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Vous avez toujours bien fait d'arriver. Quelques momens plus tard, on allait se partager votre bien.

JACQ. K. Mon bien? Qui donc aurait osé faire les partages sans moi ? Nous y voilà, patience...

AL. Certainement, vous ne souffrirez pas... JACQ. K. D'abord, il faut que j'arrange mes affaires d'intérêt.

AL. Cela n'arrangera pas les leurs.

SCENE SUIVANTE.

JACQUES KERLEBON, seul.

Que ces lieux me semblent tristes depuis la mort de mon frère! Ce pauvre homme s'est noyé bien mal à propos; j'aurais eu tant de plaisir à le revoir.

SCÈNE SUIVANTE.

JACQUES KERLEBON, ANTOINE KERLEBON. ANT. K. (à lui-même.) Que vois-je! c'est mon frère ! il est arrivé, tout va se découvrir.

JACQ. K. (se croyant seul.) Sa mort me rappelle qu'il y a quinze ans que nous avons bu souvent ensemble dans cette salle-ci.

ANT. K. Il parle de moi. Écoutons.

JACQ. K. Moi, qui avais le projet de finir mes jours avec lui! Encore deux ou trois courses en mer, et je venais m'établir dans son château; là, tous les deux réunis, nous eussions vécu agréablement; dans la matinée nous eussions fait un tour au port; le soir, la partie de piquet. Et puis, quel plaisir de se conter mutuellement ses voyages, ses batailles, les tempêtes que l'on éprouva.

ANT. K. Il m'aimait, lui!

JACQ. K. Toutes ces idées-là me font pleurer comme un enfant. Il était si bon frère, si bon ami! Il venait souvent me chercher à Landernau, et me disait: "Frère Jacques, viens boire le rum et fumer la pipe.' Je lui répondais: "Je veux bien, frère Antoine." Il prenait mon bras, nous marchions gaîment, nous arri

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vions, nous nous mettions à cette table...(Il s'assied d'un côté.) C'est la même table, je la reconnais. Nous parlions marine, il me donnait de bons conseils; et si je sais manoeuvrer mon corsaire, c'est bien à lui que je le dois. (Il se verse un verre de vin.) Et je ne peux plus boire à sa santé !

ANT. K. (s'asseyant en face de son frère, et prenant un verre.) Moi, je veux boire à la tienne!

JACQ. K. (dans le plus grand étonnement.) Comment, c'est mon pauvre Antoine!

ANT. K. (embrassant son frère.) Mon cher Jacques! JACQ. K. Mon cher Antoine !...Mais dis-moi comment il se fait que tu sois noyé, et que tu sois ici; et pourquoi, étant vivant, allons-nous nous partager tes biens?

ANT. K. Mais, j'espère bien que vous n'y toucherez pas.

JACQ. K. Tu n'es donc pas mort...là...sérieusement? ANT. K. Tu le vois bien.

JACQ. K. Je veux mourir, si j'y conçois rien en

core.

ANT. K. Ton étonnement cessera bientôt. Il est vrai que j'ai fait naufrage, qu'on m'a cru noyé, que je fus sauvé par les Anglais; que j'arrive à temps pour sauver mon bien, et pour embrasser un bon frère, dont les regrets m'ont touché jusqu'au fond de l'âme.

JACQ. K. La drôle d'aventure! Tu joues là un vilain tour à tes héritiers. Les corsaires s'attendaient à faire une bonne prise.

ANT. K. Tous ne sont pas indignes de mon amitié. Henri et Sophie sont de bons enfans, je veux les marier ensemble.

JACQ. K. Que je suis heureux! tu n'es pas mort, et je me porte bien. Mais embrassons-nous donc encore: quand on a été quinze ans sans se voir, on doit s'embrasser au moins trois fois.

ANT. K. Volontiers, mon frère Jacques. (Ils s'embrassent.)

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SCENE SUIVANTE.

ALAIN, ANT. KERLEBON, JACQ. KERLEBON, MAD. KERLEBON, DUPERRON.

AL. (à Duperron, et à Mad. Kerlebon.) C'est lui qui m'envoie vous chercher. (montrant Jacques.) Le voilà! - ANT. K. (à son frère.) Voici les chers parens, ne di

sons mot.

MAD. K. (courant embrasser Jacques, d'un ton faux.) Vous ne doutez pas de la joie que nous éprouvons à vous revoir en bonne santé.

DUP. Quel plaisir d'embrasser son oncle!

JACQ. K. Que vous êtes polis! mais laissez-moi donc, vous m'étouffez.

ANT. K. (à part.) Les perfides!

MAD. K. Que n'avez-vous été témoin de notre douleur.

Dur. Des larmes que nous avons répandues.

ANT. K. Moi, je fus témoin de votre ferme douleur ; c'est la même chose.

JACQ. K. A quel sujet répandre des larmes ? Vous ne savez donc pas...

SCENE SUIVANTE.

ALAIN, HENRI, SOPHIE, JULES, ANT. KERLEBON, JACQ. KERLEBON, MAD. KERLEBON, DUPERRON. JULES, (conduit par Henri et Sophie.) Vous ne m'avez pas trompé, le voilà! C'est lui-même. (Il court embrasser Antoine.) O mon cher maître, je vous revois enfin !

HENRI, SOPHIE, MAD. KERLEBON, DUPERRON. Son maître !

J

ANT. K. (à Jules.) C'est toi, mon cher Jules! MAD. K. Quoi! c'est Antoine ? JACQ. K. Eh oui, c'est Antoine; et moi, je suis Jacques. Que diable! tout vous étonne...

AL. Antoine! Oh! le bon tour! Je ne dirai rien mais cela fera du bruit dans Landernau.

MAD. K. Vous Antoine ? vous de qui le naufrage... ANT. K. Moi-même. (En feignant de pleurer.) Mais hélas ! le défunt n'est pas mort!

Dur. (bas, à part.) Nous sommes perdus.

MAD. K. (bas, à part.) Il a tout vu.

ANT. K. Ma chère belle-sœur, j'en sais trop sans doute; mais il est un moyen que j'oublie votre insensibilité et l'âme intéressée que vous n'avez montrée. MAD. K. Monsieur...

ANT. K. (montrant Henri et Sophie.) Ces deux jeunes gens s'aiment, unissez-les; c'est à ce prix seul que je puis oublier ce mot terrible pour mon cœur: Le défunt n'est pas mort!

MAD. K. (d'un air confus.) Je ferai tout ce que vous voudrez...

SCÈNE DU MISANTHROPE,
COMÉDIE DE MOLIÈRE.

ALCESTE, le misanthrope; PHILINTE, ami d'Alceste; CLITANDRE, ACASTE, marquis; CÉLIMÈNE, amante d'Alceste; ELIANTE, cousine de Célimène.

CLITANDRE.

Parbleu! je viens du Louvre, où Cléonte, au levé,
Madame, a bien paru ridicule achevé.

N'a-t-il point quelque ami qui pût sur ses manières
D'un charitable avis lui prêter les lumières ?

CÉLIMÈNE.

Dans le monde, à vrai dire, il se barbouille fort:
Partout il porte un air qui saute aux yeux d'abord;
Et lorsqu'on le revoit après un peu d'absence,
Ön le retrouve encor plus plein d'extravagance.

ACASTE.

Parbleu! s'il faut parler de gens extravagans,

Je viens d'en essuyer un des plus fatigans; Damon le raisonneur, qui m'a, ne vous déplaise, Une heure au grand soleil tenu hors de ma chaise. CÉLIMÈNE.

C'est un parleur étrange, et qui trouve toujours
L'art de ne vous rien dire avec de grands discours :
Dans les propos qu'il tient on ne voit jamais goutte ;
Et ce n'est que du bruit que tout ce qu'on écoute.
ÉLIANTE (à Philinte.)

Ce début n'est pas mal; et contre le prochain
La conversation prend un assez bon train.
CLITANDRE.

Timanthe encor, madame, est un bon caractère.
CÉLIMÈNE.

C'est, de la tête aux pieds, un homme tout mystère,
Qui vous jette, en passant, un coup d'œil égaré,
Et, sans aucune affaire, est toujours affairé.
Tout ce qu'il vous débite en grimaces abonde ;
A force de façons il assomme le monde ;
Sans cesse il a tout bas, pour rompre l'entretien,
Un secret à vous dire, et ce secret n'est rien ;
De la moindre vétille il fait une merveille,
Et, jusques au bon jour, il dit tout à l'oreille.

Et Géralde, madame ?

ACASTE.

CÉLIMÈNE.

O l'ennuyeux conteur !
Jamais on ne le voit sortir du grand seigneur.
Dans le brillant commerce il se mêle sans cesse,
Et ne cite jamais que duc, prince, ou princesse.
La qualité l'entête, et tous ses entretiens

Ne sont que de chevaux, d'équipage, et de chiens:
Il tutoie, en parlant, ceux du plus haut étage,
Et le nom de monsieur est chez lui hors d'usage.
CLITANDRE.

On dit qu'avec Bélise il est du dernier bien.”

CÉLIMÈNE.

Le pauvre esprit de femme, et le sec entretien !

Z

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