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en 1656, et mourut en 1710. Sa comédie du Joueur est mise à côté de celles de Molière.

2 Rémora, obstacle, hindrance..

SCÈNES DU BOURGEOIS GENTILHOMME,

COMÉDIE DE MOLIÈRE.

PERSONNAGES.

MONSIEUR JOURDAIN, bourgeois.

MADAME JOURDAIN.

LUCILE, fille de monsieur Jourdain.

CLÉONTE, amant de Lucile.

DORANTE, Comte.

NICOLE, servante de monsieur Jourdain.

COVIELLE, valet de Cléonte.

UN MAITRE DE MUSIQUE.

Un élève du MAITRE DE MUSIQUE.

UN MAITRE DE DANSE.

UN MAITRE D'ARMES.

UN MAITRE DE PHILOSOPHIE.
DEUX LAQUAIS.

(La scène est à Paris, dans la maison de M. Jourdain.) M. JOURDAIN, en robe de chambre et en bonnet de nuit ; LE MAITRE DE MUSIQUE, LE MAITRE DE DANSE, L'ÉLÈVE du Maître de musique, DEUX LAQUAIS..! M. JOUR. Hé bien, messieurs, qu'est-ce ? Me ferezvous voir votre petite drôlerie ?

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LE MAI. DE DANSE. Comment! quelle petite drôlerie ?

M. JOUR. Hé! là...comment appelez-vous cela? votre prologue ou dialogue de chansons et de danse ?> LE MAI. DE DANSE. Ah! ah!

LE MAI. DE MUs. Vous nous y voyez préparés.

M. JOUR. Je vous ai fait un peu attendre; mais c'est que je me fais habiller aujourd'hui comme les gens de

qualité, et mon tailleur m'a envoyé des bas de soie que: j'ai pensé ne mettre jamais.

LE MAI. DE MUS. Nous ne sommes ici que pour attendre votre loisir.

M. JOUR. Je vous prie tous deux de ne vous point en aller qu'on ne m'ait apporté mon habit, afin que vous me puissiez voir.

LE MAI. DE DANSE. Tout ce qu'il vous plaira.

M. JOUR. Vous me verrez équipé comme il faut, depuis les pieds jusqu'à la tête.

LE MAI. DE MUS. Nous n'en doutons point.

M. JOUR. Je me suis fait faire cette robe-ci.
LE MAI. DE DANSE. Elle est fort belle.

M. JOUR. Mon tailleur m'a dit que les gens de qualité étaient comme cela le matin.

LE MAI. DE MUS. Cela vous sied à merveille. M. JOUR. Laquais ! holà, mes deux laquais ! PREMIER LAQUAIS. Que voulez-vous, monsieur ? M. JOUR. Rien. C'est pour voir si vous m'entendez bien. (au maître de musique et au maître de danse.) Que dites-vous de mes livrées ?

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LE MAI. DE DANSE. Elles sont magnífiques.

M. JOUR. Laquais !

PREMIER LAQUAIS. Monsieur.

M. JOUR. L'autre laquais.

SECOND LAQUAIS. Monsieur.

M. JOUR. (ôtant sa robe de chambre.) Tenez ma robe. (au maître de musique et au maître de danse.) Me trouvez-vous bien comme cela?

. LE MAI. DE DANSE. Fort bien. On ne peut pas mieux.

M. JOUR. Voyons un peu votre affaire.

LE MAI. DE MUS. Je voudrais bien auparavant vous faire entendre un air (montrant son élève) qu'il vient de composer pour la sérénade que vous m'avez de mandée. C'est un de mes écoliers qui a pour ces sortes de choses un talent admirable.

M. JOUR. Oui mais il ne fallait pas faire faire cela

par un écolier ; et vous n'étiez pas trop bon vous-même pour cette besogne-là.

maîtres, et l'air est Écoutez seulement.

LE MAI. DE MUS. Monsieur, ces sortes d'écoliers en savent autant que les plus grands aussi beau qu'il s'en puisse faire. (Il chante.)

Je languis nuit et jour, et mon mal est extrême,
Depuis qu'à vos rigueurs vos beaux yeux m'ont soumis :
Si vous traitez ainsi, belle Iris, qui vous aime,

Hélas, que pourriez-vous faire à vos ennemis ?

M. JoyR. Cette chanson me semble un peu lugubre; elle endort.

LE MAI. DE MUS. Il faut, monsieur, que l'air soit accommodé aux paroles.

M. JOUR. On m'en apprit un tout-à-fait joli il y a quelque temps. Attendez...là...Comment est-ce qu'il

dit?

LE MAI. DE DANSE. Par ma foi, je ne sais.
M. JOUR. Il y a du mouton dedans.

LE MAI. DE DANSE. Du mouton ?

M. JOUR. Oui.

Ah! (Il chante.)

Je croyais Jeanneton
Aussi douce que belle;
Je croyais Jeanneton
Plus douce qu'un mouton.

Hélas! hélas ! elle est cent fois,

N'est-il pas joli?

Mille fois plus cruelle

Que n'est le tigre aux bois.

LE MAI. DE MUS. Le plus joli du monde.
LE MAI. DE DANSE. Et vous le chantez bien.
M. JOUR. C'est sans avoir appris la musique.

LE MAI, DE MUS. Vous devriez l'apprendre, monsieur, comme vous faites la danse; ce sont deux arts qui ont une étroite liaison ensemble.

LE MAI. DE DANSE. Et qui ouvrent l'esprit d'un homme aux belles choses.

M. JOUR. Est-ce que les gens de qualité apprennent aussi la musique ?

LE MAI. DE MUS. Oui, monsieur.

M. JOUR. Je l'apprendrai done. Mais je ne sais quel temps je pourrai prendre; car, outre le maître d'armes qui me montre, j'ai arrêté encore un maître de philosophie qui doit commencer ce matin.

LE MAI. DE MUS. La philosophie est quelque chose ; mais la musique, monsieur, la musique...

LE MAI. DE DANSE. La musique et la danse...La musique et la danse, c'est là tout ce qu'il faut.

un

LE MAI. DE MUS. Il n'y a rien qui soit si utile dans état que la musique.

LE MAI. DE DANSE. Il n'y a rien qui soit si nécessaire aux hommes que la danse.

LE MAI. DE MUS. Sans la musique un état ne peut subsister.

LE MAI. DE DANSE. Sans la danse un homme ne saurait rien faire.

LE MAI. DE MUS. Tous les désordres, toutes les guerres qu'on voit dans le monde, n'arrivent que pour n'apprendre pas la musique.

LE MAI. DE DANSE. Tous les malheurs des hommes, tous les revers funestes dont les histoires sont remplies, les bévues des politiques, les fautes des grands capitaines, tout cela n'est venu que pour ne savoir pas danser.

M. JOUR. Comment cela ?

LE MAI. DE MUS. La guerre ne vient-elle pas d'un manque d'union entre les hommes ?

M. JOUR. Cela est vrai,

LE MAI. DE MUS. Et si tous les hommes apprenaient la musique, ne serait-ce pas le moyen de s'accorder ensemble, et de voir dans le monde la paix universelle ? M. JOUR. Vous avez raison.

LE MAI. DE DANSE. Lorsqu'un homme a commis une faute dans sa conduite, soit aux affaires de sa famille, ou au gouvernement d'un état, ou au commande

ment d'une armée, ne dit-on pas toujours, Un tel a fait un mauvais pas dans une telle affaire?

M. JOUR. Oui, on dit cela.

LE MAI. DE DANSE. Et faire un mauvais pas, peut-il procéder d'autre chose que de ne savoir pas danser? M. JOUR. Cela est vrai, et vous avez raison tous deux.

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LE MAI. DE DANSE. C'est pour vous faire voir l'excellence et l'utilité de la danse et de la musique.

M. JOUR. Je comprends cela à cette heure.

AUTRE SCENE DU BOURGEOIS GENTILHOMME. M. JOURDAIN, UN MAITRE D'ARMES, LE MAITRE de musique, Le maitre de danse.

LE MAI. D'AR. (après avoir donné leçon à M. Jour dain.) Je vous l'ai déjà dit; tout le secret des armes ne consiste qu'en deux choses; à donner, et à ne point recevoir: et, comme je vous fis voir l'autre jour par raison démonstrative, il est impossible que vous receviez, si vous savez détourner l'épée de votre ennemi de la ligne de votre corps; ce qui ne dépend seulement que d'un petit mouvement du poignet, ou en dedans, ou en dehors.

M. JOUR. De cette façon donc un homme, sans avoir du cœur, est sûr de tuer son homme, et de n'être point tué?

LE MAI. D'AR. Sans doute. N'en vîtes-vous pas la démonstration ?

M. JOUR. Oui.

LE MAI. D'AR. Et c'est en quoi l'on voit de quelle considération nous autres nous devons être dans un état, et combien la science des armes l'emporte3 hautement sur toutes les autres sciences inutiles, comme la danse, la musique, la...

LE MAI. DE DANSE. Tout beau! monsieur le tireur d'armes, ne parlez de la danse qu'avec respect.

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