de ses aides-de-camp et de ses principaux généraux; vis-à-vis de lui, était le général Rochambeau, pareillement entouré. L'armée prisonnière quitta sa position à l'heure convenue, et s'avança en colonnes le long du chemin entre les lignes françaises et américaines, sous la conduite du général O'Hara (que Napoléon prit ensuite à Toulon), car lord Cornwallis était alors ou feignait d'être malade. Quand la tête des colonnes britanniques eut atteint l'extrémité des lignes françaises et américaines, il se passa une scène qui a une faible ressemblance avec celle qu'on a représentée sur le vase, quoiqu'elle n'ait aucun rapport avec le nom de Lafayette. Voici la description qu'en donne un des auteurs ci-dessus mentionnés qui était à la suite de Washington, et son récit est confirmé par celui des autres : « L'armée prisonnière s'avançait, dit-il, marchant lentement, en colonne, avec dignité « et précision. La tête de la colonne était près du commandant en chef. O'Hara, se trom<< pant de cercle, se tourna vers celui de gauche pour présenter ses respects au général <«< qui s'y trouvait et pour lui demander ses ordres; mais, découvrant aussitôt son erreur, <«< il traversa le chemin, et, d'un air fort embarrassé, s'étant approché de Washington, il lui « demanda pardon de sa méprise et excuse pour l'absence de lord Cornwallis ; puis il pria « le général en chef de lui faire connaître son bon plaisir. Washington, voyant son em<< barras, voulut le soulager en lui indiquant avec beaucoup de politesse le général Lincoln, chargé de lui apprendre la conduite qu'il avait à tenir. O'Hara retourna à la tête de la <«< colonne, qui continua à marcher sous les ordres de Lincoln vers la plaine choisie pour « le désarmement des prisonniers.» Dans cette description, le général Washington parait ce qu'il était réellement, le vainqueur, refusant de recevoir, non l'épée, mais la reddition de l'armée prisonnière, et indiquant le général Lincoln; le général Lafayette, ami personnel de l'auteur, n'est pas même mentionné. Les circonstances du fait attestent la véracité de ce récit. Le comte Rochambeau, à cause de sa position, de son âge mûr, de son haut rang et de sa suite magnifique, pouvait bien momentanément avoir été pris pour le commandant en chef par le général O'Hara, dans la confusion et le trouble inséparables de la reddition; mais il est presque impossible que Lafayette ait pu être l'objet d'une semblable erreur, si, comme l'assure l'auteur, la méprise d'O'Hara consistait à s'être tourné vers la gauche pour saluer le commandant en chef. Lafayette était un général américain, vêtu d'un uniforme américain, commandant une division américaine, et devait être à droite. Si l'on pense, malgré le témoignage de ces auteurs, qu'il y eut une seconde erreur, et qu'après qu'O'Hara se fut tourné vers la droite, il s'avança vers le général Lafayette, il doit avoir supposé ou que Lafayette était le général Washington, ou que le général Lafayette, et non le général Washington, était le commandant en chef. La dernière supposition est tout à fait absurde, puisque c'est à Washington qu'était adressée la lettre par laquelle le général anglais proposait de se rendre; quant à la première hypothèse, outre qu'elle ne justifie pas le dessin du vase, elle n'est pas plus admissible, vu que la forme athlétique et l'âge mûr de Washington étaient aussi connus dans l'armée britannique, que l'extrême jeunesse, la taille élancée et la figure juvénile de Lafayette. A la défaite et à la mort du général anglais Braddock, vingt-cinq ans auparavant, Washington, qui était son aide-de-camp, avait été hautement distingué, et ce n'était que peu de mois avant la reddition d'York que lord Cornwallis écrivait, en poursuivant Lafayette : Le garçon ne m'échappera pas. Si nous portons encore plus loin la liberté de l'hypothèse, et si nous supposons que le général anglais voulût montrer du mépris à Washington, et, s'il était possible, le mortifier en affectant de se rendre à un officier français qu'il aurait reconnu comme son vainqueur, ce dessein était rempli par son approche momentanée du comte Rochambeau; et il n'est pas vraisemblable qu'il eût adressé des respects et une soumission simulés à un Français, dont le dévouement à la cause de la révolution passait aux yeux des Anglais pour leur être fort préjudiciable, et qui avait été appelé par lord Cornwallis, petit garçon: Cette dernière supposition est encore trop antipathique avec le caractère des personnages pour être admise un seul moment. Le général O'Hara était un officier si brave, si honorable, si loyal, qu'il ne pouvait imaginer cette sorte de taquinerie puérile; et Washington avait dans l'esprit trop d'élévation fet de noblesse pour s'y montrer sensible ou s'en apercevoir. D'ailleurs O'Hara, n'ignorant point qu'aux termes de la capitulation, lui et son armée devaient être au pouvoir de la seule armée américaine, se fût-il exposé, même s'il en avait eu le désir, à une tricherie méprisable, qui aurait irrité ses troupes, si elle ne pouvait insulter le général américain? Nous voyons donc que l'histoire et la probabilité rejettent toutes deux le dessin de l'artiste. Il faut remarquer que l'auteur, dont j'ai cité les paroles, ne parle nullement d'une épée offerte et refusée en cette circonstance; il dit que Washington adressa le général prisonnier au général Lincoln afin que ce dernier lui fit connaître les formalités de la reddition. Outre que ce récit a, en sa faveur, l'autorité de témoins oculaires, il est encore appuyé dans tous ses détails par des circonstances bien connues et liées à cet événement. Quand lord Cornwallis proposa, dans sa lettre du 17 octobre, qu'on accordât à son armée les honneurs ordinaires, le général Washington, qui savait qu'un an auparavant on les avait refusés au général Lincoln, à la reddition de Charleston, répondit, dans sa lettre du 18: Il sera rendu à l'armée anglaise les mêmes honneurs que ceux qui ont été accordés à la garnison de Charleston. Par considération pour l'amour-propre de Lincoln, qui, à Charleston, avait été sévèrement mortifié, Washington lui attribua l'honneur de recevoir la reddition d'York. Le quatrième article de la capitulation établit que les officiers garderont leurs armes. de côté, ou, comme il est écrit dans la copie française, que les officiers garderont leurs épées; le silence de la narration dont j'ai parlé, sur l'épée du général anglais, est donc une autre preuve de son exactitude. Mais le graveur s'adressant aux yeux, peut-être y avait-il nécessité pour lui de représenter le général anglais offrant son épée, afin de déterminer, entre les acteurs, l'important rapport de vainqueur et de prisonnier; la liberté qu'il a prise aurait dû s'arrêter là. Car Lafayette, non seulement n'était pas dans la position où il le place, mais encore il ne devait pas plus s'y trouver qu'aucun autre général présent. Il était à la tête d'une division de l'armée assiégeante, mais les généraux Lincoln, Steuben, Viomenil et Nelson occupaient une position semblable, et, par leur âge et leur extérieur, ils étaient moins différens de Washington que ne l'était Lafayette. Il commandait un détachement qui prit à l'assaut une redoute sur la droite des assiégeans; mais le général Viomenil commandait un plus nombreux détachement qui prit d'assaut, sur la gauche, une redoute plus importante. Lafayette avait commandé une force opposée à Cornwallis, avant que Washington et Rochambeau n'arrivassent en Virginie; mais pendant cette époque, ses efforts ne tendirent pas à vaincre Cornwvallis, mais à lui échapper. Il reçut les remercîmens du commandant en chef et du congrès pour ses services au siége d'York; mais les généraux Lincoln et Steuben en reçurent d'aussi grands, et on distingua encore plus Rochambeau, Chastellux, Viomenil, Nelson, Knox et du Portail. Quant à Washington, la dénomination de vainqueur lui fut donnée par ses amis et ses ennemis ; car il conçut le plan d'attaque contre Cornwallis, il commanda l'armée combinée, il dirigea les opérations du siége et dicta les termes de la reddition. Quand le général anglais ne put plus résister, ce fut à Washington qu'il offrit de se soumettre, et l'abbé Robin, dans ses réflexions sur la conduite de Cornwallis, dit (page 173) qu'il jouissait de la plus haute confiance parmi ses troupes, et qu'il s'était rendu si formidable à ses ennemis, qu'ils croyaient que Washington était le seul homme capable de le combattre. D'après ces observations, justifiées par des preuves directes et indirectes, j'espère que l'Institut décidera que, non seulement la vérité de l'histoire n'a pas été respectée, mais a été encore outragée dans le dessin du vase de Lafayette, en ce qui concerne le siége d'York; et que si un graveur américain représentait le maréchal Soult comme le vainqueur d'Ulm, refusant de recevoir l'épée du général prisonnier, et indiquant l'empereur, il ne ferait pas plus de tort à la gloire de Napoléon, qu'il n'en a été fait, en cette circonstance, par le graveur français à la mémoire de Washington. Un exemplaire de la vie de Washington, par Marshall est dans la bibliothèque de l'Institut; les ouvrages de Tarleton peuvent être consultés à bibliothèque du dépôt général de la guerre, et j'ai l'honneur d'offrir à l'institut des exemplaires des deux ouvrages cités dans cette lettre. La 1re et la 6 classes de l'Institut historique (histoire générale et histoire de France) ayant renvoyé l'examen de cette question à une commission mixte, M. Germain Sarrut, nommé rapporteu?, a exprimé en ces termes son opinion et celle de ses collègues : MESSIEURS, Vous avez soumis à notre examen la question suivante soulevée par M. le major Lee. - L'artiste qui a dessiné l'un des bas-reliefs du vase offert au général Lafayette par la garde nationale de Paris, n'a-t-il pas commis une erreur historique en représentant M. le marquis de Lafayette, après la capitulation d'Yorck-Town, refusant de recevoir l'épée que lui rend le général anglais O'Hara, prisonnier, et renvo ant cet honneur au général Washington, comme au chef de l'armée combinée des Etats-Unis et de France? J'ai lu avec attention la lettre de M. le major Lee, et, dès les premiers mots, ses raisonnemens logiques m'ont convaincu; toutefois, à l'appui de la vérité historique des faits attestés par les témoins oculaires, il m'a paru qu'il convenait de réunir en un faisceau les preuves morales que la méprise n'a pu avoir lieu, ni avec intention, ni sans intention, de la part du général anglais. Il convient, je pense, à la digné de l'Institut de trancher cette question; plus le général Lafayette est grand aux yeux de ses contemporains et plus il a de titres aux respects de la postérité, plus il convient de ne point souffrir que des artistes se fassent les adulateurs de sa mémoire. Le vase offert à Lafayette sera religieusement conservé dans sa famille; c'est un monument remarquable, qui fait le plus grand honneur à l'habile ciseau de M. Fauconnier; inscrivons notre protestation contre le mensonge officiel que ce vase portera à la postérité, nous nous le devons à nous-mêmes. - En 1778, profitant de la lutte engagée sur le continent de l'Amérique septentrionale, entre les colonies anglaises et leur métropole, la France protégea la république naissante et fournit aux insurgés toute espèce de secours, mais nul traité ne fut conclu entre le cabinet de Versailles et les insurgés; — Louis XVI n'autorisa même pas la jeune noblesse rfrançaise à se ranger sous les drapeaux de l'indépendance; les trois premies Français d'un rang distingué qui offrirent leur épée aux Américains furent MM. de Noailles, Lafayette et Ségur. La cour n'eut pas plus tôt connu leur dessein, que le ministère leur enjoi. gnit formellement d'en abandonner l'exécution. MM. de Ségur et de Noailles obéirent, mais Lafayette, ayant, sous un prétexte plausible, fait un voyage hors de France, avait acheté un vaisseau qui devait l'attendre dans un port d'Espagne. Il l'avait armé et s'était procuré un bon équipage; il revint à Paris, enrôla plusieurs officiers, et s'éloigna promptement pour se rendre en Espagne, et de là en Amérique. La cour, informée de la désobéissance du jeune officier, envoya pour l'arrêter des ordres qui furent exécutés. Mais Lafayette trompa la vigilance de ses gardiens, s'échappa, franchit les Pyrénées, et retrouva sur la côte espagnole son vaisseau et ses compagnons d'armes avec lesquels il se hâta de mettre à la voile. Lafayette reçut en Amérique l'accueil le plus cordial, et peu après, revêtu de l'uniforme américain, il combattit vaillamment sous le drapeau de l'indépendance. Mais la France ne tarda pas à soutenir ouvertement la cause des Etats-Unis, et le cabinet de Versailles signa avec eux un traité d'amitié, par lequel Louis XVI reconnaissait et s'engageait directement à maintenir l'indépendance des colonies insurgées Dès ce moment, la guerie fut déclarée entre la France et l'Angleterre; toutefois notre marine seule fit vraiment les frais de cette guerre; la France n'envoya un secours effectif de six mille hommes, sous les ordres du général Rochambeau, qu'en 1780 (1); Mais les jeunes officiers, précédemment entrés au (1) L'armée, dont le commandement fut confié à M. de Rochambeau, était forte de 12,000 hommes, mais la marine ne fit embarquer qu'une première division composée de 6,000 homme, seulement. On promit au général que la seconde ne tarderait pas à le suivre. Cette promesse ne fut jamais remplie. 風 service des États-Unis, ne rejoignirent pas, pour la plupart, les drapeaux français : le mar quis de Lafayette, rentré en France depuis quelque temps et nommé major-général de l'armée que commandait le maréchal de Broglie, précéda l'armée de M. de Rochambeau en Ainérique. Il fut chargé par le gouvernement d'annoncer aux insurgés le prochain débarquement des secours envoyés par la France. Dès son arrivée, Lafayette fut investi du commandement des milices américaines. Il était encore à la tête de ce corps lors de la capitulaticon d'York-Town, car nous lisons dans les mémoires du temps que les Américains marchérent à l'assaut de cette place sous le commandement spécial des colonels-généraux Hamilton, Lawrens, Lincoln et Lafayette; et le corps français, sous les ordres du baron de Vioménil et du marquis de Saint-Simon. Enfin, lorsque les assiégés voulurent parlementer, ce n'est point M. Lafayette qui fut chargé de dresser les articles de la capitulation, mais bien le vicomte de Noailles comme représentant l'armée française, et le colonel général Lawrens comme représentant l'armée américaine. Cette capitulation enfin fut signée par les génératix Washington et Rochambeau, et par M. de Barras, chargé des pouvoirs du comte de Crasse, commandant de la marine. Les prisonniers anglais s'élevèrent au nombre de huit mille; on prit deux cent-quatorze pièces de canon et vingt-deux drapeaux. Les troupes anglaises défilèrent entre les deux corps d'armées alliées, ayant chacune en tête leurs généraux entourés de leur état-major, d'où il faut naturellement conclure que le général Lafayette, revêtu du costume de chef des milices américaines, devait se trouver, ou à la tête de son corps, ou bien, non loin de Washington, en arrière du colonel-général Lawrens. Le général Rochambeau, au contraire, placé en face de Washington, dût attirer les regards du général anglais, et celui-ci sans doute aimant mieux rendre son épée au représentant de la nation française qu'au chef des insurgés, s'approcha de Rochambeau et lui présenta son arme. A l'appui des autorités invoquées par M. le major Lee, je veux encore ajouter les détails que, sur cette journée, donne un parent, un ami intime de Lafayette; M. de Ségur s'exprime ainsi dans ses mémoires : « Comme lord Cornwallis était malade, le général O'llara « défila à la tête des Anglais, présenta son épée au général Rochambeau, mais celui-ci lui dit << en montrant Washington, à la tête de l'armée américaine: que l'armée française n'étant « qu'auxiliaire dans ce pays, c'était au général américain à recevoir son épée et à lui a donner des ordres. » Cette dernière autorité, ajoutée à celle invoquée par M. Lee, et à la puissance de ses raisonnemens, me paraît devoir décider les membres de la 1re et de la 6 classes à demander l'insertion dans le journal de l'Institut d'une protestation contre la méprise dont s'est rendu coupable l'artiste auquel est dû le dessin du bas-relief. Je dois, en terminant, rendre hommage à M. Fauconnier, chez lequel notre collègue, M. Jubinal et moi, nous nous sommes rendus, et qui, après nous avoir montré dans tous ses détails ce vase si remarquable par le fini de l'exécution et la richesse des divers ornemens, nous a déclaré n'avoir puisé à aucune source certaine le motif du dessin; il n'a invoqué, à l'appui de l'idée de l'artiste, que des récits de salon. Les conclusions du rapport de M. Germain Sarrut ont été adoptées par l'Institut historique, qui a déclaré que son rapport était la meilleure protestation contre la méprise signalée par M. le major Lee. REVUE D'OUVRAGES FRANÇAIS ET ÉTRANGERS. ARCHIVES CURIEUSES DE L'HISTOIRE DE FRANCE DEPUIS LOUIS XI JUSQU'A LOUIS XVIII, ου COLLECTIONS DE PIÈCES RARES ET INTÉRESSANTES, TELLES QUE CHRONIQUES; MÉMOIRES, PAMPHLETS, LETTRES, VIES, PROCÈS, TESTAMENS, EXÉCUTIONS, SIÉGES, BATAILLES, MASSACRES, ENTREVUES, FÊTES, CÉRÉMONIES FUNÈBRES, ETC., ETC., ETC., publiées D'après les textes conservés à la bibliothèque royale et accompagnés de notions Ouvrage destiné à servir de complément aux collections Guizot, Buchon', Petitot et Leber, РАВ M. L. CIMBER ET F. DANJOU, EMPLOYÉ AUXILIAIRE DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE, MEMBRE DE L'INSTItut historique. Paris. Beauvais, éditeur, membre de l'Institut historique, rue Saint-Thomas-du-Louvre, 26. ᎡᎪᏢᏢᎾᎡᎢ . Il y eut un temps où l'on se plaignait en France de la rareté des sources historiques. Peut-être avait-on raison de se plaindre, car beaucoup de découverte étaient encore à faire; et les travaux exécutés par de patientes congrégations ou de doctes académies restaient incomplets ou inaccessibles pour le plus grand nombre. Quelle différence aujourd'hui ! Les matériaux surabondent, la lumière nous vient de tous côtés, les antiques cités se révèlent, les ruines sortent de dessous terre; c'est pour le |