Page images
PDF
EPUB

Les idées que nous avons communément du simple ou du composé sont des idées d'abstraction.

ABSTRACTION s'emploie communément dans cette manière de parler Faire abstraction de, laquelle BUFFON, Hist. nat. Des Animaux, c. 2. De la repro- signifie Laisser de côté, négliger, et se dit en parlant duction en général. de faits, de circonstances, d'idées dont on ne tient pas compte:

L'idée dont on s'occupe par abstraction est tirée, pour ainsi dire, des autres idées qui ont rapport à celle-là; elle en est comme séparée, et c'est pour cela qu'on l'appelle idée abstraite.

DUMARSAIS, Des Tropes, III, x1. Sens abstrait.

Il me semble que l'évidence ne peut jamais ètre dans les lois naturelles et politiques qu'en les considérant par abstraction.

J.-J. ROUSSEAU, Lettres, 26 juillet 1767.

Il (Sieyes) avoit mené jusqu'à quarante ans une vie solitaire, réfléchissant sur les questions politiques, et portant une grande force d'abstraction dans cette étude.

Mme DE STAËL, Considérations sur la Révolution fran-
coise, II part., c. VI, § 10.

ABSTRACTION, en ce sens, ne se prend pas toujours ainsi absolument.

On le trouve quelquefois déterminé par un adjectif, tel que mentale :

L'opération de l'esprit qui la tire (l'idée) de son sujet s'appelle précision ou abstraction mentale.

BOSSUET, Logique, I, 22.

Il se lie aussi assez souvent, au moyen de la préposition de, à un mot qui fait connaître par quoi s'opère l'abstraction. Abstraction de l'esprit, des sens, du langage:

C'est... par une simple abstraction de l'esprit que le géomètre envisage les lignes comme sans largeur et les surfaces comme sans profondeur.

D'ALEMBERT, Essais sur les élémens de philosophie;
Géométrie, XV.

Parler, c'est donc abstraire, et l'abstraction du langage n'est pas moins naturelle que celle de l'esprit et des sens. .....Les sens font-ils des abstractions? le langage en fait-il? N'est-ce pas toujours l'esprit qui abstrait? L'observation est fondée... cependant nous croyons devoir conserver ces manières de parler abstraction des sens, abstraction du langage.

LAROMIGUIÈRE, Leçons de philosophie, XIe leçon.

Enfin, mes Pères, dites-moi, je vous prie, pour la dernière fois, ce qu'il faut que je croie pour être catholique. —Il faut, me dirent-ils tous ensemble, dire que tous les justes ont le pouvoir prochain, en faisant abstraction de tout sens: abstrahendo a sensu thomistarum, et a sensu aliorum theologorum.

PASCAL, Provinciales, I.

... Quand même on feroit abstraction du concours de Dieu, tout est lié parfaitement dans l'ordre des choses.

LEIBNITZ, Theodicée. De la bonté de Dieu, I'e part., §2.. Faites pour un moment abstraction des vérités révé lées, cherchez dans toute la nature, et vous n'y trouverez pas de plus grand objet que les Antonins.

MONTESQUIEU, Esprit des lois, XXIV, 10.

Le nombre des hommes croît et diminue indéfiniment, en raison des subsistances, en faisant abstraction des accidens passagers.

VOLTAIRE, Essai sur les mœurs, Remarques, XIX.

Faites abstraction de toutes les modifications l'une après l'autre, imaginez que ce que vous appelez substance ou sujet de ces modifications en soit dépouillé successivement, il ne vous restera plus l'idée de rien, et la substance ne sera plus qu'un mot que vous prononcerez.

D'ALEMBERT, Essais sur les élémens de philosophie, Éclaircissemens, § 7.

Pour juger sainement, je ferai abstraction de haine et

d'amour.

Mlle DE LESPINASSE, Lettres, 3 juillet 1775.

A l'égard des sociétés, si l'on veut faire abstraction de quelques différences d'expressions, on trouvera que la classe générale des gens du monde et la bourgeoisie opulente se ressemblent plus au fond qu'on ne le suppose. DUCLOS, Considérations sur les mœurs, c. 8.

ABSTRACTION ne se dit pas seulement de l'opération de l'esprit qui abstrait, mais encore de ce qu'elle produit, dans ces expressions: Une abstraction, des abstractions, etc.

De ce qu'une même chose peut être considérée sous

[blocks in formation]

D'ABSTRAIRE, ou plutôt du supin d'abstrahere, abstractum, on a tiré, outre ABSTRACTION, plusieurs mots: ABSTRACTEUR, ABSTRACTIF, ABSTRACTIVEMENT,

deux autres assez récemment introduits.

N'est-ce pas porter dans la réalité des ouvrages du le premier depuis longtemps sorti de l'usage, les Créateur les abstractions de notre esprit borné, et ne lui accorder, pour ainsi dire, qu'autant d'idées que nous en avons?

BUFFON, Manière d'étudier l'histoire naturelle. Discours I.

Nos abstractions mentales ne sont que des êtres négatifs, qui n'existent, même intellectuellement, que par le retranchement que nous faisons des qualités sensibles aux êtres

réels.

LE MÊME, Hist. nat. Des Animaux, c. 5. Exposition des
systèmes sur la génération.

Les idées distinctes et les vérités nécessaires sont moins sensibles, parce que nous ne les acquérons qu'en formant des abstractions, c'est-à-dire en ne donnant notre attention qu'à une partie des idées que les sens transmet

tent.

CONDILLAC, Art de penser, Ire partie, c. 2.

L'homme, pourvu de cinq organes, dont chacun lui sert à acquérir une espèce particulière d'idées, distribue nécessairement tous les objets sensibles en cinq espèces de qualités. Le corps humain, si l'on peut ainsi le dire, est une machine à abstractions.

LAROMIGUIÈRE, Leçons de philosophie, XIe leçon.
Pour les abstractions j'aime le platonisme.
MOLIÈRE, les Femmes savantes, III, 2.

Le pluriel abstractions se dit, dans une acception défavorable, des idées trop métaphysiques, des théories trop générales, trop vagues, qui ne peuvent recevoir d'application :

Cependant on sacrifiait à des abstractions et à de vaines espérances le bien des générations futures.

NAPOLEON, Mémoires, t. IV, p. 214.

ABSTRACTEUR, s. m.

Il se disait pour Alchimiste, et a désigné, par extension, un homme à esprit spéculatif, s'occupant de sciences abstruses, d'expériences, d'entreprises chimériques :

En contemplation des studieux desirs, desquelz me semblez avoir en vos cueurs faict insigne montjoye et suffisante preuve, je vous retiens presentement en estat et office de mes abstracteurs. (C'est Quintessence qui parle.) RABELAIS, Pantagruel, V, 22.

Cest abstracteur d'idées ou essences suivoit Eutrapel.
DU FAIL DE LA HERISSAYE, Contes d'Eutrapel, X.

Rabelais a signé le deuxième livre de son ouvrage du nom d'Alcofribas, abstracteur de quintes

sence.

ABSTRACTIF, IVE, adj.

Il se lit depuis quelque temps dans certains ouvrages scientifiques, où il qualifie :

Premièrement, une opération, une formule, une méthode d'abstraction;

Secondement, une substance ou un agent qui a la propriété d'abstraire, de séparer.

ABSTRACTIVEMENT, adv.

D'une manière abstractive, par abstraction:

Cette épreuve faite a donné à mes sentimens la forme

invariable qu'ils ont toujours observée abstractivement de toute réflexion.

J.-B. ROUSSEAU, Lettres, 14 mai 1731.

Cette analyse nous fera connoître que le mot sensation, pris abstractivement, n'exprime proprement aucune idée, mais que ce mot est seulement une expression commune à toutes les idées que nous recevons par les sens.

D'ALEMBERT, Essais sur les élémens de philosophie; Eclaircissemens, § 2. Abstractivement parlant, un reproche général peut être bien fondé. BEAUMARCHAIS, Mémoires, part. I. Ce qui pourra surprendre, c'est que ces deux mots, le génie, le goût, pris abstractivement, ne se trouvent jamais ni dans les vers de Boileau, ni dans la prose de Racine, ni dans les dissertations de Corneille, ni dans les pièces de Molière.

LA HARPE, Cours de littérature. Introduction.

cherche si abstruse et si embarrassante que les simples n'y connoissent rien.

BOSSUET, IIIe Avertissement aux protestans, § 25.

Il ne faut qu'une âme simple et innocente qui porte encore en elle ces traits primitifs de lumière que vous avez mis en elle en la créant, et qui ne les a pas encore obscurcis ou éteints par les ténèbres des passions, ou par les fausses lueurs d'une abstruse et insensée philosophie.

MASSILLON, Paraphrase des psaumes, VIII.

Il pénétroit déjà dans la géométrie la plus abstruse, et la perfectionnoit par ses découvertes à mesure qu'il l'étudioit. FONTENELLE, Éloge de Bernouilli.

Il y a dans le CoNtrains-les d'entRER de Bayle des choses beaucoup plus hardies à peine s'en est-on aperçu, parce que l'ouvrage est long et abstrus. Ceci est court et à la portée de tout le monde.

VOLTAIRE, Lettres, 2 janvier 1763.

ABSTRUS, par extension et dans le langage familier, se dit quelquefois des personnes : Ce philosophe

ABSTRACTIVEMENT n'avait paru dans aucun dictionnaire avant le Grand Vocabulaire, en 1767, et ce dictionnaire en attribuait par erreur (le premier des exemples cités le prouve) l'introduction à d'A-m'a paru fort abstrus. lembert.

ABSTRUS, USE, adj. (du latin Abstrusus, participe passif d'abstrudo, et, par ce mot, de abs et de trudo).

Ce mot, que ne donne aucun dictionnaire avant celui de J. Thierry, en 1564, désigne, en raison de ses deux éléments étymologiques, ce qui est enfoncé, éloigné, par conséquent difficile à aborder et à atteindre, et, figurément, difficile à comprendre. Il n'est usité qu'au figuré, et se prend ordinairement en assez mauvaise part :

Les grands esprits... par longue et religieuse investigation, penetrent une plus profonde et abstruse lumiere, es écritures.

Je ne trouve aulcune qualité si aysée à contrefaire que la devotion, si on n'y conforme les mœurs et la vie : son essence est abstruse et occulte; les apparences, faciles et pompeuses.

MONTAIGNE, Essais, I, 54; III, 2. On veut que ce consentement de l'Église, moyen que l'antiquité a toujours donné pour si facile, soit d'une re

ABSTRUS s'emploie aussi quelquefois substantivement. Il affecte d'être profond, et il tombe dans l'abstrus.

ABSTRUSEMENT, adv.
D'une manière abstruse.

Il a pu se dire en quelques occasions, puisque Monet l'a recueilli; mais on n'en cite point d'exemples, et il est absolument inusité aujourd'hui.

ABSURDE, adj. des deux genres (du latin Absurdus).

Absurdus se disait, au propre, de tout bruit qui assourdit, qui fatigue, qui répugne à l'ouïe, et, figurément, de toute chose qui répugne à l'esprit.

ABSURDE, par lequel on n'a pas d'abord traduit absurdus (voir le Glossaire lat.-fr. ms. du xin siècle, no 7692, Bibl. impér.), et qu'on ne rencontre pas dans nos dictionnaires avant celui de Rob. Estienne, en 1549, n'a jamais eu que la dernière de ces acceptions.

[blocks in formation]

Il ne se rebutoit point des propositions les plus ineptes ou des demandes les plus absurdes.

SAINT-SIMON, Mémoires, 1699, t. II, c. 22.

Il faut rendre l'intolérance absurde, ridicule et horrible, mais il faut respecter les préjugés.

La sentence qui condamne les Sirven est plus absurde encore que l'abominable arrêt contre les Calas.

VOLTAIRE, Lettres, 2 janvier 1763; 5 janvier 1769.

Je n'ai pu ni dù, d'aussi loin, former l'absurde projet de vous corrompre.

BEAUMARCHAIS, Mémoires, part. II. Suppl.

Il distille à longs traits son absurde malice.
VOLTAIRE, Discours en vers sur l'homme, III.

Du conseiller l'absurde prudhommie
Eût tout perdu par pure économie.

LE MÊME, Satires. Défense du Mondain.

[merged small][ocr errors][merged small]

Tous ces bruits pourtant, quoique si absurdes, ne laissoient pas que d'être écoutés par les du monde. gens J. RACINE, Hist. de Port-Royal, I.

On n'y trouve (dans les actes de la Tour de Londres) ni contradictions ni absurdités, ni prodiges; rien qui révolte la raison, rien, par conséquent, que des sectaires s'efforcent de soutenir ou de renverser par des raisonnemens absurdes,

VOLTAIRE, Dictionnaire philosophique, art. SECTE, sect. 1. Il y a dans l'histoire naturelle beaucoup de faits qui paroissent ridiculement absurdes.

BUFFON, Hist. nat., Oiseaux. La Gelinotte.

La logique du cœur est absurde.

Mlle DE LESPINASSE, Lettres, 27 août 1775.

plus absurdes calomnies, gens honnêtes! interrogez enfin

Et si tant de témoignages ne balancent pas en vous les

mon intérêt.

BEAUMARCHAIS, Mémoires, part. II, Suppl. Quelque absurde que soit ce récit, il paroît avoir un fondement réel.

BARTHÉLEMY, Voyage d'Anacharsis, c. 36. Une merveille absurde est pour moi sans appas; L'esprit n'est point ému de ce qu'il ne croit pas. BOILEAU, Art poétique, III.

ABSURDE se construit quelquefois avec la préposition à :

Il mentait à son cœur, en voulant expliquer
Ce dogme absurde à croire, absurde à pratiquer.
VOLTAIRE, Discours en vers sur l'homme, II.

Il est absurde de, il est absurde que, et autres locutions analogues, sont fort usitées.

Il est absurde de, etc.:

Il seroit absurde de dire que le Créateur, sans ces règles, pourroit gouverner le monde.

MONTESQUIEU, Esprit des lois, I, 1. Il me paraît toujours absurde de faire dépendre l'existence de Dieu d'a plus b divisé par z.

VOLTAIRE, Lettres, juin 1753.

Il est absurde que, etc. :

Il eût été absurde qu'un simple usufruitier eût disposé de la propriété de la chose.

MONTESQUIEU, Esprit des lois, XXXI, 33.

[blocks in formation]

ABSURDEMENT, adv. (en latin Absurdė). D'une manière absurde, périphrase de plus d'usage que l'adverbe, admis dans les dictionnaires depuis celui de Rob. Estienne, en 1549 le Dictionnaire de Monet n'en fait point mention; le Dictionnaire de l'Académie ne l'a recueilli qu'en 1762.

Les anciens philosophes ont raisonné fort absurdement sur la physique.

RICHELET, Dictionnaire

EX ABSURDO est une locution adverbiale, toute latine, qui signifie, en logique, Une manière d'argumenter fondée à dessein sur des raisonnements absurdes, pour en tirer une conséquence opposée à celle que l'adversaire en avait déduite.

AB ABSURDO a la même signification et est plus employé :

Les hypothèses ab absurdo sont à la fois amusantes et utiles. BERNARDIN DE SAINT-PIERRE, Études de la nature, X.

ABSURDITÉ, s. f. (du mot latin inusité Absur

ditas).

Caractère d'une chose absurde :

Ils alleguent que ce seroit grande absurdité que l'Esprit de Dieu, auquel toutes choses devroyent estre assujetties, fust sujet à l'Escriture.

Or ce que je di, la volonté estre despouillée de liberté, et necessairement estre tiree au mal, c'est merveille si quelcun trouve ceste maniere de parler estrange, laquelle n'a nulle absurdité et a esté usitée des anciens docteurs.

CALVIN, Instit. chrest., l. I, c. 1x, § 2; 1. II, c. 1, § 5.

Pour l'affaire d'Homère, il me semble, monseigneur, qu'elle est presque vidée entre vous et moi. J'ai prétendu seulement que l'absurdité du paganisme, la grossièreté de son siècle, et le défaut de philosophie, lui avoient fait faire bien des fautes.

LA MOTTE, Lettres à Fénelon, 13 décembre 1714.

Si vous me dites que votre copie étoit incorrecte, je me demanderai qui vous forçoit d'employer, une lettre visiblement incorrecte, qui n'est remarquable que par son absurdité.

J.-J. ROUSSEAU, Lettres, 4 novembre 1755.

« PreviousContinue »