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Et Tartuffe?

ORGON.

DORINE.

Pressé d'un sommeil agréable,

Il passa dans sa chambre au sortir de la table;
Et dans son lit bien chaud il se mit tout soudain,
Où, sans trouble, il dormit jusques au lendemain.

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Il reprit courage comme il faut ;

Et contre tous les maux fortifiant son ame,
Pour réparer le sang qu'avoit perdu madame,
But, à son déjeuné, quatre grands coups de vin.

Le pauvre homme!

ORGON.

DORINE.

Tous deux se portent bien entin;

Et je vais à madame annoncer, par avance,
La part que vous prenez à sa convalescence.

SCÈNE VI.

ORGON, CLÉANTE.

CLÉANTE.

A votre nez, mon frère, elle se rit de vous:
Et, sans avoir dessein de vous mettre en courroux,
Je vous dirai tout franc que c'est avec justice.
A-t-on jamais parlé d'un semblable caprice?

Et se peut-il qu'un homme ait un charme aujourd'hui
A vous faire oublier toutes choses pour lui;

Qu'après avoir chez vous réparé sa misère,
Vous en veniez au point...?

ORGON.

Halte-là, mon beau-frère;

Vous ne connoissez pas celui dont vous parlez.

CLÉANTE.

Je ne le connois pas, puisque vous le voulez;
Mais enfin, pour savoir quel homme ce peut être...

ORGON.

Mon frère, vous seriez charmé de le connoître,

Et vos ravissements ne prendroient point de fin.
C'est un homme.... qui... ah!... un homme... un homme

enfin

Qui suit bien ses leçons, goûte une paix profonde,

Et comme du fumier regarde tout le monde.

Oui, je deviens tout autre avec son entretien;
Il m'enseigne à n'avoir affection pour rien,
De toutes amitiés il détache mon ame;

Et je verrois mourir frère, enfants, mère et femme, Que je m'en soucîrois autant que de cela.

CLÉANTE.

Les sentiments humains, mon frère, que voilà !

ORGON.

Ah! si vous aviez vu comme j'en fis rencontre,
Vous auriez pris pour lui l'amitié que je montre.
Chaque jour à l'église il venoit, d'un air doux,
Tout vis-à-vis de moi se mettre à deux genoux.
Il attiroit les yeux de l'assemblée entière,
Par l'ardeur dont au ciel il poussoit sa prière;
Il faisoit des soupirs, de grands élancements,
Et baisoit humblement la terre à tous moments :
Et, lorsque je sortois, il me devançoit vite
Pour m'aller, à la porte, offrir de l'eau bénite.
Instruit par son garçon, qui dans tout l'imitoit,
Et de son indigence, et de ce qu'il étoit,
Je lui faisois des dons: mais, avec modestie,
Il me vouloit toujours en rendre une partie.
C'est trop, me disoit-il, c'est trop de la moitié ;
Je ne mérite pas de vous faire pitié.
Et quand je refusois de le vouloir reprendre,
Aux pauvres, à mes yeux, il alloit le répandre.
Enfin le ciel chez moi me le fit retirer,

Et depuis ce temps-là tout semble y prospérer.
Je vois qu'il reprend tout, et qu'à ma femme même
Il prend, pour mon honneur, un intérêt extrême;
Il m'avertit des gens qui lui font les yeux doux,
Et plus que moi six fois il s'en montre jaloux.
Mais vous ne croiriez point jusqu'où monteson zèle:

Ꮴ .

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Il s'impute à péché la moindre bagatelle,
Un rien presque suffit pour le scandaliser;
Jusque-là qu'il se vint l'autre jour accuser
D'avoir pris une puce en faisant sa prière,
Et de l'avoir tuée avec trop de colère.
CLEANTE.

Parbleu! vous êtes fou, mon frère, que je croi.
Avec de tels discours vous moquez-vous de moi?
Et que prétendez-vous? Que tout ce badinage...

ORGON.

Mon frère, ce discours sent le libertinage :
Vous en êtes un peu dans votre ame entiché;
Et, comme je vous l'ai plus de dix fois prêché,
Vous vous attirerez quelque méchante affaire.

CLÉANTE.

Voilà de vos pareils le discours ordinaire:
Ils veulent que chacun soit aveugle comme eux.
C'est être libertin que d'avoir de bons yeux;
Et qui n'adore pas de vaines simagrées,
N'a ni respect ni foi pour les choses sacrées.
Allez, tous vos discours ne me font point de peur;
Je sais comme je parle, et le ciel voit mon cœur.
De tous vos façonniers on n'est point les esclaves.
Il est de faux dévots ainsi que de faux braves:
Et comme on ne voit pas qu'où l'honneur les conduit,
Les vrais braves soient ceux qui font beaucoup de bruit,
Les bons et vrais dévots, qu'on doit suivre à la trace,
Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace.
Hé quoi! vous ne ferez nulle distinction
Entre l'hypocrisie et la dévotion?

Vous les voulez traiter d'un semblable langage,

Et rendre même honneur au masque qu'au visage, Égaler l'artifice à la sincérité,

Confondre l'apparence avec la vérité,

Estimer le fantôme autant que la personne,
Et la fausse monnoie à l'égale de la bonne ?
Les hommes la plupart sont étrangement faits;
Dans la juste nature on ne les voit jamais :
La raison a pour eux des bornes trop petites,
En chaque caractère ils passent ses limites;
Et la plus noble chose, ils la gâtent souvent
Pour la vouloir outrer et pousser trop avant.
Que cela vous soit dit en passant, mon beau frère.

ORGON.

Oui, vous êtes sans doute un docteur qu'on révère; Tout le savoir du monde est chez vous retiré;

Vous êtes le seul sage et le seul éclairé ;.

Un oracle, un Caton dans le siècle où nous sommes, Et près de vous ce sont des sots que tous les hommes. CLÉANTE.

Je ne suis point, mon frère, un docteur révéré;

Et le savoir chez moi n'est pas tout retiré.
Mais, en un mot, je sais, pour toute ma science,
Du faux avec le vrai faire la différence.

Et comme je ne vois nul genre de héros

Qui soit plus à priser que les parfaits dévots,
Aucune chose au monde et plus noble et plus belle
Que la sainte ferveur d'un véritable zèle:
Aussi ne vois-je rien qui soit plus odieux

Que le dehors plâtré d'un zèle spécieux,

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