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Plusieurs expressions de ce passage respirent la joic juvénile d'un affranchissement encore récent.

En voici un second, qui n'est pas moins concluant, en ce qu'il exprime que l'auteur n'avait encore fait jusquelà que des études préliminaires à la philosophie. Il se trouve à la fin des explications qu'il donne à la quatrième règle, qui établit la nécessité de la méthode dans la recherche de la vérité. Suivant lui, il est une science générale, une science mathématique générale qui doit être étudiée avant toutes les autres, et que malheureusement on dédaigne parce qu'on la croit trop facile et que l'on veut aller à des études plus élevées et plus difficiles. « Pour moi, ajoute-t-il, qui ai la conscience de ma faiblesse, j'ai résolu d'observer constamment, dans la recherche des connaissances, un tel ordre, que commençant toujours par les plus simples et les plus faciles, je ne fisse jamais un pas en avant pour passer à d'autres que je ne crusse n'avoir plus rien à désirer sur les premières. C'est pourquoi j'ai cultivé jusqu'à ce jour, autant que je l'ai pu, cette science mathématique universelle, de sorte que je crois pouvoir me livrer à l'avenir à des sciences plus élevées sans craindre que mes efforts soient prématurés... » (Page 224.)

Il en était donc encore au début, aux préliminaires de ses études de philosophie.

Voici ce que nous dit de ce petit ouvrage le savant Baillet de la Neuville, auteur d'une Vie de Descartes et de plusieurs recherches curieuses d'érudition:

<< Parmi les ouvrages que les soins de M. Chanut ont fait écheoir à M. Clerselier, il n'y en a point de plus considérable, ni peut-être de plus achevé que le Traité latin qui contient des règles pour conduire notre esprit dans

la recherche de la vérité. C'est celui du manuscrit de M. Descartes, à l'impression duquel il semble que le public ait le plus d'intérêt.... Il (Descartes) divise en deux classes tous les objets à notre connaissance (v. p. 283); il appelle les uns Propositions simples et les autres Questions. Les maximes relatives aux propositions simples consistent en douze règles. Les questions sont de deux sortes celles que l'on conçoit parfaitement, quoiqu'on en ignore la solution, et celles qu'on ne conçoit qu'imparfaitement. Il avait entrepris d'expliquer les premières en douze règles, comme il avait fait des propositions simples, et les dernières en douze autres règles; de sorte que tout son ouvrage, divisé en trois parties, devait être composé de trente-six règles pour nous conduire dans la recherche de la vérité. Mais en perdant l'auteur, on a perdu toute la dernière partie de cet ouvrage et la moitié de la seconde. >>

La division des objets accessibles à la connaissance humaine en propositions simples et en questions, indiquée par Baillet de la Neuville, se trouve dans le texte de l'ouvrage, après les explications de la douzième règle, sans doute comme introduction aux règles des questions. Relativement à la division elle-même en propositions simples et en questions, elle distingue, d'une part, les énoncés qui sont évidents par eux-mêmes, ou qui, du moins, sont clairement compris par celui qui les émet; d'autre part, les énoncés qui ne sont pas compris, ou qui, étant compris quant à leur signification, laissent quelque chose à démontrer ou à éclaircir dans leur contenu. Lorsqu'on a une réunion de propositions simples et qu'on veut en tirer toutes les vérités qu'elles contfennent, le seul travail qui reste à faire, c'est de les ordon

ner entre elles et de les développer; c'est de poser d'abord celles qui sont des principes, de tirer les conséquences qu'elles renferment, et d'ordonner entre elles les propositions premières et leurs conséquences; c'est d'avoir recours à l'intuition et à la déduction, comme le dira Descartes, et de faire régner l'ordre dans tous les produits de ces deux facultés. Pour les questions, le travail est plus compliqué: il faut les comprendre, les traduire, les simplifier, les diviser, puis en prouver ou en éclaircir les énoncés; et ce n'est qu'après ce travail préliminaire que l'on pourra faire à leur égard les mêmes opérations que pour les propositions simples.

Puisque les propositions simples sont clairement comprises, les règles que Descartes établit à leur sujet roulent sur une matière connue, qu'il s'agit seulement d'exposer avec lucidité; elles constituent donc une méthode d'exposition; et puisque les questions ont pour objet des doutes à éclaircir, des recherches à faire, les règles qui les concernent constituent une méthode pour la recherche de la vérité. C'est ainsi que paraissent avoir entendu cette division les auteurs de la Logique de PortRoyal, qui, sous l'inspiration de Descartes, ont établi une méthode de composition ou de doctrine et une méthode d'invention ou de résolution, méthodes auxquelles ils ont cru pouvoir donner aussi les noms de synthèse et d'analyse. (Voyez la Logique de Port-Royal, Ive part., chap. II.)

Nous allons d'abord faire connaître les douze premières règles de Descartes, qui concernent les propositions simples, et qui constituent la méthode de composition; et nous indiquerons ensuite les autres règles que

Descartes nous a laissées sur les questions, et dont l'ensemble devrait former la méthode de résolution.

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RÈGLES POUR LES PROPOSITIONS SIMPLES.

Tous ceux qui s'occupent de philosophie connaissent les quatre règles données par Descartes pour la recherche de la vérité, dans son discours sur la méthode ; mais ces quatre règles, même avec les explications qui les accompagnent dans ce discours, sont peu précises; elles laissent du moins, dans l'esprit du lecteur qui veut s'en rendre compte, beaucoup d'incertitudes. Eh bien! dans l'ouvrage dont nous parlons ici, on trouve tous les commentaires désirables sur ces quatre règles, et d'autres idées qui ne sont guère moins importantes. Nous allons essayer de les faire connaître; mais, pour les apprécier, nous devons reprendre notre idée générale de la méthode.

Ainsi que nous l'avons dit, tous les préceptes que l'on peut donner sur la méthode se rapportent 1° ou à l'objet qu'il faut choisir, diviser, et dont il faut ordonner les parties; 2° ou au point d'arrivée, au degré de savoir où l'on veut parvenir, attendu qu'on peut rester à l'étude des faits, ou bien s'élever à la connaissance des lois, ou aspirer à celle des causes, tant secondes que premières; 3o ou au choix des moyens de connaître dont nous devons faire usage pour l'étude de chacune des parties de l'objet, soit que l'on admette, soit qu'on rejette le témoignage des hommes et les enseignements de l'autorité;

4o ou au choix des procédés que l'on doit exécuter avec les facultés et avec les autres moyens de connaître propres à l'étude de l'objet.

Dans ce tableau sommaire des questions dont une méthode suppose la solution quand elle cherche la vérité sur les réalités, il en est plusieurs qui ne seront point traitées par Descartes, à cause de l'idée étroite qu'il s'est formée de la science, et, par suite, des moyens de la constituer. Descartes est un esprit idéalisateur, et s'il est d'accord avec sa nature, il ne devra exercer que les facultés idéalisatrices et ne voir dans l'objet d'une science que ce qui se trouve dans une science abstraite, c'est-àdire des choses d'une nature homogène, des principes et des conséquences, un connu et un inconnu; puis, avec ces deux éléments, un ordre, une disposition entre les parties de l'objet et un ensemble convenable d'opérations pour passer du connu à l'inconnu. De fait, professant que l'expérience est pleine d'erreurs, Descartes ne s'occupe que des intuitions de la raison, de ce que Kant appellera plus tard les concepts de la raison, et il se borne à les développer, à en tirer des déductions. Pour lui, dans la science, il y a deux termes extrêmes : les idées intuitives et les idées déduites, l'intuition et la déduction; puis l'ordre des opérations qui nous font passer des idées intuitives aux idées déduites. Par cette idée de la science et du travail scientifique, est donnée l'explication de tout ce qui se trouve dans la méthode scientifique de Descartes et de tout ce qu'on est d'abord étonné de n'y pas rencontrer. Il ne s'occupe point de la nature de l'objet, puisqu'il n'y a pour lui qu'une seule nature d'objet. Il n'y a pas non plus plusieurs manières de diviser l'objet, tirées de la diversité de nature de l'objet : l'objet

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