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Du seizième siècle à la Révolution, le Diable sembla avoir délogé du gouffre d'Enfer il ne fit plus parler de lui.

Il faut respecter les croyances des ancêtres.

Les bonnes femmes racontent, en se signant, qu'à l'époque de la tourmente révolutionnaire des hommes souillés de toutes sortes de crimes, pillèrent les églises, en enlevèrent les vases sacrés, les statues des saints et les reliques : ils mirent le tout dans une barque et se disposèrent à le jeter dans le gouffre d'Enfer.

Dès que la barque eût quitté le bord de la rivière, elle gagna le large avec une rapidité incroyable, et sans le secours des rameurs, elle se trouva tout-à-coup portée sur l'entonnoir du gouffre où elle tourna deux ou trois fois sur elle-même et sombra avec tout ce qu'elle contenait et les hommes qui la montaient.

Cependant les vases sacrés, les statues saintes et les réliques furent miraculeusement sauvés: des personnes pieuses les retrouvèrent, à quelques jours de là, sur le rivage.

Il faut respecter les croyances des ancêtres.

Mais quelles sont les croyances de nos ancêtres qu'il nous faut respecter ? Nos ancêtres ont adoré une foule de divinités différentes: Teutatès et Hésus, Jupiter, le Christ, le dieu de Voltaire, la déesse Raison, l'Être suprême de Robespierre, celui du doux Lareveillère-Lepaux et jusqu'au Dieu des bonnes gens dont les mystères se célèbrent, le verre en main, assis auprès de Lisette. de Musette ou de Frisette.

Je n'ai point reçu mission de prêcher en faveur d'un culte quelconque, et j'ai conté la LÉGENDE DU GOUFFRE D'ENFER telle que je l'ai apprise de la bouche des vieillards dépositaires des traditions nationales.

Ce morceau a eté publié en feuilleton dans le Libéral Napoléonien des 26 juillet, 2 et 10 août 1867.

XXXVI. *

D'UN JOURNAL & D'UNE ACADÉMIE.

HISTOIRE ORIENTALE.

Il

y avait une fois un roi d'un pays dont le nom ne fait rien à l'affaire.

Les fées qui, selon l'usage, avaient présidé à la naissance de ce prince, l'avaient doué de toutes les qualités aimables beauté de la figure, élégance du maintien, affabilité du caractère et, par-dessus tout, elles en avaient fait un homme d'esprit.

Ses sujets étaient grossiers et ignorants; il résolut de les civiliser et de les instruire. Il atteignit promptement son but parce qu'il n'employa, pour y arriver, aucun moyen violent il ne força personne, laissa à chacun pleine et entière liberté, et n'agit sur les esprits que par l'exemple et la persuasion.

Bientôt les habitants du royaume furent tous, qui plus qui moins, suffisamment éclairés pour que le roi pût mettre à exécution un projet qu'il nourrissait depuis longtemps. Il convoqua tous les hommes en àge d'entier discernement et leur proposa de nommer cinquante d'entre eux pour former une sorte de sénat littéraire, une académie.

Les académiciens ne devaient point régenter le domaine des lettres ils devaient seulement guider de leurs conseils le restant de la nation dans la direction à donner aux études et dans les jugements à porter sur les livres qui paraissaient journellement. Car depuis la diffusion des lumières, le nombre des écrits de toute nature était devenu tellement considérable qu'il était impossible au public de tout lire il était donc urgent de lui indiquer un choix. L'académie fut créée principalement dans ce but.

Les élections s'accomplirent dans les meilleures conditions le peuple nomma l'élite des écrivains et des

savants.

Avec les fonds qu'elle tenait de la libéralité du monarque, l'académie fit les frais d'une publication hebdomadaire, destinée à rendre compte des discussions qui avaient lieu dans son sein, des délibérations qu'elle prenait et des jugements qu'elle rendait, en un mot, l'académie publia un journal de ses travaux.

Dans les commencements tout alla pour le mieux. Les académiciens s'acquittaient consciensieusement de leur tâche et l'équité réglait leurs décisions. Les préposés à la rédaction du journal de l'académie n'avaient qu'à enregistrer les procès-verbaux des séances, et le journal jouissait d'une très grande faveur dans tout le royaume et au dehors.

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Le roi s'applaudissait de son œuvre.

Mais il est de l'essence de toute institution humaine d'être accessible à la corruption: peu à peu le zèle des membres de la savante assemblée se ralentit, la partialité se glissa parmi eux, l'esprit de corps pervertit leur jugement et leur goût. Leur journal s'en ressentit, et il cessa d'avoir la confiance publique.

Alors quelques littérateurs songèrent à conquérir pour un rival la place qu'il venait de perdre. Ils publièrent un nouveau journal auquel ils donnèrent le nom de L'Impartial ou L'indépendant (car le mot arabe qui lui servait de titre veut dire l'un et l'autre).

L'Indépendant s'appliqua à relever les erreurs de doctrine de l'organe officiel, il en appela au public des décisions de l'académie. Souvent, peut-être, ses critiques ne gardèrent pas la mesure convenable, et il ne sut pas toujours demeurer exempt des défauts qu'il reprochait à ses adversaires.

Les académiciens jetèrent feu et flamme contre l'impertinent. Ils n'étaient pas académiciens pour rien, et ils fatiguèrent de leurs plaintes les magistrats, les ministres et jusqu'au souverain. On ne les écouta nulle part. Au pays où tout cela se passait, l'autorité ne s'entremet jamais dans les querelles qui ne sont pas les siennes.

Cependant l'académie trouva un moyen de se venger, moyen peu noble, à la vérité. Mais quand est-ce que le désir ardent de la vengeance y a regardé de si près ?

Par des calomnies adroitement répandues elle parvint à discréditer l'Indépendant et à lui enlever son renom de bonne foi. Son impartialité fut représentée comme l'effet d'une basse jalousie. Bref, douloureusement blessés de

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