Elle a raison, chaque protégé a reb couvré les bonnes grâces de son protecteur, et voilà comme dans cette vie tout s'enchaîne, et tout marche par ricochets.

SCENES DU MÉDECIN MALGRÉ LUI,

COMÉDIE DE MOLIÈRE.

PERSONNAGES.

GÉRONTE, père de Lucinde.
LUCINDE, fille de Géronte.
SGANARELLE, mari de Martine.
MARTINE, femme de Sganarelle.
M. ROBERT, voisin de Sganarelle.

VALERE et LUCAS, domestiques de Géronte.

SGANARELLE, MARTINE.

SGAN. Non, je te dis que je n'en veux rien faire; c'est à moi de parler et d'être le maître.

MART. Et je te dis, moi, que je veux que tu vives à ma fantaisie, et que je ne me suis point mariée avec toi pour souffrir tes fredaines.

SGAN. Oh! la grande fatigue que d'avoir une femme ! et qu'Aristote a bien raison, quand il dit qu'une femme est un être insupportable!

MART. Voyez un peu l'habile homme, avec son benêt d'Aristote !

SGAN. Oui, habile homme. Trouve-moi un faiseur de fagots qui sache comme moi raisonner des choses, qui ait servi six ans un fameux médecin, et qui ait su dans son jeune âge son rudiment par cœur.

MART. Peste du fou!

SGAN. Peste de la femme !

MART. Que maudits soient l'heure et le jour où je m'avisai d'aller dire oui !

SGAN. Que maudit soit le notaire qui me fit signer ma ruine!

MART. C'est bien à toi vraiment à te plaindre de cette affaire! Devrais-tu être un seul moment sans rendre grâce au ciel de m'avoir pour ta femme! et méritais-tu d'épouser une personne comme moi?

SGAN. Hé! morbleu! tu fus bien heureuse de me trouver.

MART. Qu'appelles-tu bien heureuse de te trouver ? Un homme qui me réduit à la misère; un traître, qui me mange tout ce que j'ai !...

SGAN. Tu as menti, j'en bois une partie.

MART. Qui me vend pièce à pièce tout ce qui est dans le logis!...

SGAN. C'est vivre de ménage.1

MART. Qui m'a ôté jusqu'au lit que j'avais !...
SGAN. Tu t'en lèveras plus matin.

MART. Enfin qui ne laisse aucun meuble dans toute la maison !...

SGAN. On en déménage plus aisément.

MART. Et qui, du matin jusqu'au soir, ne fait que jouer et que boire !

SGAN. C'est pour ne me point ennuyer.

MART. Et que veux-tu pendant ce temps que je fasse avec ma famille ?

SGAN. Tout ce qu'il te plaira.

MART. J'ai quatre pauvres petits enfans sur les bras. SGAN. Mets-les à terre.

MART. Qui me demandent à toute heure du pain.

SGAN. Donne-leur le fouet: quand j'ai bien bu et bien mangé, je veux que tout le monde soit soûl dans ma maison.

MART. Et tu prétends, ivrogne, que les choses aillent toujours de même ?...

SGAN. Ma femme, allons tout doucement, s'il vous plaît.

MART. Que j'endure éternellement tes insolences ?..... SGAN. Ne nous emportons point, ma femme.

MART. Et que je ne sache pas trouver le moyen de te ranger à ton devoir ?

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