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de pistolet qui vous tue son homme aussi sûrement qu'un bon mot bien lancé.

Ce n'est point que je conseille aux écrivains de se houspiller à tout propos, sans rime ni raison et uniquement pour amuser les badauds qui les écoutent. Mais je voudrais que lorsqu'un débat s'élève entre deux ou plusieurs écrivains, ce débat fût circonscrit au livre ou au journal, et que le différend ne fût point porté sur un autre terrain, sur le pré, en un mot.

De tous les écrivains, les journalistes sont le plus souvent exposés à rencontrer des occasions où la polémique avec des confrères est inévitable et légitime. Bien peu de journalistes, dans une carrière un peu longue, n'ont rencontré de ces occasions-là. La polémique s'engage d'abord sur un ton assez modéré : on ne veut pas pousser les choses à bout, mais la discussion s'anime, la courtoisie est mise de côté, on en vient aux injures grossières, et, pour en finir, on pose la plume c'est à la poudre à parler, et la détonnation d'un pistolet est le dernier mot de la discussion.

La religion, la morale et les lois s'accordent pour proscrire le duel, toutefois il y a des cas, dans la vie d'un homme du monde, où il est difficile de l'éviter. Mais j'affirme que ces cas ne se rencontreront jamais dans les relations de journaliste à journaliste. Que le duel soit donc absolument proscrit entre eux !

En dehors de leur vie de journaliste, qu'ils fassent comme ils voudront dans leur intimité ou ailleurs, je m'en moque. Ce qui m'intéresse et ce que je défends ici, c'est la dignité de la profession, laquelle exige qu'ils ne se conduisent pas en vulgaires spadassins toujours prêts à croiser le fer pour les causes les plus futiles.

Oh! je le sais bien, la plupart des duels à notre époque ne sont que des duels pour rire : ils n'ont pas des dénouements très effrayants; les deux adversaires, après s'être blessés légèrement, ou même ne s'étant pas blessés du tout, se réconcilient et s'embrassent sur le terrain, et de là s'en vont bras dessus bras dessous au plus proche cabaret, pour y fêter leur réconciliation avec grand carnage de canards et de poulets, au bruit des couteaux et des fourchettes. Tout ressentiment entre eux est noyé à l'instant dans le bordeaux et le champagne.

Je ne ferai pas son procès au duel pour de bon, au duel d'autrefois ce procès a été fait mainte et mainte fois, la cause est instruite, elle est jugée et le duel est bel et bien condamné sans appel. Mais, tel qu'il se pratique aujourd'hui, ce n'est plus qu'une farce dégoûtante, quelque chose de souverainement bête. Car personne n'ignore que les témoins prennent toutes sortes de précautions pour que les combattants ne puissent se faire beaucoup de mal, s'ils en avaient envie. Mais qu'ils sont loin d'un pareil désir! A moins d'une maladresse insigne de part ou d'autre, les deux champions s'en tirent sains et saufs, sans la moindre égratignure. Lorsqu'il y a quelque apparence de danger sérieux ou lorsque cela traîne trop en longueur, les témoins s'interposent et font immédiatement cesser le combat.

Qu'est-ce donc que ce jeu au duel? Et à qui eroit-on en imposer ?

Qu'un romancier fasse frémir des grisettes au récit des péripéties du duel de ses héros, c'est possible. Car le romancier se garde bien de présenter les choses comme

elles ont lieu dans la réalité. Mais il faudrait que ceux qui savent comment tout se passe, eussent de l'émotion de reste pour en dépenser au profit des duelistes. Un combat de coqs, une bataille de chiens sont des spectacles autrement émouvants !

Le duel, ce malheureux legs que nous a laissé le moyenage barbare, n'est plus en harmonie avec nos mœurs; tous les jours il devient moins fréquent et il tend à disparaître. Q'on n'en entende plus parler, et qu'il emporte avec lui une foule d'autres vieilleries usécs jusqu'à la corde! Il est grand temps de déposer les épées de combat, avec les robes d'avocat, les simarres des juges, les uniformes civils, militaires et ecclésiastiques ainsi que les décorations de toutes provenances, au musée des défroques historiques, à côté des cottes de maille et des outils grossiers de l'âge de pierre.

Journalistes, vous avez de l'influeuce sur l'opinion publique, donnez ce bon exemple de vous dépouiller les premiers d'un vieux préjugé Plus de duels entre vous! Nos préjugés sociaux n'ont pas tous une origine bien ancienne il en est de tout modernes, et si nous ne potvons tous les répudier en une fois, le bons sens nous commande de nous défaire premièrement des plus anciens : nous aviserons ensuite à nous délivrer des autres. L'humanité ne sera pas sage de sitôt. Aux sottises disparues succèdent toujours de nouvelles sottises, et la tâche des moralistes est sans fin. Ils auront toujours de quoi s'occuper, ne fût-ce qu'à se corriger eux-mêmes de leur présomption. Car de toutes les folies de l'esprit humain, celle-là est peut-être la plus insensée qui s'imagine que des discours suffisent à la réformation des hommes vicieux.

Cependant, et tout en désespérant de voir s'opérer des conversions éclatantes, je ne cesserai de répéter à qui voudra l'entendre: Moralisez ! Moralisez ! il en restera toujours quelque chose!

Vendredi, 17 Juillet 1868.

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