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MÉMOIRES

DE

LA ROCHEFOUCAULD.

NOTICE

SUR

LA ROCHEFOUCAULD

ET SUR SES MÉMOIRES.

FRANÇOIS, prince de Marsillac, baron de Verteuil et duc de La Rochefoucauld, naquit le 15 décembre 1613 de François de La Rochefoucauld, que Louis xï fit duc et pair au mois d'avril 1622, et de Gabrielle de Liancourt. Se trouvant l'aîné d'une famille très-nombreuse, il fut l'objet particulier des affections de son père, qui destina presque tous ses autres enfans à l'etat ecclésiastique. Cependant sa première éducation fut assez négligée, parce qu'on le fit entrer de trop bonne heure dans la carrière des armes; mais ses dispositions naturelles suppléèrent bientôt à ce qui pouvoit lui manquer du côté de l'instruction. Doué d'un esprit juste, étendu et profond, ses passions étoient fort ardentes; et l'on dut prévoir dèslors que si sa jeunesse étoit orageuse, son âge mûr et sa vieillesse révéleroient en lui les qualités les plus solides et les plus estimables.

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Connu sous le nom de prince de Marsillac, il avoit à peine seize ans lorsqu'il fit, en qualité de mestre de camp du régiment d'Auvergne, la campagne d'Italie,

dont l'objet étoit de délivrer Casal. A son retour, il fut témoin de la journée des dupes, qui détruisit pour jamais l'influence de Marie de Médicis, et établit sur des fondemens inébranlables l'autorité du cardinal de Richelieu (1630). Ce spectacle, qui excita un étonnement général, frappa profondément le jeune Marsillac : il ne savoit s'il devoit admirer ou haïr l'homme qui s'emparoit si audacieusement du pouvoir. Mais ses sentimens ne furent pas long-temps incertains deux ans après, son père s'étant trouvé compromis dans l'entreprise qui conduisit à l'échafaud le duc de Montmorency, fut exilé à Blois; et Marsillac, qui n'eut pas l'ordre de quitter la cour, se lia aux mécontens. Touché des persécutions qu'éprouvoit Anne d'Autriche, il s'attacha particulièrement à son service, et il se procura des relations avec mademoiselle d'Hautefort, qui, quoique jouissant de la faveur du Roi, n'en étoit pas moins entièrement dévouée à la Reine.

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Sa jeunesse et des protections puissantes le fireat échapper aux soupçons jaloux du cardinal de Richelieu. Ce ministre le haïssoit, mais ne prenoit contre lui aucune mesure, parce qu'il ne le croyoit pas dangereux. Fatigué d'une position dans laquelle il ne pouvoit rien entreprendre pour la Reine, Marsillac alla en 1635 servir comme volontaire dans l'armée des maréchaux de Châtillon et de Brezé, destinée à se joindre dans les Pays-Bas à celle du prince d'Orange. Les Espagnols ayant voulu s'opposer à cette marche, les Français les attaquèrent près d'Avein, et restèrent maîtres du champ de bataille (20 mai). Marsillac, qui s'étoit distingué dans cette action glo

rieuse, n'en tira aucun fruit, parce que la mésintelligence qui s'éleva entre le prince d'Orange et les maréchaux les mit hors d'état d'entreprendre rien d'important. Au retour de la campagne, il se permit quelques propos contre l'administration, et il reçut l'ordre de quitter la cour.

L'année suivante, les Espagnols firent de grands progrès en Picardie, menacèrent même Paris; et l'arrière-ban fut convoqué. Quoique Marsillac se fût distingué dans cette campagne, dont l'issue passa les espérances du cardinal, il ne lui fut pas permis de rester à la cour; et il alla retrouver son père, qui étoit toujours relégué à Blois. Ce fut alors qu'à l'âge de vingt-trois ans il épousa mademoiselle de Vivonne, qui auroit pu lui procurer un bonheur tranquille, si ses passions et les événemens qui se succédèrent ne l'eussent entraîné à bien des démarches inconsidérées.

Presque à la même époque il eut le malheur de contracter une liaison très-intime avec la duchesse de Chevreuse, exilée à Tours. Cette dame, qui mêloit la galanterie à la politique, étoit l'ennemie la plus ardente et la plus active du cardinal. Entretenant une correspondance secrète avec l'Espagne et avec Anne d'Autriche, elle n'eut pas de peine à faire entrer Marsillac dans cette intrigue, et ses charmes lui donnèrent bientôt sur ce jeune homme un empire qu'elle conserva long-temps.

Peu de temps après Marsillac suivit son père, qui avoit eu la permission de reparoître à la cour. Mais à peine trouvoit-il dans les bontés dont l'honoroit la Reine, et dans la société agréable de mademoiselle

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