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Et il ne demande qu'une chose, c'est qu'on soit aussi sincère à son égard, qu'il l'a été à l'égard de ceux qu'il a satirisés. Au surplus, il ne se trompe pas sur le compte de ses détracteurs. Ecoutons-le :

Mais sais-tu, Fréminet, ceux qui me blâmeront?
Ceux qui dedans mes vers leurs vices trouveront;
A qui l'ambition, la nuit tire l'oreille,

De qui l'esprit avare en repos ne sommeille,
Toujours s'alambiquant après nouveaux partis.
Qui pour Dieu, ni pour loi, n'ont que leurs appétits;
Qui rôdent toute nuit troublés de jalousie,

A qui l'amour lascif règle la fantaisie,
Qui préfèrent, vilains, le profit à l'honneur,

Qui par fraude ont ravi les terres d'un mineur.

Tels sont les éternels ennemis de la satire, et c'est tout naturel. Ne sont-ce pas là ceux auxquels elle fait une guerre acharnée ? Ambitieux, hypocrites, avares, jaloux, fripons et voleurs, vous regimbez depuis des siècles sous les coups de fouet qui meurtrissent vos épaules; les satiriques ont succédé aux satiriques, ils ont tous frappé sur vous, et frappé fort, et aucun de vous ne s'est jamais corrigé. Vos ancêtres disaient de Regnier ce que vous diriez aujourd'hui de ses imitateurs :

Fuyez ce médisant,

Facheuse est son humeur, son parler est cuisant.
Quoi, Monsieur, n'est-ce pas cet homme à la Satire,
Qui perdrait son ami plutôt qu'un mot pour rire ?

Il emporte la pièce.

Des injures, voilà le « grand-merci » que tout écrivain satirique recueillera de « ses peines. » Cependant, la satire a son utilité; laissons notre poète nous l'expliquer :

Ce n'est point une humeur de médire

Qui m'a fait rechercher cette façon d'écrire :
Mais mon père m'apprit que, des enseignements,
Les humains apprentifs formaient leurs jugements;
Que l'exemple d'autrui doit rendre l'homme sage :
Et guettant à propos les fautes au passage,

Me disait considère où cet homme est réduit
Par son ambition. Cet autre toute nuit

Boit avec des p..., engage son domaine.
L'autre, sans travailler, tout le jour se promène.
Pierre le bon enfant aux dés a tout perdu.
Ces jours le bien de Jean par décret fut vendu.
Claude aime sa voisine, et tout son bien lui donne.
Ainsi me mettant l'œil sur chacune personne,
Qui valait quelque chose ou qui ne valait rien,
M'apprenait doucement et le mal et le bien ;
Afin que fuyant l'un, l'autre je recherchasse,
Et qu'aux dépens d'autrui sage je m'enseignasse.

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De même les esprits débonnaires et doux,
Se façonnent prudents, par l'exemple des fous ;

Et le blâme d'autrui fait ces bons offices.

Qu'il leur apprend que c'est de vertus et de vices.

Les leçons paternelles, jointes aux études faites par luimême sur les hommes qu'il a connus, ont rendu le satirique sage, toutefois pas autant qu'il l'eût désiré, mais c'est en partie la faute de la nature humaine.

Car, quoi qu'on puisse faire, étant bomme, on ne peut,

Ni vivre comme on doit, ni vivre comme on veut.
En la terre ici-bas il n'habite point d'anges:
Or les moins vicieux méritent des louanges,

Et il ne demande qu'une chose, c'est qu'on soit aussi sincère à son égard, qu'il l'a été à l'égard de ceux qu'il a satirisés. Au surplus, il ne se trompe pas sur le compte de ses détracteurs. Ecoutons-le :

Mais sais-tu, Fréminet, ceux qui me blåmeront?

Ceux qui dedans mes vers leurs vices trouveront ;
A qui l'ambition, la nuit tire l'oreille,

De qui l'esprit avare en repos ne sommeille,
Toujours s'alambiquant après nouveaux partis.

Qui pour Dieu, ni pour loi, n'ont que leurs appétits ;
Qui rôdent toute nuit troublés de jalousie,

A qui l'amonr lascif règle la fantaisie,

Qui préfèrent, vilains, le profit à l'honneur,

Qui par fraude ont ravi les terres d'un mineur.

Tels sont les éternels ennemis de la satire, et c'est tout naturel. Ne sont-ce pas là ceux auxquels elle fait une guerre acharnée? Ambitieux, hypocrites, avares, jaloux, fripons et voleurs, vous regimbez depuis des siècles sous les coups de fouet qui meurtrissent vos épaules; les satiriques ont succédé aux satiriques, ils ont tous frappé sur vous, et frappé fort, et aucun de vous ne s'est jamais corrigé. Vos ancêtres disaient de Regnier ce que vous diriez aujourd'hui de ses imitateurs :

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Fàcheuse est son humeur, son parler est cuisant.
Quoi, Monsieur, n'est-ce pas cet homme à la Satire,
Qui perdrait son ami plutôt qu'un mot pour rire ?
Il emporte la pièce.

Des injures, voilà le « grand-merci » que tout écrivain satirique recueillera de « ses peines. » Cependant, la satire a son utilité; laissons notre poète nous l'expliquer :

Ce n'est point une humeur de médire

Qui m'a fait rechercher cette façon d'écrire :
Mais mon père m'apprit que, des enseignements,
Les humains apprentifs formaient leurs jugements;
Que l'exemple d'autrui doit rendre l'homme sage:
Et guettant à propos les fautes au passage,

Me disait considère où cet homme est réduit
Par son ambition. Cet autre toute nuit

Boit avec des p..., engage son domaine.
L'autre, sans travailler, tout le jour se promène.
Pierre le bon enfant aux dés a tout perdu.
Ces jours le bien de Jean par décret fut vendu.
Claude aime sa voisine, et tout son bien lui donne.
Ainsi me mettant l'œil sur chacune personne,
Qui valait quelque chose ou qui ne valait rien,
M'apprenait doucement et le mal et le bien;
Afin que fuyant l'un, l'autre je recherchasse,
Et qu'aux dépens d'autrui sage je m'enseignasse.

Ainsi que d'un voisin le trépas survenu,

Fait résoudre un malade en son lit détenu
A prendre malgré lui tout ce qu'on lui ordonne,

De même les esprits débonnaires et doux,
Se façonnent prudents, par l'exemple des fous;

Et le blâme d'autrui fait ces bons offices.

Qu'il leur apprend que c'est de vertus et de vices.

Les leçons paternelles, jointes aux études faites par luimême sur les hommes qu'il a connus, ont rendu le satirique sage, toutefois pas autant qu'il l'eût désiré, mais c'est en partie la faute de la nature humaine.

Car, quoi qu'on puisse faire, étant homme, on ne peut,

Ni vivre comme on doit, ni vivre comme on veut.
En la terre ici-bas il n'habite point d'anges:
Or les moins vicieux méritent des louanges,

Qui sans prendre l'autrui, vivent en bon chrétien,

Et sont ceux qu'on peut dire et saints et gens de bien.

Maintenant nous allons assister au travail d'esprit du poète, écrivant ses satires il commence par étudier « la maladie dont chacun est blessé, » après cela, dit-il,

je pense à mon devoir,

J'ouvre les yeux de l'âme ; et m'efforce de voir,
Au travers d'un chacun ; de l'esprit je m'escrime;
Puis, dessus le papier, mes caprices je rime,
Dedans une satire, où, d'un œil doux-amer,
Tout le monde s'y voit, et ne s'y sent nommer.

Enfin la pièce se termine ainsi :

Voilà l'un des péchés où mon âme est encline.
On dit que pardonner est une œuvre divine.
Celui m'obligera qui voudra m'excuser ;
A son goût toutefois chacun en peut user.
Quant à ceux du métier, ils ont de quoi s'ébattré,
Sans aller sur le pré, nous nous pouvons combattre,
Nous montrant sculement de la plume ennemis.

En ce cas-là, du Roi les duels sont permis :

Et faudra que bien forte ils fassent la partie,

Si les plus fins d'entr'eux s'en vont sans repartic.
Mais c'est un satirique, il faut le laisser-ià.

Pour moi j'en suis d'avis, et connais à cela

Qu'ils ont un bon esprit. Corsaires à Corsaires,

L'un l'autre s'attaquant, ne font pas leurs affaires.

Petits journalistes de la province et de Paris aussi, retenez bien dans votre mémoire ces vers, qui semblent faits exprès pour vous, et que composait il y a plus de deux cent soixante ans, un bon chanoine du chapitre de Notre-Dame-de-Chartres. Car Mathurin Regnier fut à la fois un bon homme et un homme d'église, ce qui ne l'em

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