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« Comptez, comptez : vous voyez qu'il vous << en donne pour votre argent. >>

que

M. DE VALORY, ministre de France auprès de Frédéric, accompagna ce monarque dans ses campements. Une fois il arriva la tente de l'envoyé français fût placée à l'extrémité du camp. Les Autrichiens en furent instruits par quelques déserteurs, et, avant les quatre heures du matin, un détachement de Hongrois vint, sans bruit, envelopper la tente à dessein d'en enlever le maître. M. d'Arget, secrétaire de légation, était heureusement levé; il se couvre de la belle robe de chambre de Son Excellence, et vient demander aux hussards ce qu'ils cherchent. « L'envoyé de France, répondirent-ils. Messieurs, c'est moi. » A ces mots, on le prend, on le jette sur un cheval, et l'on part au galop. Arrivé chez le général autrichien, celui-ci lui dit : « Vous « êtes bien M. de Valory, ministre de France auprès du Roi de Prusse? Non, monsieur « le général, je ne suis que son secrétaire. « Et comment donc avez-vous osé déclarer

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« que vous étiez M. de Valory? -- Je l'ai osé, » parce que je le devais; pouvez-vous m'en blâmer, vous qui connaissez les lois de

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l'honneur, et qui aimez ceux qui font leur « devoir? » La présence d'esprit et la conduite de M. d'Arget plurent beaucoup au roi de Prusse, qui se hâta de le faire échanger, et le fit ensuite secrétaire de ses commandements.

GENTIL BERNARD, qui n'était rien moins que gentil, car il était lourd et épais, était un mangeur d'un appétit prodigieux. Son cœur et son esprit avaient besoin de peu d'activité. Ses sens étaient ce qu'il exerçait le plus. Lorsqu'ils commencèrent à s'affaiblir, il disait assez plaisamment: « Je suis tombé d'un dindon. »

A LA bataille de Minden, le corps des Grenadiers de France, que commandait M. de Saint-Pern, était exposé au feu d'une batterie qui en emportait des files entières. Celui-ci, qui tâchait de leur faire prendre patience, se

promenait devant la ligne au petit pas de son cheval, sa tabatière à la main. « Eh bien, mes

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enfants, leur disait-il, en les voyant un peu « émus, qu'est-ce que c'est ? du canon? Eh << bien! ça tue, ça tue, voilà tout. »

LE poète Lebrun a fait espérer toute sa vie un poëme sur la Nature. C'est de lui que M. Palissot disait qu'il avait sa réputation dans sa poche; sur quoi l'abbé de Lille observait assez gaiement, qu'il n'en était pas des réputations comme des olives, que les pochetées n'étaient pas les meilleures.

PENDANT le séjour de M. d'Alembert à Ferney, où était M. Huber, on proposa de faire, chacun à son tour, un conte de voleurs. La proposition fut acceptée. M. Huber fit le sien, qu'on trouva fort gai; M. d'Alembert en fit un autre, qui ne l'était ne l'était pas moins. Quand le tour de M. de Voltaire fut venu: Messieurs, leur dit-il, il y avait une fois un fermier-général.... ma foi, j'ai oublié le reste.

PINETI, qui s'est fait connaître pour le plus habile escamoteur qu'il y ait eu dans Paris, avait obtenu la permission d'ouvrir son spectacle sur le théâtre des Menus Plaisirs du Roi; l'affluence y fut d'autant plus considérable, que la curiosité était bien moins excitée par son adresse surprenante, que par différents tours dont il paraissait impossible à la conception humaine de deviner les moyens. On suivait plusieurs représentations consécutives, on voyait répéter les mêmes effets, et l'on sortait sans en connaître davantage les causes, qui d'ailleurs ne tenaient point à des découvertes physiques, comme celles du célèbre Comus, qui, avec un génie exercé, et par un travail assidu, avait trouvé dans l'aimant et l'électricité, des propriétés jusqu'alors inconnues. On s'occupait, dans toutes les sociétés, de cet homme étonnant, ainsi que des prodiges qu'il opérait, et les recettes en étaient pour lui d'autant plus avantageuses. Cependant, comme on se lasse de tout, et plus aisément encore des choses sur lesquelles on est obligé d'avouer son ignorance, l'effervescence publique commençait à s'affaiblir, lorsqu'un petit incident, dont l'escamoteur sut tirer un grand parti, la ranima encore pour quelque temps, et produisit en

sa faveur un enthousiasme général qui redoubla la foule des spectateurs.

Il parut un petit ouvrage intitulé: La Magic découverte, ou les Tours du célèbre Pineti mis au jour par M. de Cremps. L'édition en fut promptement enlévéé, et chacun crut enfin posséder parfaitement ces secrets si recherchés. Mais Pineti afficha qu'il donnerait, tel jour, dé nouveaux tours plus surprenants que tout ce qu'on avait vu jusqu'à présent, et il eut encore une assemblée très-nombreuse. La salle étant pleine, il se présenta sur le théâtre d'un air modeste, et se permettant de haránguer le public, il dit qu'ayant eu connaissance du petit ouvrage de M. de Cremps, qu'il tenait à la main, il l'avait étudié avec soin, y avait reconnu la manière d'opérer des tours agréaBles approchant beaucoup de plusieurs des siens, mais nullement celle par laquelle il procédait lui-même ; qu'il ne voyait donc dans le titré de ce livre que le désir de l'insulter, car il n'avait jamais eu de prêtention à la magie; et, dans son contenu, que la basse envie de lui ôter ses moyens de subsistance, en trompant le public, sous le faux prétexte de dévoilér ses secrets; qu'au reste, il pardonnait de tout son cœur à l'auteur, parce qu'il était persuadé

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