Page images
PDF
EPUB

SUR LE REPROCHE D'IDOLATRIE FAIT A L'ÉGLISE ROMAINE.

Les protestans, comme on sait, accusent l'Eglise romaine d'idolâtrie, et c'est une des raisons pour lesquelles ils se sont séparés d'elle. Le reproche est grave. Est-il fondé ? Bien des personnes se récrient et n'y voient que l'effet d'une haine aveugle, qu'une exagération irréfléchie. Si elles avaient examiné de plus près et approfondi cette accusation, elle ne leur paraîtrait pas si étrange. Sa gravité seule la leur a rendue suspecte. Comment se persuader, en effet, que des hommes, qui font profession de la doctrine de Jésus-Christ, puissent avoir, dans leur culte, même les plus légères traces d'idolâtrie ? Mais si l'on veut bien se donner la peine de prendre connaissance des raisons qui ont motivé ce jugement, il cessera, nous osons le dire, de paraître trop rigoureux. Essayons d'exposer ici ces raisons, pour montrer que nos théologiens ne méritent point le reproche de partialité, quand ils accusent l'Eglise romaine de professer un culte idolâtre.

On peut se rendre coupable d'idolâtrie de deux manières : en adorant comme dieux des créatures, ou bien en rendant à des créatures les hommages ou une partie des hommages qui ne sont dus qu'au vrai Dieu. C'est en ce dernier sens que nous taxons l'Eglise romaine d'être idolâtre. Je tire la preuve de cette assertion des honneurs qu'elle rend à l'hostie consacrée, aux images et aux saints.

On lit dans les décrets du Concile de Trente, 13° session : Il n'y a aucun doute que tous les fidèles sont obligés d'honorer le très-saint Sacrement du culte de latrie qui est dû au vrai Dieu; il faut l'honorer d'une fête solennelle et particulière, le porter avec pompe et appareil aux processions, et l'exposer publiquement au peuple pour être adoré.

On lit en conséquence dans les catéchismes: Il faut adorer le corps et le sang de Jésus-Christ dans l'Eucharistie.

Il est bon de faire observer ici que les catholiques distinguent deux degrés dans le culte religieux; le culte de latrie, qui

[ocr errors]

n'est dû qu'à Dieu, et le culte de dulie, qui est d'un ordre inférieur, et qu'on rend aux saints. Or, c'est ce culte de latriè que, selon le Concile de Trente, il faut rendre au Saint-Sacrement. Je le demande, déclarer que le Saint-Sacrement doit être l'objet de la même adoration que Dieu, n'est-ce pas ordonner clairement l'idolâtrie ? n'est-ce pas rendre à la créature le culte qui n'appartient qu'à Dieu ? En vain dira-t-on que ce qui justifie cette adoration, c'est que le corps et le sang de Jésus-Christ sont inséparablement unis à la Divinité. Cette explication ne peut satisfaire que des esprits qui se paient de mots, disons-mieux, que l'absurdité ne rebute pas. Car il serait impossible de donner à ces mots un sens raisonnable. Que nos lecteurs tâchent de les comprendre, de se former une idée nette de leur signification, et en particulier de ce qu'il faut entendre ici par divinité, ils n'en viendront pas à bout. Il n'entre pas dans notre sujet de pousser plus avant la discussion de ce point. Nous nous contenterons d'ajouter que, quand même l'hostie serait le vrai corps de Jésus-Christ, elle ne devrait pas être adorée. Ce corps, tout uni qu'il était à l'âme de Jésus-Christ, n'en était pas moins une créature, une matière vile et méprisable, comme celle du corps de chacun de nous. Autrement, quand Jésus-Christ vivait sur la terre, ceux qui croyaient en lui auraient dû être dans une adoration continuelle devant Lui. Or, non seulement ils n'ont point songé à rien faire de pareil, mais les Apôtres, en recevant le pain et le vin des mains de Jésus-Christ, lors de l'institution de la sainte Cène, ne donnèrent aucune marque extraordinaire de respect.

Il est donc constant que les honneurs rendus dans l'Eglise romaine au sacrement de la Cène la convainquent d'idolâtrie: c'est en présence et à l'aspect de l'hostie qu'on s'agenouille et qu'on donne toutes les marques extérieures d'adoration; on doit, selon le précepte du Concile de Trente, accompagner ces actes extérieurs des sentimens intérieurs qui caractérisent le culte de latrie,'lequel n'est dû qu'à Dieu; on désigne ces honneurs rendus à l'hostie par ces expressions: Adorez le bon

Dieu. Certes, c'est bien là de l'idolâtrie, ou ce mot a changé de signification.

Au reste, comme on peut le penser, un pareil abus était inconnu dans les premiers siècles de l'Eglise. Les païens, à qui les chrétiens reprochaient leur idolâtrie, n'eussent pas manqué de leur renvoyer ce reproche s'ils eussent adoré l'hostie; . or, on ne voit pas qu'ils aient jamais employé cet argument contre eux. L'idolâtrie du Saint-Sacrement est une nouveauté, car elle ne date que du douzième siècle où elle fut établie par le pape Innocent III, au quatrième Concile de Latran. C'est une des superstitions enfantées par les ténèbres des dixième et onzième siècles, si tristement célèbres par la corruption qu'ils introduisirent dans l'Eglise.

Ce que l'Eglise romaine enseigne, et surtout ce qui s'y pratique, relativement aux honneurs rendus aux images, fortifie encore le reproche que nous lui faisons de professer un culte idolâtre. Etablissons d'abord la doctrine de l'Evangile à cet égard. La loi du Décalogue, autorisée par Jésus-Christ, et reçue par tous les chrétiens, s'exprime ainsi au deuxième commandement : « Tu ne te feras point d'image taillée, ni aucune ressemblance des choses qui sont là-haut aux cieux, ni ici-bas sur la terre, ni dans les eaux sous la terre; tu ne te prosterneras point devant elles, et tu ne les serviras point. Le divin Législateur regarde la défense renfermée dans ce commandement comme si importante, que, non content de l'avoir expriméeune fois (Exode, XX, 4, 5), il la répète encore trois fois (Lévit., XXVI, 1; Deut., V, 8, 9, et XXVII, 15). Peuton interdire d'une manière plus claire et plus expresse toute espèce d'images, soit taillées, soit peintes, destinées à être l'objet d'un culte religieux ? Peut-on condamner d'une manière moins équivoque tous les honneurs quelconques qui pourraient leur être rendus ? Il est évident que l'usage de ces images dans le culte religieux est absolument défendu aux chrétiens.

Nous ne trouvons dans le Nouveau-Testament aucun précepte particulier sur ce sujet, et la raison en est toute simple. La loi de Moïse avait solennellement prohibé les images; per

[ocr errors]

sonne chez les juifs ne songeait à en introduire l'usage; le deuxième commandement était généralement respecté ; l'absence de toute image était passée en coutume. Cependant Jésus-Christ renouvela et consacra de nouveau solennellement ce principe quand il dit: Dieu est Esprit, et il doit être adoré en esprit et en vérité (Jean, IV, 24). Fidèles à ce précepte, les chrétiens des premiers siècles n'eurent point d'images dans leurs temples; et quand ils se relâchèrent de cette sévérité, ils ne rendirent aucun honneur à celles qu'ils admirent. Le Concile d'Eliberis, tenu en l'an 305, s'exprime ainsi : Nous interdisons les peintures dans les Eglises, de peur que ce qui est honoré et adoré ne soit peint sur les murailles.

[ocr errors]

C'est ce que nous prouve encore ce passage de Clément d'Alexandrie (Strom., lib. V): Moïse a défendu tout simulacre, image et ressemblance, soit de taille, soit de fonte, soit de cire ou de plâtre, soit de plate peinture, afin què nous ne nous arrêtions point aux choses sensibles, mais que nous passions aux intelligibles. Car la coutume de la vue ordinaire avilit la majesté de la Divinité, et c'est déshonorer une substance intelligible que de la servir avec la matière. Un témoignage non moins décisif est celui d'Origène, dans ces paroles (contra Cels., lib. VII): Où est l'homme bien sensé qui ne se moquât de voir un de ces gens-là arrêter sa vue sur des statues, soit pour leur présenter sa prière, soit la vue de ces choses, comme avec l'aide d'un pour s'élever par symbole visible, où ils s'imaginent qu'il faut monter, en les rapportant à ce qu'elles signifient? Le chrétien le plus simple est persuadé que tout l'univers est le temple de Dieu ; il le prie partout; et, tenant les yeux du corps fermés et ceux de l'âme ouverts, il monte au-dessus de l'univers; et, s'élevant par pensée, il présente son oraison à Dieu.

la

Ce fut vers la fin du règne de Constantin, ou un peu plus tard, que l'on commença à suspendre dans les temples des portraits de Jésus-Christ, des Apôtres et d'autres personnes recommandables; mais on ne voyait dans ces peintures qu'un moyen d'instruction, qu'un moyen d'aider la mémoire ; elles n'étaient l'objet d'aucun honneur religieux. Athanase, en son

1828. -11° année.

23

en être témoins. Ces superstitions sont telles, qu'aux yeux d'un grand nombre de personnes, les images sont comme des espèces de demi-dieux, comme des divinités inférieures. Les catéchismes n'enseignent pas, il est vrai, directement ces superstitions, mais elles sont la suite inévitable des préceptes qu'ils renferment touchant l'adoration des images. Et ces superstitions ne se perpétueraient pas, elles ne seraient pas si générales, si les prêtres éclairaient davantage le peuple sur ce sujet, s'ils le prémunissaient soigneusement contre l'idolâtrie qui s'y rattache. Mais, au lieu de cela, ils souffrent ces abus, et même ils les encouragent, comme on le voit assez souvent, et en particulier en ce qui concerne les pélerinages (1); d'où l'on peut conclure qu'ils ne leur paraissent pas condamnables.

Au reste, il est impossible que la multitude ne tombe pas dans ces désordres. Instruite à rendre aux images les mêmes honneurs d'adoration qu'à Dieu, comment pourrait-elle éviter de se les représenter comme ayant quelque chose de commun avec Dieu, et de leur attribuer une partie de ses perfections? Comment ne commettrait-elle pas cette confusion, puisque le terme d'adoration, d'adorer, qu'on emploie en parlant de Dieu, on s'en sert aussi pour désigner le culte rendu aux images, et qu'on dit : adorer le Saint-Sacrement, adorer la croix? Comment ne la commettrait-elle pas, quand on lui apprend à adresser des prières à des objets inanimés, et à dire, par exemple, à la figure de Jésus-Christ, imprimée sur le

(1) Les pélerinages, qui ont pour but de visiter certaines images de la Vierge et des saints, prouvent l'importance attachée à l'image elleméme, indépendamment de l'objet qu'elle représente. Si les catholiques n'avaient en vue, par exemple, que la Vierge Marie, lorsqu'ils se prosternent devant son image, il est évident que toute image de la Vierge servirait également à ce but; et il est tout aussi évident que, dès qu'ils font plus de cas d'une image que d'une autre image, qu'ils entreprennent de longs et pénibles voyages pour se prosterner devant une peinture, tandis qu'ils ont dans l'église de leur paroisse et dans leur chambre une peinture réprésentant la même chose, c'est à la peinture elle-même qu'ils attribuent une efficace difficile à définir, mais réelle; c'est l'image qu'ils adorent. (Réd.)

« PreviousContinue »