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comme l'homme le plus lourd et le plus pédantesque de son siècle. Il soutint cependant la première journée d'assez bonne grâce; mais le lendemain lorsque l'abbé Coyer vint le voir: << Savez-vous, lui dit-il, M. l'abbé, la diffé<< rence qu'il y a entre don Quichotte et vous? « C'est que don Quichotte prenait toutes les << auberges pour des châteaux, et que vous pre<< nez tous les châteaux pour des auberges. ». M. l'abbé Coyer, désappointé par cette brusque question, fit son paquet et repartit dans lés vingt-quatre heures. Le lendemain Voltaire ne le voyant point reparaître, demanda de ses nouvelles. On lui annonça qu'il était parti: « Ce bon abbé, il nous a quitté bien vite ! »

M. DE MASSIAC, lieutenant-général de la marine, fut nommé secrétaire d'Etat à ce département, sous le règne de Louis XV. Mais comme c'était un homme simple, honnête, et n'ayant pour lui que sa sévère probité et son amour pour le travail, avec un esprit juste et des connaissances acquises en cette partie, au bout de quelques mois, les intrigues des courtisans parvinrent à le faire remercier.

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M. de Saint-Florentin (depuis duc de la Vrillière) fut chargé, selon l'usage, de lui demander le portefeuille. Il se présenta cheż lui, le trouva à son bureau, et lui fit part des ordres de Sa Majesté. Le ministre repondit qu'il ne pouvait rendre en ce moment le portefeuille, étant occupé d'un travail utile au département, et que dans deux heures il le lui donnerait. M. de Saint - Florentin fut étonné d'un renvoi auquel il ne s'attendait pas; il alla d'un air extrêmement troublé en rendre compte au Roi, qui lui dit froidement : « Eh bien! retournez-y dans deux heures.» Il y alla en effet à l'heure prescrite, reçut le portefeuille, et crut devoir insinuer à M. de Massiac, qu'il était d'usage que les ministres renvoyés ne se présentassent pas devant Sa Majesté. - << Monsieur, répondit celui-ci avec « le sang-froid d'une conscience sans repro

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che; comme vous ne me dites point être

chargé de la part du Roi de me donner cet ordre, je verrai ce que j'aurai à faire; » et il l'accompagna. C'était le jour de son audience. Il se revêtit de son grand uniforme; et les of ficiers de la marine s'étant rendus chez lui: Messieurs, leur dit-il, je n'ai plus l'hon« neur d'être chargé du ministere, mais j'ai

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toujours celui d'être votre camarade, votre << ami et votre chef. En cette dernière qualité, «< si vous voulez venir avec moi, je vous pré<< senterai chez mon successeur. » Il alla en effet, à la tête de son corps, chez celui qui le remplaçait. De là il se rendit chez le Roi:

Sire, lui dit-il, en présence de tous les coura tisans fort surpris de le voir là, j'ai reçu avec << reconnaissance la confiance dont Votre Majesté m'a honoré, sans que je l'eusse sollicitée: je me suis soumis avec respect au malheur « d'en être privé; mais me flattant de n'avoir « jamais démérité par mes anciens services,

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j'ose en demander à Votre Majesté la ré<< compense la plus précieuse, daus la permis«sion de continuer à lui faire ma cour. Oui,

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Massiac, répondit le Roi; je vous verrai

toujours avec plaisir ; je n'ai point oublié « vos bons services, et je veux vous le prou« ver en vous accordant en ce moment la

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grande croix de l'ordre de Saint-Louis. »>

M. de Massiac obtint quelque temps après une retraite aussi honorable qu'avantageuse, et vécut philosophiquement dans une campagne peu éloignée de Versailles, allant de temps en temps faire sa cour au Roi, qui le recevait avec la plus grande bonté, et le con

sultait souvent en particulier sur les améliorations à faire dans la marine.

M. DE VERGENNES travailla long-temps sous M. Chavigny, son oncle, fut nommé son secrétaire de légation en Portugal, et désigné par ce célèbre négociateur pour l'ambassade de la Porte, à laquelle il fut envoyé sous le ministère de M. Rouillé. M. de Choiseul, qui avait succédé à ce dernier dans le département des affaires étrangères, chargea M. de Vergennes d'une négociation très-importante auprès de la cour ottomane, et lui manda de ne point épargner l'argent pour le succès, lui annonçant que toutes les lettres de change, qu'il tirerait sur la France, seraient acquittées sur-le-champ.

L'ambassadeur, dont l'honnêteté et le zèle pour l'économie du bien public répugnaient à ce genre de séduction, chercha d'autres moyens pour traiter l'affaire, et parvint à réussir complétement. Cependant le ministre, au quel on ne demandait pas d'argent, et qui,' d'après son caractère de prodigalité, n'imagi

nait pas qu'on pût terminer sans cette ressource, se plaignait amèrement du négociateur, et lui envoya un ordre de rappel au moment où celui-ci lui adressait la nouvelle de l'heureux succès qu'il se félicitait d'avoir obtenu, sans qu'il en eût rien coûté à l'Etat. Les deux lettres se croisèrent, et M. de Vergennes revint à la cour, où il fut accueilli très-froidement par le ministre, qui ne voulut pas paraître avoir tort, et qui craignit peut-être la présence d'un homme économe et trop franc, pour ne pas exposer sa conduite au grand jour, s'il était interrogé. M. de Vergennes, se reposant sur une conscience sans reproche, se retira volontairement dans ses terres; il y vivait modestement au sein de sa famille, lorsque M. le duc d'Aiguillon, devenu ministre des affaires étrangères, et fort jaloux d'employer de préférence ceux qui avaient à se plaindre de son prédécesseur, le tira de sa retraite pour le faire passer à l'ambassade de Suède. Là, il fut assez heureux pour être de la plus grande utilité à Gustave dans la révolution que ce prince opéra à Stockholm, et dont il rejeta en partie la gloire sur cet ambassadeur, ne cessant de publier son amitié pour lui et sa reconnaissance, dans le voyage

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