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tolérance universelle ont été débattues entre lui et Henri IV. Il est impossible de préciser ce qui dans ces idées appartient au ministre et ce qui appartient au roi. Laissons donc la question de personnes de côté, et tenons-nous au fond.

Est-il vrai que la république chrétienne soit une chimère ? L'utopie, quand elle est conçue par un esprit élevé, est l'idéal à distance, comme le dit un illustre poète. Cela est si vrai, que ce qui était utopie au XVIe siècle, est une réalité au xix. Que dis-je? La révolution a dépassé l'utopie. La liberté religieuse était repoussée par les catholiques comme une chose criminelle; les protestants la réclamaient, mais timidement et avec mille restrictions; Henri IV et Sully la limitaient aux catholiques, aux calvinistes et aux luthériens. Aujourd'hui la liberté de religion et de pensée la plus absolue se trouve inscrite dans des constitutions faites par des catholiques! L'idée d'une confédération européenne, utopie au xvire siècle, ne peut plus être traitée de chimère au xix, depuis que nous avons vu les rois les plus puissants de l'Europe contracter une sainte alliance pour le maintien de l'ordre et de la paix dans la chrétienté. La sainte alliance des peuples suivra la sainte alliance des rois, et alors la république européenne de Sully entrera dans le domaine des faits. Sully avait un profond sentiment de la solidarité qui unit les nations en une grande famille; nous lisons dans ses Mémoires : « Autant il y a de divers climats, régions et contrées, autant semble-t-il que Dieu les ait voulu diversement faire abouder en certaines propriétés, commodités, denrées, matières, arts et métiers spéciaux et particuliers, qui ne sont point communes, afin que par le trafic et commerce de ces choses, dont les uns ont abondance et les autres disette, la fréquentation, conversation et société humaine soient entretenues entre les nations. » Il y a donc une société humaine, qui embrasse toutes les nations; c'est Dieu même qui l'a établie, et qui pousse les peuples à y entrer, par la plus forte des nécessités, par leurs besoins. C'est reconnaître ce qu'il y a d'individuel dans la création et de commun; l'idée de confédération est la formule politique de ces deux faces de l'humanité. Les publicistes et les historiens, qui ne tiennent compte que des faits, peuvent encore, au XIXe siècle, considérer la république européenne comme irréalisable, et nous sommes de leur avis; mais il ne peuvent plus la déclarer impossible, en présence de la

confédération qui embrasse une partie du nouveau monde (1). Sans doute, la paix, l'harmonie, la fraternité resteront toujours à l'état d'idéal; l'imperfection humaine et la réalisation complète d'un idéal quelconque sont choses contradictoires. Cela n'empêche pas qu'il n'y ait un idéal, et il n'est autre que celui qui a été conçu par Henri IV et Sully, car leur république donne satisfaction aux deux éléments de la nature humaine, à l'unité et à la diversité. C'est surtout ce dernier point qui fait honneur à Henri IV et à Sully : ils se sont élevés au dessus de l'ambition de la monarchie universelle, et ont respecté l'élément de nationalité qui au XVIIIe siècle était encore méconnu : ils organisaient la nation italienne, ils affranchissaient la Bohême et la Hongrie du joug de l'Autriche. L'idée que les historiens ont crue indigne de Henri IV et de Sully, sera considérée un jour comme leur titre de gloire.

(1) Écrit en juillet 1859.

LIVRE II

DROIT DES GENS

CHAPITRE I

LE DROIT DES GENS MODERNE

I

Le droit des gens date de l'ère moderne qui s'ouvre avec le XVIe siècle. Les anciens l'ignoraient, même le peuple juridique par excellence, les Romains. Il y a de cela une raison très simple. L'idée du droit international implique que les nations sont liées entre elles par des droits et des devoirs communs; elle suppose donc que les nations sont constituées, et que leur indépendance, est reconnue; elle suppose encore que les nations se considèrent comme membres d'une grande famille, ayant comme tels des obligations et des droits. Or, dans l'antiquité, il y avait des cités et des empires, il n'y avait pas de nations; les philosophes concevaient vaguement la fraternité des peuples, mais cette croyance n'était pas entrée dans la conscience générale; c'était un instinct plutôt qu'un principe juridique. De fait, l'idéal du monde ancien était la monarchie universelle, ce qui revient à dire que la force dominait dans les relations des peuples, comme elle régnait dans les rapports de maître à esclave. Il n'y a pas de droit là où l'existence individuelle des êtres juridiques n'est pas reconnue, et cette notion est étrangère à l'antiquité.

Comme le Christ proclame l'égalité et la fraternité des hommes,

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