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TRISSOTIN.

Je sais que là-dessus je n'en suis point du tout,
Et
que d'un tel sonnet peu de gens sont capables.

VADIUS.

Me préserve le ciel d'en faire de semblables!

TRISSOTIN.

Je soutiens qu'on ne peut en faire de meilleur ;
Et ma grande raison est que j'en suis l'auteur.

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C'est qu'on fut malheureux de ne pouvoir vous plaire.
VADIUS.

Il faut qu'en écoutant j'aie eu l'esprit distrait,
Ou bien que le lecteur m'ait gâté le sonnet.
Mais laissons ce discours, et voyons ma ballade.
TRISSOTIN.

La ballade, à mon goût, est une chose fade!
Ce n'en est plus la mode, elle sent son vieux temps.
VADIUS.

La ballade pourtant charme beaucoup de gens.

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Vous donnez sottement vos qualités aux autres.
VADIUS.

Fort impertinemment vous me jetez les vôtres.
TRISSOTIN.

Allez, petit grimaud, barbouilleur de papier.

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VADIUS.

Allez, rimeur de halle, opprobre du métier.
TRISSOTIN.

Va, va restituer tous les honteux larcins
Que réclament sur toi les Grecs et les Latins.
VADIUS.

Va, va-t'en faire amende honorable au Parnasse
D'avoir fait à tes vers estropier Horace.

TRISSOTIN.

Souviens-toi de ton livre, et de son peu de bruit.
VADIUS.

Et toi, de ton libraire à l'hôpital réduit.

TRISSOTIN.

Ma gloire est établie, en vain tu la déchires.
VADIUS.

Oui, oui, je te renvoie à l'auteur des satires.

Je t'y renvoie aussi.

TRISSOTIN.

VADIUS.

J'ai le contentement

Qu'on voit qu'il m'a traité plus honorablement.
Il me donne en passant une atteinte légère
Parmi plusieurs auteurs qu'au palais on révère;
Mais jamais dans ses vers il ne te laisse en paix,
Et l'on t'y voit partout être en butte à ses traits.
TRISSOTIN.

C'est par-là que j'y tiens un rang plus honorable.
Il te met dans la foule ainsi qu'un misérable,
Il croit que c'est assez d'un coup pour t'accabler,
Et ne t'a jamais fait l'honneur de redoubler;

Mais il m'attaque à part comme un noble adversaire
Sur qui tout son effort lui semble nécessaire ;
Et ses coups, contre moi redoublés en tous lieux,
Montrent qu'il ne se croit jamais victorieux.

VADIUS.

Ma plume t'apprendra quel homme je puis être.
TRISSOTIN.

Et la mienne saura te faire voir.ton maître.

VADIUS.

Je te défie en vers, prose, grec, et latin.

TRISSOTIN.

Hé bien! nous nous verrons seul à seul chez Barbin.

SCÈNES DES RICOCHETS,

COMÉDIE DE M. PICARD.

PERSONNAGES.

SAINVILLE, jeune colonel, fils d'un ministre.

DORSAY.

LAFLEUR, valet de chambre de Dorsay.

GABRIEL, jockey de Dorsay.

MADAME DE MIRCOUR, nièce de Dorsay.

MARIE, jeune femme de chambre de Mad. de Mircour. GABRIEL, Scul.

(Il porte l'habit de Lafleur, et une cage dans laquelle il y a un serin.)

L'habit, la cravate pour la toilette de monsieur Lafleur, la cage et le serin que je me hasarde d'offrir à mademoiselle Marie; bon. Je ne suis point en retard. Pauvre Gabriel! Quand on est tourmenté comme toi par l'amour et l'ambition, on ne dort guère. Moi, jockey, faire la cour à une femme de chambre, nièce d'un valet de chambre! Mademoiselle Marie est si gentille! c'est un ange pour la douceur, un démon pour l'esprit. Monsieur Lafleur, son oncle, est un bon protecteur, qui n'est pas insensible aux petites attentions qu'on a pour lui.

SCENE SUIVANTE.

GABRIEL, MARIE.

MARIE. Monsieur Gabriel!

GAB. Ah! vous voilà, mademoiselle Marie ?
MARIE. Peut-on causer?

GAB. Oui: votre oncle vient d'achever de coiffer monsieur, et il se coiffe lui-même, en attendant que je l'aie appris, comme vous me l'avez conseillé, mademoiselle Marie.

MARIE. Et d'ici je peux entendre la sonnette de madame.

GAB. (présentant la cage.) Pour ne pas perdre de temps, mademoiselle, oserais-je prendre la liberté de vous prier d'accepter...

MARIE. Oh, la jolie cage! Oh, le joli serin! C'est bien honnête à vous, monsieur Gabriel; mais je ne veux pas demeurer en reste. (Elle lui donne une cravate enveloppée dans du papier.) Tenez.

GAB. Qu'est-ce que c'est ? Une cravate de mousseline. Ah! mademoiselle, quelle bonté !

MARIE. C'est moi qui l'ai brodée, monsieur Gabriel. GAB. Hélas! que je suis encore loin de mériter tant de faveurs! Quand donc pourrai-je paraître un parti sortable à monsieur votre oncle?

MARIE. Patience, les choses sont déjà bien avancées. Voilà dix mois que, par le crédit de mon oncle, je suis entrée femme de chambre chez madame de Mircour, la nièce de monsieur Dorsay, le maître de mon oncle. Voilà quinze jours que, par mon crédit, vous êtes entré comme jockey chez ce même monsieur Dorsay.

GAB. Et c'est bien agréable de demeurer ainsi dans la même maison.

MARIE. Oui, tous les matins on se trouve, on jase. GAB. On fait un échange de petits cadeaux. MARIE. Et qui peut répondre des événemens ? Tout en m'endormant hier au soir, je lisais, dans un des livres de ma maîtresse que les plus petites causes

peuvent amener les plus grands effets. La pluie quí tombe, un cheval qui bronche, un lièvre manqué à la chasse, ont fait souvent échouer ou réussir des négociations, des conjurations, des batailles. Qu'est-ce que notre mariage auprès de choses si graves? Par exemple, une circonstance qui pourrait nous être bien favorable, M. Sainville fait la cour à ma maîtresse.

GAB. Qui? ce jeune colonel, si vif, si pétulant, et à qui mon maître fait la cour de son côté, depuis que le père du colonel a été nommé ministre ?

MARIE. Si le colonel pouvait plaire à ma maîtresse, je vous ferais entrer valet de chambre à son service, et il n'y aurait pas de raison pour que le mariage des domestiques ne vînt à la suite de celui des maîtres.

GAB. Et croyez-vous que le colonel plaira bientôt à votre maîtresse, mademoiselle Marie?

MARIE. Je crois que oui; un jeune militaire, aimable, fils d'un ministre! Madame ne dépend que d'elle-même, et une veuve de vingt-deux ans est pressée de se remarier. Ce qu'il y a de fâcheux, c'est qu'elle a des momens de caprice... La meilleure femme du monde; c'est par accès; heureusement cela ne dure pas. En moins de dix mois, je l'ai vue tour à tour joueuse, botaniste, et dévote. Elle en est maintenant à la manie des animaux. Elle m'a chargée de lui chercher un sapajou, une perruche, et je jurerais qu'hier elle n'a été si aimable au bal que parce qu'elle était partie enchantée des gentillesses d'Azor, son petit

chien.

GAB. C'est unique de s'attacher de la sorte.

MARIE. Ils disent que ses caprices ne s'exercent que sur les choses légères; cela n'empêche pas qu'elle ne brusque ou n'accueille ses amis selon qu'elle a bien ou mal dormi, selon qu'elle est plus ou moins satisfaite de la bagatelle qui l'occupe. C'est la faute de ses parens ; ils ont tellement été au-devant de tous ses désirs, qu'ils l'ont habituée à en changer plus que de robes et de bonnets.

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