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pour toujours par le succès que le roi y eut, et qu'il aban donna pour l'amour.

SAINT-SIMON, Mémoires, 1715, t. XIII, c. 1.

Ces hommes lâches qui abandonnent leur foi pour une médiocre pension. MONTESQUIEU, Lettres persanes, 145.

Qui depuis, égarée en ce funeste lieu,
Pour un maître barbare abandonna son Dieu.
VOLTAIRE, Zaïre, II, 1.

Quelquefois, dans cette locution, le régime de la préposition pour est un infinitif.

Ainsi il abandonna la pénitence pour suivre la volupté.

FLÉCHIER, Mémoires sur les grands jours de 1665, p. 114. Lors de la conquête du Mexique, les Espagnols abandonnèrent les richesses naturelles pour avoir des richesses de signes. MONTESQUIEU, Esprit des Lois, XXI, 22.

ABANDONNER peut, comme la plupart des verbes actifs, être pris absolument.

Je t'abandonne. Abandonnez.

MOLIÈRE, l'Avare, IV, 5.

La légèreté, qui fait que l'on entreprend sans sujet, et que l'on abandonne de même.

MONTESQUIEU, Esprit des Lois, XIV, 13. ABANDONNER se construit souvent, quel que soit le sujet, avec le pronom personnel, et, dans cette forme de construction, ne va guère sans un régime indirect. Il signifie alors Se livrer à quelqu'un, à sa puissance, à sa conduite, se laisser aller à quelque chose, sans aucune réserve, sans aucune retenue, et, comme dit énergiquement Nicot, par un souvenir plus présent de l'étymologie du mot dont il est plus voisin,« se rendre captif et esclave » à quelqu'un et à quelque chose.

S'ABANDONNER à a donc souvent pour complément un nom de personne.

Vous apprendrez à la postérité que quand une fois les hommes s'abandonnent à la fortune, elle estouffe en eux toutes les bonnes semences de la nature.

VAUGELAS, trad. de Quinte-Curce, III, 2.

Il y a des cas dans lesquels il faut s'abandonner à Dieu.

RANCE, Lettres, 25 novembre 1691.

Valens s'abandonna tellement aux ariens qu'il opprima | tins, qu'ils s'abandonnoient aux délices, comme s'ils avoient les catholiques. lendemain à mourir.

FLÉCHIER, Vie de Théodose, I, 7. Pygmalion se défie des gens de bien et s'abandonne à des scélérats.

FENELON, Télémaque, III.

Franceis murrunt, si à nus s'abandunent.

Chanson de Roland, str. LXXII, v. 13.

Qui a bele et buene amie,
Del tot (entièrement) s'i doit abandoner.
Partonopeus, V. 29.

Les grans dons que cil (ceux) me donnoient,
Qui tuit à moi s'abandonnoient,

Au miex amé abandonnoie :

L'en (on) me donnoit et ge donnoie.

Roman de la Rose, v. 14660.

Puisqu'il se veult à vous abandonner,
Legierement luy devez pardonner.

CHARLES D'ORLÉANS, Enfance et jeunesse du prince.
Ceci montre aux provinces

Que, tout compté, mieux vaut en bonne for
S'abandonner à quelque puissant roi
Que s'appuyer de plusieurs petits princes.
LA FONTAINE, Fables, VIII, 18.
Fais ce que tu voudras; je m'abandonne à toi.
RACINE, Phèdre, III, 3.

Charles, qui s'abandonne à d'indignes ministres. VOLTAIRE, Adélaïde du Guesclin, III, 7.

Plus souvent encore, le complément de S'ABANDONNER à est un nom de chose. Les exemples en sont innombrables, ce nom variant presque à l'infini comme les objets de notre asservissement.

On peut toutefois les ranger dans deux classes principales, selon que ces objets sont hors de nous

ou en nous.

MONTAIGNE, Essais, Il, 1.

Elle s'y abandonna (aux affaires) parce qu'elle s'abandonnoit à tout ce qui plaisoit à celui qu'elle aimoit.

LE CARDINAL DE RETZ, Mémoires, liv. II, année 1649. Pour faire ce grand effort, de nous détacher de nousmêmes, il faut avoir quelque objet qui soit dans une si haute élévation que nous croyions ne rien perdre en renonçant à nous-mêmes pour nous abandonner à lui sans

réserve.

Dieu a mis quelque chose en nous qui peut se soumettre à sa souveraine puissance, s'abandonner à sa haute et incompréhensible sagesse.

...

BOSSUET, Sermons. Sur la charité fraternelle; Oraison funèbre de la duchesse d'Orléans.

Comme ces pilotes qui, se trouvant surpris par l'orage en pleine mer, sont contraints de quitter la route qu'ils veulent tenir, et de s'abandonner pour un temps au gré des vents et de la tempête.

FLÉCHIER, Oraison funèbre de Turenne.

Le temps que Dieu lui donne (à l'âme) est trop précieux, pour le perdre malheureusement dans ces vains amusements, de sorte que lorsqu'elle s'y abandonne, il faut que ce soit en s'aveuglant elle-même.

NICOLE, Essais, de la Comédie, c. 10. Comment, pendard! c'est toi qui t'abandonnes à ces coupables extrémités! MOLIÈRE, l'Avare, II, 2.

Ce fut par de semblables discours que la perfide Marcelle ébranla Léonor, qui, se laissant étourdir sur le péril

qui la menaçoit, s'abandonna de bonne foi, quelques jours après, aux mauvaises intentions du comte.

LESAGE, le Diable boiteux, c. 4.

On sait comment les Étoliens, qui s'étoient abandonnés à leur foi, furent trompés. Les Romains prétendirent que la signification de ces mots, s'abandonner à la foi d'un en

A la première classe appartiennent les exemples nemi, emportait la perte de toutes sortes de choses, des

qui vont suivre :

Le roi Édouard... leur pria que chacun fust appareillé (armé) selon son estat, et fussent à un jour, qui adonc fut nommé, droit à Neuf-Chastel sur Tyne, pour aller reconquérir les droitures appartenans à son royaume d'Angleterre. Chacun s'abandonna à cette requeste.

FROISSART, Chroniques, I. I, part. 1, c. 56. Empedocles remarquoit cette difformité aux Agrigen

personnes, des terres, des villes, des temples et des sépultures mêmes.

MONTESQUIEU, Grandeur des Romains, c. 6.

Et qui au mal se tient et donne

À la mort d'enfer s'abandonne.

Nouv. rec. de Fabl. et cont. anc., Méon, t. II, p. 457.

Plus n'est saison qu'à nul bien m'abandonne.
CHARLES D'ORLÉANS, Ballades, CXXI

Venez-vous m'enlever dans l'éternelle nuit?
Venez, à vos fureurs Oreste s'abandonne!
RACINE, Andromaque, V, 5.

Bientôt ils oseront, les yeux vers les étoiles,
S'abandonner aux mers sur la foi de leurs voiles.
L. RACINE, la Religion, III
Aux plaisirs où le monde en foule vous appelle,
Abandonnez-vous prudemment.
VOLTAIRE, Épitres, 4.

L'une mûrit l'été, l'autre tombe en automne,
Celle-ci dans l'hiver à la main s'abandonne.

Les dégoûts ont d'avance affaibli les regrets;
La mort ainsi se glisse, et quand le ciel l'ordonne,
L'homme comme un fruit mûr au trépas s'abandonne.
DELILLE, trad. des Géorgiques, II; l'Imagination, VI.

S'A

Dans la plupart des exemples qui précèdent, BANDONNER à, c'est Se livrer à, se laisser entraîner par; dans d'autres il a le sens de S'exposer à. Ses aversaires s'abandona à ce grant péril. Le Conseil de Pierre de Fontaines, c. vi, § 5.

S'abandonner au danger d'estre outragé.

Nicor, Thrésor de la langue françoise.
Il s'abandonne au bras qui me voudra venger.
RACINE, Andromaque, IV, 3.

À tels périls ne faut qu'on s'abandonne.

LA FONTAINE, Contes, IV, 9.

Une seconde classe d'exemples se rapporte au cas très-fréquent où nous nous abandonnons à ce qui est en nous, à nos dispositions de toutes sortes, physiques, morales, intellectuelles, à nos sentiments, à nos passions, etc.

S'ABANDONNER à y est pris dans des sens très

divers.

1o Dans un sens qui n'emporte ni blâme ni éloge :

Quittant sa résolution, il s'abandonna au deuil et aux regrets.

MONTAIGNE, Essais, I, 2.

Quoi! tandis que Néron s'abandonne au sommeil, Faut-il que vous veniez attendre son réveil? RACINE, Britannicus, I, 1.

M'abandonnant à la tristesse,

Sans espérance, sans désirs,

Je regrettois les sensibles plaisirs
Dont la douceur enchanta ma jeunesse.
LA FARE, Vers à madame de Caylus.

2o Dans un sens défavorable :

Ainsi tous les présents de la fortune vous seront un engagement pour vous abandonner tout à fait à des prétentions infinies.

BOSSUET, Sermons, sur l'Impénitence finale.

Dieu tempère la prospérité des hommes puissants par des peines presque inévitables, et les abandonne aux traits envenimés de l'envie, de peur qu'ils ne s'abandonnent euxmêmes à l'ambition et à l'orgueil.

FLÉCHIER, Oraison funèbre de madame d'Aiguillon.

Mon maître donc, après avoir réfléchi, s'abandonne à la rage, il demande ses pistolets.

Je ne triomphois de mes tentations qu'en m'y abandon

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3o Dans un sens favorable:

On a dit aussi, très-anciennement, devant un

Il (l'orateur qui récite de mémoire) ne peut s'abandon- infinitif, au lieu de s'abandonner à, S'ABANDONNER

ner à un mouvement extraordinaire, sans se mettre en danger de perdre le fil de son discours.

de.

Celle y vint et fut la plus simplement atournée qu'elle

Vous n'avez rien à craindre ici : tout vous est favorable. put, pour tant qu'elle ne vouloit mie que le roi s'abandonAbandonnez vous donc à la joie.

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S'ABANDONNER a eu quelquefois un infinitif pour régime indirect; et cette forme, qui semble énergique et vive, est appuyée par de fréquents exemples, dont quelques-uns très-anciens.

Se aucuns amoneste à un enfant à abandoner soi à péchier... il soit envoiez en essil.

Li Livres de Jostice et de Plet, fol. 178 ro, c. 1, ms., Bibl. nat. Car ceulx qui se habandonnent à merchander à tous, il font ceste chose affin de acquisition de pecunes.

Nicolas ORESME, trad. de la Politique d'Aristote, VII, 12. Le moindre défaut des femmes qui se sont abandonnées à faire l'amour, c'est de faire l'amour.

LA ROCHEFOUCAULD, Maximes, 131.

Je ne suis pas de ces gens qui s'abandonnent à parler de leurs maîtres à tort et à travers.

HAUTEROCHE, le Cocher, sc. 3.

Ne quide eschaper ne eissir:

(Aucun ne croit échapper ni en sortir) Tuit (tous) s'abandonent à morir.

BENOÎT, Chron. des ducs de Normandie, v. 37345.

Et la dame s'abandona

A regarder frère Denise.

RUTEBEUF, De frère Denise.

Li rois Richart tant leur donnoit,
Que chascun d'eus s'abandonnoit
À lui honourer et servir.

G. GUYART, Royaux lignages, v. 1979.

Chascuns à prandre s'abandone.

Nouv. rec. de Fabl. et cont. anc., Méon, t. I, p. 184.

Et si dist (Ovide) : Cil qui s'abandone

A tost doner, que deus fois done!

Li Livres de Philosophie et de moralité, fol. 195 ro, c. 2 ; mis. 283, in-fol. B. L. Fr., à l'Arsenal.

FROISSART, Chroniques, l. I, part. 1, c. 192.

nát trop de la regarder.

Nus ne se doit abandoner

De prometre, ains doit tost doner,

Se il en est et lius et tans (lieu et temps). Li Livres de Philosophie et de moralité, fol. 195 vo, c. 2; ms. 283, in-fol. B. L. Fr., à l'Arsenal.

S'ABANDONNER de s'est dit aussi devant un subs

tantif.

Kar chascun jur de mort s'abandunet
(Car chaque jour à la mort il s'expose).
Chanson de Roland, str. XXVIII, V. 14.

S'ABANDONNER à, dans un sens particulier analogue à un des sens rapportés plus haut de la locution mettre en abandon, se dit d'un Mépris effronté des lois de la pudeur, d'une scandaleuse prostitution.

Ausi comme fait la fole feme, tu t'abandonnas à tous chiaus (ceux) qui à toi venoient.

Li Mireoirs dou monde, ms. 7363, fol. 207 1o, c. I.

Mais si, dit Panurge, estant malade et impotent au debvoir de mariaige, ma femme, impatiente de ma langueur, à aultruy s'abandonnoit.

RABELAIS, Pantagruel, III, 9.

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Pris absolument, il a encore la même acception.

... La femme qui, par faute de tenir la bride à son plaisir, s'est abandonnée...

H. ESTIENNE, Apologie pour Hérodote, c. xv, § 22. Semblables à ces malheureuses qui pouvoient s'abandonner publiquement avec impunité.

SAINT-RÉAL, de la Critique, c. 1.

Cette fille, d'un enjouement et d'une liberté qui promettait tout, eut pourtant l'adresse de ne se pas abandonner entièrement.

VOLTAIRE, Essai sur les mœurs, c. 135.

Fole est en fez, fole en parole;
Partot (partout) se vent, partot se done,
Partot s'otroie et abandone.

Nouv. rec. de Fabl. et cont. anc., Méon, t. II, p. 24.

À sa mère on bâtit autel;

Toute femme qui s'abandonne

La reconnoît pour sa patrone.

SCARRON, Virgile travesti, I.

A cet emploi de s'ABANDONNER répond celui qui est fait d'abandonner dans l'exemple suivant d'une date très-ancienne :

Cil fet holerie (métier infâme) qui a serves que il abandonne por vilain gaaing, et cil qui i abandonne sa fille est autresi mal renommez.

Anc. trad, du Digeste, fol. xxxvi, ro, c. I. S'ABANDONNER, toujours employé sans régime indirect, a plusieurs autres acceptions; il peut signifier : 1o Se livrer, se laisser emporter, soit au sens physique, soit au sens moral:

Au bout de cinq ou six jours, les deux sœurs (de Psyché) revinrent; elles s'étoient abandonnées dans les airs comme si elles eussent voulu se laisser tomber.

LA FONTAINE, Psyché, I.

Le peuple ne paroissoit dans la ville que pour y passer avec précipitation. Nul entretien, nulle familiarité tout y étoit farouche et comme alarmé par le bruit des chars qu'il falloit éviter et qui s'abandonnoient au milieu des rues, comme on fait dans une lice pour remporter le prix

de la course.

LA BRUYÈRE, Caractères, c. 3.

2° Se laisser aller à des mouvements naturels : Ne vous roidissez pas, abandonnez-vous. Cet acteur ne s'abandonne pas assez. Dictionnaire de l'Académie,

3o Cesser de veiller sur soi, de s'observer, de se régler.

La véritable grandeur ..... s'abandonne quelquefois, se néglige, se relâche de ses avantages, toujours en pouvoir de les reprendre et de les faire valoir : elle rit, joue et badine, mais avec dignité. LA BRUYÈRE, Caractères, c. 2.

Lorsque la religion établit le dogmne de la nécessité des actions humaines, les peines des lois doivent être plus sévères et la police plus vigilante, pour que les hommes qui, sans cela, s'abandonneroient eux-mêmes, soient déterminés par ces motifs.

MONTESQUIEU, Esprit des Lois, XXIV, 14.

4° Se négliger dans son maintien, dans son habillement:

Il s'abandonne trop. Il ne faut pas s'abandonner ainsi lorsqu'on veut plaire.

Dictionnaire de l'Académie.

5o Perdre la confiance, le courage, renoncer à se défendre.

Je ne suis pas résolu de m'abandonner moy-mesme, et il ne sera pas dit que Philotas ayt contribué à sa condamnation.

VAUGELAS, trad. de Quinte-Curce, VI, 10.

Les hommes sont aujourd'hui tellement corrompus, que, ne pouvant les faire venir à nous, il faut bien que nous allions à eux : autrement ils nous quitteroient; ils feroient pis, ils s'abandonneroient entièrement.

PASCAL, Provinciales, VI. Cicéron ne pouvant plus douter qu'il n'en fût abandonné, s'abandonna pour ainsi dire lui-même.

VERTOT, Révolutions romaines, XIII.

On serait bien heureux si on pouvait s'abandonner soimême comme on peut abandonner les autres; mais on est forcément avec soi, et fort peu d'accord avec soi.

Mme DU DEFFAND, Lettres, 19 décembre 1770 (à H. Walpole). 6o Dans un sens contraire au précédent, Combattre sans se ménager, avec une ardeur emportée et téméraire, en désespéré.

Cet assaut dura moult longuement, et y perdirent les Escots moult de leurs gens; car ils s'abandonnoient dure

ment.

FROISSART, Chroniques, liv. I, part. 1, c. 163.

Les Templiers voulant laver dans leur sang la faute qu'ils avoient faite, s'abandonnoient avec fureur au travers des bataillons ennemis.

VERTOT, Histoire des chevaliers de Malte, I.

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