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celles-là seulement dont la notion est si claire et si distincte que l'esprit ne puisse la diviser en d'autres notions plus simples encore; telles sont la figure, l'étendue, le mouvement, etc. Nous concevons toutes les autres comme étant en quelque sorte composées de celles-ci, ce qu'il faut entendre de la manière la plus générale, sans excepter même les choses qu'il nous est possible d'abstraire de ces notions simples, comme quand on dit que la figure est la limite de l'étendue; entendant ainsi par limite quelque chose de plus général que la figure, parce qu'on peut dire la limite de la durée, du mouvement, etc. Dans ce cas, bien que la notion de limite soit abstraite de celle de figure, elle n'en doit pas pour cela paraître plus simple que celle-ci. Au contraire, comme on l'attribue à d'autres choses essentiellement différentes de la figure, telles que la durée et le mouvement, il a fallu l'abstraire aussi de ces notions, et conséquemment, c'est un composé d'éléments tout à fait divers, à chacun desquels elle ne s'applique que par équivoque.

« Nous disons, en second lieu, que les choses appelées simples par rapport à notre intelligence sont ou purement intellectuelles, ou purement matérielles, ou intellectuelles et matérielles tout à la fois. Sont purement intellectuelles les choses que l'intelligence connaît à l'aide d'une certaine lumière naturelle et sans le secours d'aucune image corporelle. Or, il en est un grand nombre de cette espèce, et, par exemple, il est impossible de se faire une image matérielle du doute, de l'ignorance, de l'action, de la volonté, qu'on me permettra d'appeler volition, et de tant d'autres choses que cependant nous connaissons effectivement, et si

facilement, qu'il nous suffit pour cela d'être doués de raison. Sont purement matérielles, les choses que l'on ne connaît que dans les corps, comme la figure, l'étendue, le mouvement, etc. Enfin, il faut appeler communes celles qu'on attribue indistinctement aux corps et aux esprits, comme l'existence, l'unité, la durée, et d'autres semblables. A cette classe doivent être rapportées ces notions communes qui sont comme des liens qui unissent entre elles diverses natures simples, et sur l'évidence desquelles reposent les conclusions du raisonnement, par exemple la proposition: deux choses égales à une troisième sont égales entre elles; et encore: deux choses qui ne peuvent pas être rapportées de la même manière à une troisième ont entre elles quelque diversité. Or, ces idées peuvent être connues ou par l'intelligence pure, ou par l'intelligence examinant les objets matériels.

« Au nombre des choses simples, il faut encore placer leur négation et leur privation, en tant qu'elles tombent sous notre intelligence, parce que l'idée du néant, de l'instant, du repos, n'est pas une idée moins vraie que celle de l'existence, de la durée, du mouvement.

« Cette manière de voir nous permettra de dire dans la suite que toutes les autres choses que nous connaîtrons sont composées de ces éléments simples. Ainsi, quand je juge qu'une figure n'est pas en mouvement, je puis dire que mon idée est composée, en quelque sorte, de la figure et du repos, et ainsi des autres.

<< Nous dirons, en troisième lieu, que ces éléments simples sont tous connus par eux-mêmes et ne contiennent rien de faux, ce qui se verra facilement si nous

distinguons la faculté de l'intelligence qui voit et connaît les choses, de celle qui juge en affirmant et en niant. Il se peut faire, en effet, que nous croyions ignorer les choses que nous savons réellement; par exemple, si nous supposons qu'outre ce que nous voyons et atteignons par la pensée, elles contiennent encore quelque chose qui nous est inconnu, et que cette supposition soit fausse. A ce compte, il est évident que nous nous trompons, si nous croyons ne pas connaître quelqu'une de ces natures simples, car si notre intelligence se met le moins du monde en rapport avec elles, ce qui est nécessaire, puisque nous sommes supposés en porter un jugement quelconque, il faut conclure de là que nous la connaissons tout entière; autrement, on ne pourrait pas dire qu'elle est simple, mais bien composée, d'abord de ce que nous connaissons d'elle, ensuite de ce que nous en croyons ignorer.

<< Nous disons, en quatrième lieu, que la liaison des choses simples entre elles est nécessaire ou contingente..

« Nous disons, en cinquième lieu, que nous ne pouvons rien comprendre au delà de ces natures simples et des composés qui s'en forment, et même il est souvent plus facile d'en examiner plusieurs jointes ensemble que d'en abstraire une seule. Ainsi, je puis connaître un triangle sans avoir jamais remarqué que cette connaissance contient celle de l'angle, de la ligne, du nombre trois, de la figure, de l'étendue, etc.; ce qui n'empêche pas que nous ne disions que la nature du triangle est un composé de toutes ces natures et qu'elles sont mieux connues que le triangle, puisque ce sont elles que l'on comprend en lui. Il y a plus : dans

cette notion du triangle, il en est beaucoup d'autres qui s'y trouvent et qui nous échappent, telles que la grandeur des angles qui sont égaux à deux droits, et les innombrables rapports des côtés aux angles ou à la capacité de l'aire. »>

A la fin de l'article dont nous venons de citer la première partie, après avoir parlé des idées déduites et composées, Descartes revient aux idées simples (p. 279). Il fait remarquer combien il est facile de connaître les natures simples; il suffit de les distinguer les unes des autres et de les considérer avec attention successivement et à part. Puis il parle contre les savants qui, d'habitude, sont assez ingénieux pour trouver le moyen de répandre des ténèbres même dans les choses qui sont évidentes par elles-mêmes et que les paysans n'ignorent pas. Il leur reproche des définitions comme celles-ci le lieu est la superficie du corps ambiant; le mouvement est l'acte d'une puissance, en tant que puissance.

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Au reste, ce que dit Descartes à ce sujet est bien commenté dans la Logique de Port-Royal, au chapitre vi de la Ive partie, sur les axiomes et sur les propositions claires et évidentes par elles-mêmes.

On voit, par ces diverses citations, ce que Descartes entend par les choses simples, qui sont pour lui les vrais éléments de la science. Il ne parle que des choses simples par rapport à l'intelligence, c'est-à-dire des pures conceptions; et cependant, il ne regarde pas comme simples les abstractions qui semblent provenir de diverses origines, par exemple la limite, qui peut venir de la durée comme de l'étendue. Ici, nous ne pouvons nous empêcher de faire une réflexion sur sa

doctrine. Ces conceptions simples peuvent être les éléments d'une science d'abstraction; ainsi, les surfaces, les angles, les lignes, etc., sont bien les éléments de la géométrie. Mais les conceptions simples ne sont pas les principes ou les commencements des sciences d'observation. Là, ce sont des composés que l'esprit connaît d'abord; ce n'est même qu'à cette condition que la méthode a pu être dite aussi plus tard analytique, ou méthode qui décompose. Quand nous ouvrons les yeux et que nous voyons un arbre, nous connaissons à la fois un bien grand nombre de choses diverses. Nouvelle preuve que la méthode de Descartes ne convient qu'aux sciences mathématiques. Au reste, - Descartes dit lui-même, en parlant des éléments : « Il est souvent plus facile d'en examiner plusieurs joints ensemble que d'en abstraire un seul. »

En résumé, il faut savoir que le but de la science est de connaître ce qu'il y a de plus simple en chaque chose, c'est-à-dire ce qui nous apparaît comme primitif dans les choses. Il faut remarquer que ce qui est primitif sous le point de vue de l'existence n'est pas toujours primitif sous le point de vue de la connaissance. Il faut distinguer la priorité d'existence de la priorité de connaissance. Dans un problème présenté à nos investigations, les propositions qui nous sont données sont les premières connues; mais elles sont ordinairement compliquées, embarrassées d'accessoires nombreux. Il faut partir des propositions données pour arriver, de simplifications en simplifications, jusqu'à la simplification la plus réduite. Voilà un premier mouvement qui semble remonter du composé au simple. En

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