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prince du sang de France, et lui n'étant que bâtard : mais pour accorder ce différend, l'archiduc le vit devant que de partir, et lui donna chez lui la droite, et ensuite le prince en usa de même, n'osant refuser de suivre l'exemple d'un fils et frère d'empereur, roi successif de Hongrie. On s'étonnoit de la hauteur avec laquelle ce prince vivoit dans un pays où il étoit réfugié; mais le besoin que les Espagnols avoient de lui augmentoit sa fierté, qui étoit si grande qu'il vécut toujours d'égal avec l'archiduc, et eut grande peine à se résoudre à le pouvoir souffrir de don Juan. On se préparoit cependant de part et d'autre à la guerre; et le Roi partit le 27 de mai de Paris pour aller à Compiègne; et le 7 de juin il marcha toute la nuit à cause du grand chaud, pour se rendre à La Fère, où il arriva le matin. Il reçut, en partant de Compiègne, la nouvelle de la mort du maréchal de Schomberg, qui fut fort regretté à la cour, à cause de son grand mérite et de sa probité. Sa charge de colonel général des Suisses fut donnée au comte de Soissons, fils du feu prince Thomas de Savoie. Le maréchal de Turenne ayant assemblé durant ce tempslà ses troupes à Marle, marcha droit à Condé, où il campa le 13 de juin. Il y fit faire un pont sur l'Escaut à Mortagne; et ayant appris qu'un corps de quatre mille hommes s'étoit posté sur la contrescarpe de Tournay qu'il avoit dessein d'assiéger, il changea de pensée, et manda au marquis de Castelnau qui étoit près de Mons, et au chevalier de Créqui qui étoit proche de Douay, pour donner jalousie de tous côtés, de marcher à Valenciennes, où toute l'armée se joignit le 15 de juin. Aussitôt les quartiers furent séparés et

la circonvallation commencée, qui étoit fort grande à cause de l'étendue de la ville, qui est une des plus considérables des Pays-Bas. Le lendemain, mille chevaux voulurent se jeter dans la ville; mais ils furent chargés par le comte de Ligneville à la tête des Lorrains, qui les contraignirent de se retirer. Le maréchal de Turenne prit son quartier du côté du Quesnoy, et celui de La Ferté de l'autre côté de l'Escaut, où on travailla incessamment à faire des ponts sur la rivière et des digues dans les marais, pour la communication des quartiers. Le 17, les assiégés firent une sortie de cent cinquante chevaux, qui fut vertement repoussée par le marquis de Resnel, mestre de camp de cavalerie. Le 24, ils en firent une plus grande, qui fut soutenue par les Lorrains, lesquels la repoussèrent jusque dans la contrescarpe. La nuit du 26 au 27, les régimens des Gardes françaises et suisses firent l'ouverture de la tranchée; et le 29, la ville fut saluée de trois batteries de six pièces chacune. Le 30, on se logea au pied du glacis de la contrescarpe. Le 2 de juillet, les assiégés dans une sortie prirent Vitermont, capitaine aux Gardes; le 4, ils en firent une autre sur les Suisses, où le colonel Molondin fut blessé, et le chevalier de Créqui reçut un coup de mousquet dans la tête, dont il fut trépané. Le 5, le régiment de Turenne se logea au pied de la palissade, et le jour même quarante escadrons espagnols se présentèrent aux lignes du côté du quartier de Turenne, et se retirèrent sans rien faire. Le 8, le régiment de Bretagne fit avec beaucoup de difficulté le logement sur la contrescarpe; et l'après-dînée leur armée fit mine de vouloir attaquer les lignes, durant que ceux de la

ville faisoient une sortie; mais tout se passa en escarmouche. Leg, le régiment de Piémont commença la descente du fossé de l'ouvrage à corne, et les assiégés levèrent les écluses pour inonder les marais, et firent tellement hausser l'eau qu'elle passoit par dessus les digues, et ôtoit la communication des quartiers. Le prince de Condé et don Juan voulant tout hasarder pour secourir Valenciennes, prirent leur temps pendant ce grand débordement d'eaux, et la nuit du 15 au 16 attaquèrent le quartier du maréchal de La Ferté, où ils trouvèrent peu de résistance: car comme la nuit étoit fort obscure, ils passèrent la ligne durant que les assiégés sortoient par deux endroits ; et s'étant joints ensemble, ils secoururent la ville. Le bruit étant venu jusqu'au quartier du maréchal de Turenne, il voulut passer l'eau pour secourir le maréchal de La Ferté; mais les eaux étoient si hautes, qu'il lui fut impossible de passer; et ainsi le maréchal de La Ferté ayant sur les bras toute l'armée espagnole, fut entièrement défait. Toute l'infanterie fut tuée ou prise; la cavalerie fut mise en désordre, dont une partie se noya en se sauvant, et l'autre se jeta dans Condé. Le maréchal de La Ferté fut pris combattant à la tête de sa cavalerie, n'ayant jamais voulu reculer, et fut mené dans Valenciennes, où il fut présenté à don Juan. Riberpré y fut aussi pris, et beaucoup d'au. tres. Le marquis d'Estrées fut noyé en se sauvant; le marquis de Resnel fut tué. Tout le bagage et le canon de ce quartier-là demeura aux Espagnols, et leur cavalerie victorieuse passa au travers de la ville pour attaquer ceux qui gardoient la tranchée de l'autre côté de l'Escaut; mais le maréchal de Tu

renne n'ayant pu passer le marais, et ne voyant plus d'apparence de continuer le siége, envoya ordre à l'infanterie qui gardoit la tranchée de se retirer, et d'abandonner le canon des batteries: ce qui fut exécuté. Le comte de Resnel, frère de celui qui avoit été tué dans l'autre quartier, voyant la cavalerie espagnole qui sortoit de la ville pour attaquer l'infanterie qui abandonnoit la tranchée, se mit entre deux avec son escadron, et sauva cette infanterie, se retirant en ordre en escarmouchant pour joindre le gros de l'armée de Turenne, laquelle se retira au Quesnoy sans rien perdre. Comme une partie de l'armée du maréchal de La Ferté s'étoit sauvée dans Condé, les Espagnols voyant le maréchal de Turenne en sûreté, se campèrent à Quiévrain et Crespin, dans la pensée que coupant les vivres à cette ville, elle tomberoit bientôt en leur pouvoir. Le maréchal de Turenne voyant le dessein de don Juan, et n'étant pas en état de l'empêcher, après s'être rafraîchi quelques jours au Quesnoy, fut se camper à Berlaimont pour essayer. de jeter des vivres dans Condé. La cour fut fort affligée de la défaite du maréchal de La Ferté et du secours de Valenciennes; et le cardinal Mazarin envoya le plus de renfort qu'il put au maréchal de Turenne pour réparer cette perte; mais les Espagnols étoient postés si avantageusement devant Condé, qu'il étoit impossible de tenter aucun secours : tellement que ce maréchal n'y pouvant apporter aucun remède, résolut de changer de poste, et de faire subsister l'armée dans des pays pleins de fourrages. Il décampa pour cet effet de Berlaimont, et fut loger à Inchi proche de Douay; et ayant passé près d'Arras,

il alla sur la rivière du Lys pour piller le pays, et obliger les Espagnols à donner bonne composition à ceux qui étoient dans Condé pour venir au secours de leurs peuples. En effet, Le Passage, gouverneur de cette place, ayant trois mille hommes de plus que sa garnison ordinaire, des fuyards de la déroute de Valenciennes, et ayant consumé une partie de ses provisions pour la subsistance de l'armée durant le siége, se trouva bientôt au bout de ses vivres ; si bien qu'il fut contraint de capituler après la mi-août, et sortit tambour battant, enseignes déployées, avec cinq mille hommes de guerre. Aussitôt l'armée espagnole suivit le maréchal de Turenne, lequel, craignant qu'elle n'eût dessein sur La Bassée ou sur Béthune, se campa entre ces deux places dans un poste fort avantageux, à Houdain, où il y eut deux jours durant de grandes escarmouches jusqu'au 7 de septembre, que les Espagnols se retirèrent, et prirent leur marche du côté de l'Escaut, et le maréchal de Turenne devers Saint-Quentin, où il apprit que don Juan avoit investi Saint-Guislain. Il joignit en ce lieulà Le Passage avec ses troupes, qui étoient sorties de Condé; et ayant laissé son infanterie, son canon et bagage, il partit avec sa cavalerie; et après avoir marché tout le jour, il arriva devant La Capelle sur la minuit du matin du 19 de septembre, ayant fait en trois jours trente lieues depuis Houdain. Cette grande diligence surprit fort Chamilly, gouverneur de cette place pour le prince de Condé, qui se trouva dépourvu de tout, ne se doutant point de cette entreprise après une déroute comme celle de Valenciennes, et voyant l'éloignement de l'armée française. Le ma

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