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attaques ou le ridicule; son unique crainte était que la cause qu'il eût entrepris de défendre ne souffrit de sa faiblesse ou de son indignité. De même qu'il ne balançait pas à figurer souvent dans une faible minorité, lorsqu'il s'agissait de questions d'ordre politique et social, de même nous avons vu qu'il n'hésitait pas à lever publiquement l'étendard de l'opposition contre l'intolérance religieuse, même lorsqu'il trouvait ses adversaires parmi ses voisins et ses amis; ni à épouser les intérêts de la piété évangélique, lorsqu'elle était persécutée dans des individus faibles et peu nombreux, lorsqu'elle était attaquée non seulement avec les armes du pouvoir et des lois, mais encore avec les traits du ridicule, de la calomnie et du mépris. Quant à lui personnellement, il savait qu'il s'attirait une attention peu flatteuse pour les prétentions et pour l'amourpropre, trop communs parmi les hommes de son rang; mais il recevait volontiers les reproches qui venaient frapper son oreille, et ne ressentait qu'une profonde compassion pour ceux qui voyaient un sujet de regrets dans ses sentimens religieux.

Il ne voyait pas non plus qu'il importât au triomphe des intérêts de la religion, ou au progrès de la foi véritable, que, pour les défendre ou les propager, on se fît un langage et des formes de style particulières, ou des habitudes de singularité qui sont plutôt un calcul de la vanité et de l'orgueil que les inspirations de l'étude de la Parole de Dieu. Il ne voyait dans tout cela, quelque piété réelle qui s'y joignit d'ailleurs, que la faiblesse de l'homme et en même temps un manque de simplicité, autant que dans l'emploi des pompes et des ornemens du monde. Il se sentait le dégoût le plus complet pour ce que les Anglais appellent cant, sorte de style de piété plein d'affectation, qui, assez souvent inintelligible pour ceux-là même qui en font usage, finit par prendre le caractère d'un jargon, et dégénérer parfois en une familiarité impie. Il faisait une bien juste distinc tion entre ces abus et le langage grave d'un esprit habituellement sous l'influence de la religion; il savait le distinguer de la religion elle-même. Ce qu'il n'ignorait pas non plus, c'est que ce cant n'est pas une singularité qui appartienne exclusivemenț

à la religion, mais que la philosophie a aussi le sien, et que l'économie politique n'est pas exempte de ce tort; mais il lui inspirait d'autant plus d'antipathie que le sujet dans lequel on "cherchait à l'introduire était tout à la fois plus simple et plus sublime....

Cette simplicité de la religion de Jésus-Christ avait un charme particulier à ses yeux. Le vrai et le simple tiennent l'un à l'autre par une connexion si intime, que la ligne du vrai, si forte et si prononcée dans le caractère de M. de Staël, devait nécessairement s'y unir et s'y confondre avec celle de la simplicité et de la pureté. Il donnait donc la préférence à cette forme de culte religieux qui, sérieuse et solennelle, ne vise point à imposer par sa splendeur, et ne fait pas dépendre sa solennité des pompes extérieures; il aimait à trouver cette solennité dans le sentiment plutôt que dans le cérémonial; et l'exercice religieux qui parlait le plus fortement à son cœur était celui qui était le plus exempt de cet intermédiaire et de cet appareil de moyens purement humains. C'est pour cela qu'en général il préférait la prédication improvisée, malgré ce qui pouvait y manquer sous le rapport de la disposition du sujet, et malgré les expressions incorrectes qui pouvaient s'y glisser, à la composition plus finie, mais artificielle, des discours lus ou récités. Quelque ordinaire que fût l'orateur, il suffisait qu'il connût bien les vérités qu'il entreprenait d'inculquer et qu'il en fût pénétré, pour que M. de Staël l'écoutât avec humilité et avec plaisir. Mais il n'avait pas moins d'aversion pour un autre genre d'affectation, qui vise à une simplicité calculée ; et des phrases, imitées et répétées avec un air d'humilité et quelquefois avec un ton qu'on peut appeler vulgaire et commun, n'avaient pas plus de prix à ses yeux que ces brillantes déclamations, longuement préparées, et que l'on veut donner pour de l'inspiration. C'était pour elle-même qu'il cherchait la religion du Sauveur, pour elle-même qu'il l'aimait, et à cause de la parfaite convenance avec laquelle elle s'adaptait à ses besoins et à ses désirs: ce n'était donc pas le tour des phrases, le style, les expressions qui lui importaient tout ce qui est extérieur, il pouvait le trouver dans le monde ; à l'Eglise, il lui fallait ce

qui s'adresse au fond du cœur, ce qui parvient à l'émouvoir. Quoique fortement prononcé dans ses goûts et dans ses préférences, M. de Staël étendait sa charité, non seulement à toutes les dénominations chrétiennes, mais encore, dans celles de ses dénominations qu'il préférait, aux chrétiens sincères qui pouvaient s'en éloigner par quelques nuances d'opinion. Il'éprouvait une véritable reconnaissance pour ceux dont la supériorité morale semblait lui rappeler et lui reprocher ses imperfections, et toujours il cherchait dans quelque vertu chrétienne, comme un contre-poids aux défauts qu'il déplorait chez les autres, ou comme un titre à son estime pour ceux avec qui, d'ailleurs, il se sentait le moins d'accord. Jamais les durs, accens, jamais les paroles âpres de l'excès de confiance en soi-même ne s'échappèrent de ses lèvres; et, par suite de sa bonté et de son humilité, non seulement il se préservait lui-même de tout esprit de censure, mais il s'affligeait profondément de trouver celte disposition dans autrui.

La charité s'alliait évidemment, chez lui, à la véritable générosité, qui est celle du cœur; générosité, par consequent, qu'on ne doit pas mesurer sur les sommes d'argent qu'il versait dans une souscription, sur les aumônes qu'il faisait, ou sur les projets philanthropiques dont il était l'auteur; ce n'étaient là que des indices publics, mais faibles, de cette source que la grâce divine avait ouverte dans son cœur, et qui se répandait en affections, en sympathies et en prières à travers les nombreux canaux auxquels ne pouvaient atteindre ses actions, et qui étaient hors de la portée de sa bienfaisance. C'était cette générosité qui faisait encore qu'il était toujours le premier à admirer le mérite et les talens de ses collègues, et prêt à les reconnaître même dans ceux avec qui, d'ailleurs, il pouvait se trouver en opposition.

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Le noble et généreux emploi qu'il faisait de sa fortune n'était pas l'impulsion d'un cœur qui se laisse nonchalamment aller à ses émotions et à sa sensibilité, mais le résultat d'un sentiment habituel de la dignité et de la misère de l'homme, ainsi que de la sagesse et de la miséricorde de Dieu. Il disait souvent qu'il n'était que la main de la Providence.

que sa fortune n'était pas à lui, qu'il n'était pas moins responsable de l'usage qu'il en ferait que de l'emploi de ses facultés intellectuelles et des autres dons qui pouvaient avoir été répandus sur lui; il disait que ses libéralités devaient être proportionnées à la munificence avec laquelle il avait été traité lui-même, et à la générosité de cette Providence qui avait daigné le charger d'une mission en harmonie avec tous les motifs que l'Evangile présentait à son cœur.

Nous ne pouvons étendre davantage nos réflexions sur les vertus chrétiennes de M. de Staël, bien que ceux qui l'ont connu doivent s'apercevoir que nous avons plutôt esquissé que décrit; que, loin d'avoir exagéré, nous sommes restés audessous de ses hautes qualités morales. Au reste, ceux mêmes qui ne l'ont connu que de réputation, ou qui ne peuvent le juger que par le portrait que nous avons essayé de leur offrir de lui, sont suffisamment à même de se faire une idée de la douleur qu'a causée sa mort, des espérances qu'elle a détruites.

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Ce n'est pas, en effet, seulement par ce qu'était M. de Staël qu'on peut, qu'on doit l'apprécier, c'est bien plus encore par ce qu'il promettait d'être un jour. Tout ce que nous avons remarqué en lui de bon, de beau, de généreux n'était que comme la réunion des élémens de sa haute destinée et de ses services futurs. Il n'était pas ce qu'il aspirait, ce qu'il cherchait à devenir, ce que, dans ses prières, il demandait à Dieu de le rendre ; mais les principes de la foi et de l'amour de Christ se développaient dans son âme avec tant de régularité et de rapidité, que ce qu'il y avait encore d'imparfait en lui et que nous reconnaissons, se perdait dans la tendance et dans les progrès de tant de célestes qualités, et dans l'assurance qu'elles donnaient pour l'avenir. Hélas! il devait atteindre à la perfection de ces qualités beaucoup plus tôt que nous ne l'avions supposé, non pas sur la terre, mais dans le ciel. C'est là qu'il est allé pour se reposer et pour jouir du prix réservé aux fidèles serviteurs de Dieu; et nous, nous sommes restés ici pour le pleurer et pour continuer à marcher dans cette voie où nous ne le verrons plus à côté de nous, mais où son exemple et son souvenir resteront pour encourager et soutenir d'autres

chrétiens dans leur sainte carrière, et pour leur donner de nouvelles forces; son nom, nom déjà cher aux lettres et à la liberté chez toutes les nations, sera, désormais, non seule ment cher aux communions protestantes et aux amis de la religion et de la philanthropie en France, mais honorablement inscrit dans les annales de l'Eglise ; et dans toutes les contrées du monde où il y a des disciples du Sauveur et des serviteurs de Dieu, il ne sera prononcé qu'avec un sentiment d'affection et de respect.

VARIÉTÉS ET CORRESPONDANCE.

Mens, le 25 janvier 1828.

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Messieurs les rédacteurs des Archives du Christianisme, J'ai l'honneur de vous communiquer la relation d'un de ces événemens qui, sans être rares de nos jours, grâce à Dieu et à la bienveillance paternelle de notre auguste Souverain, intéressent cependant toujours les amis de l'Évangile et du culte de nos vénérables ancêtres; je veux parler de la dédicace de deux temples réformés dans notre Consistoriale.

Le dimanche, 9 décembre dernier, nous avons consacré au Seigneur un nouveau temple à Saint-Jean-d'Hérans, annexe de Mens; et, le dimanche suivant, 16 décembre, nous en ́avons consacré un second dans une autre de nos annexes appelée Tréminis. Les habitans protestans de ces communes, et entre autres de celle de Tréminis, se sont toujours fait remarquer, dans les temps de troubles et de persécutions religieuses, par leur constance dans la profession du pur christianisme, et par leur zèle à accueillir les pasteurs qui venaient chercher chez eux un asile contre l'intolérance. Mais, depuis lors, ils s'étaient bien relâchés à l'égard du zèle, et on y trouvait à peine çà et là quelque étincelle de cette foi vivante qu'avaient eue leurs pères, et qui les avait soutenus dans les rudes épreuves par lesquelles le Seigneur les avait visités. Aujourd'hui, gloire lui en soit rendue, cette foi se ranime peu à

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