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se soutenir. Les procès, les amendes, la prison, telles étaient les faveurs que l'administration et la magistrature octroyaient au journal démocratique, qui finit nécessairement par succomber.

Ainsi que cela arrive toujours en pareille circonstance et par tous pays, la presse ribéraquoise de 48 se signala, de part et d'autre, par des déclamations boursoufflées et ridicules. La passion fait dérailler les meilleurs esprits.

Lorsque Louis-Napoléon Bonaparte eût été élu président de la République, le Bulletin s'empressa de se transformer en Libéral Napoléonien, et s'affubla de deux épigraphes empruntées à des discours du prince-président : << Ni utopie, ni réaction; » « La liberté dans l'ordre. »

Plus tard, en 1852, il orna son frontispice d'une aigle coiffée de la couronne de Charlemagne, tenant entre ses serres le foudre de Jupiter. Au-dessous, en gros caractères, ces paroles à la fois rassurantes et menaçantes : « Les bons sont rassurés, les méchants tremblent. »

Ces méchants, qui étaient-ils ?

Ceux qui ne partageaient pas les idées du Libéral, parbleu !

A mesure que Louis-Napoléon s'avançait vers l'Empire, les bruits de restauration impériale, semés à dessein parmi le peuple, prenant de la consistance, le bonapartisme du journal s'accentuait de plus en plus. Ces mots : « Ni utopie, ni réaction; » « La liberté dans l'ordre; » disparaissaient du titre. Ils étaient devenus un mensonge, puisque la liberté venait d'être sacrifiée à l'ordre; l'utopie vaincue, la réaction triomphait. Les deux adjectifs, Libéral et Napoléonien, durent se trouver bien étonnés de rester accolés l'un à l'autre.

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Enfin, au rétablissement de l'empire, la verve réactionnaire de la pauvre petite feuille bonapartiste, étant complètement tarie, les paroles ne furent plus assez fortes pour traduire la joie triomphante du Libéral Napoléonien Il salua l'avènement du régime selon son cœur, de cette petite manifestation typographique :

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Elle se trouve en tête de la première colonne du numéro du 4 décembre 1852, elle reparaît encore une fois ou deux dans les numéros suivants, avec quelques changements dans les chiffres.

Ce fut-là le chant du cygne, la dernière lueur d'un feu qui s'éteint.

Le Libéral cessait d'être politique et redevenait ce qu'il avait été ci-devant, un simple journal d'annonces.

La Ruche, elle, avait sombré dans la tempête révolutionnaire.

L'enthousiasme en image du Libéral Napoléonien n'est pas un fait isolé bien d'autres enfantillages du même genre virent alors le jour. La Révolution fit un abus excessif de symboles et d'emblèmes tapageurs. En cela, les Républicains et les Réactionnaires se sont souvent rencontrés dans le grotesque. Soyons justes, le Libéral n'a eu probablement l'idée de décorer son titre d'une aigle que parce que celui de la Ruche possédait déjà un emblème républicain: une ruche entourée d'abeilles.

La manie de barbouiller sur les murs de tous les édifices publics, la devise: LIBERTÉ, EGALITÉ, FRATERNITÉ, nous a valu l'avalanche d'N et d'E, couronnés que nous voyons sculptés sur une quantité de monuments où l'on est tout surpris de les rencontrer.

A partir de 1852, l'histoire de la presse à Ribérac n'offre plus le moindre intérêt.

Le Libéral Napoléonien ne resta pas longtemps seul, l'Annonce, dont le nom dit assez l'insignifiance, prit place à côté de lui,

Aujourd'hui l'Annonce s'appelle l'Etoile, le Libéral est le Journal de Ribérac. Il a porté pendant quelques mois le titre de La Dronne, qu'il n'a abandonné que pour des raisons purement commerciales.

Je ne sais si je me trompe, mais il me semble qu'une histoire de la presse d'une ville ou d'un département, écrite par un écrivain de mérite sur un plan analogue à celui que je n'ai pu qu'ébaucher à grands traits, serait favorablement accueillie du public. Elle serait fertile en leçons profitables. Le sujet est tout d'actualité. Les luttes

du journalisme nous touchent de plus près que les querelles des seigneurs du moyen-âge entr'eux ou avec leurs vassaux ; cela soit dit sans vouloir insinuer que les études historiques sur le moyen-âge n'aient aucun droit à l'attention de nos contemporains. (1)

(4) La mode règne sur l'érudition comme sur tout le reste. Pendant longtemps, il fut de bon ton, parmi les érudits provinciaux, de s'occuper exclusivement du moyen-âge, comme si les autres époques n'avaient pas au moins autant de valeur.

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