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lui-même, qui pouvait de cette manière citer le document authentique de cette découverte et ne courait pas le risque de voir suspecter comme apocryphe ou comme altéré en quelques parties le texte retrouvé de Longus. Mais ce n'est pas tout, on me refuse, et non content de ce refus on va jusqu'à soupçonner ma bonne foi, et on manque ainsi au gouvernement qui, en me plaçant à la tête d'un établissement public, m'a donné une marque de sa confiance et a prouvé ainsi que j'étais digne d'estime. Mais, moi, tranquille, et ennemi, comme je suis, de tout ressentiment, mettant de côté les justes reproches que je pouvais faire à la suite d'un pareil refus, je proposai à M. Courier, puisqu'il manquait de confiance en moi, de déposer au moins la copie reconnue authentique signée de nous deux et munie de nos cachets, soit chez le maire de la ville, soit chez le conservateur des monuments publics, soit enfin entre les mains de toute autre personne jouissant de l'estime publique, de manière qu'elle y reste pour l'utilité générale jusqu'à ce que l'édition parisienne soit exécutée. Je lui dis encore une fois qu'il réfléchisse à quel nouveau danger ce supplément de Longus peut être exposé s'il est confié seulement à une feuille fragile et périssable, pouvant s'égarer en passant d'un lieu à un autre, sujette enfin, en tant de circonstances faciles à prévoir, à être perdue, malgré les soins les plus minutieux.

Vous croyez à présent, mon cher ami, que M. Courier a cédé à tant de bonnes raisons; vous vous trompez.

Opposant à mes paroles, comme il faisait dans les batailles, un courage intrépide, une ame forte et une résolution hardie, il a refusé de rendre à la Bibliothèque la copie solennellement promise, et sur laquelle elle a toutes sortes de droits; il a fermé l'oreille aux conseils de ses amis, aux plaintes d'une ville entière, en un mot, aux reproches de toute la république des lettres qui n'approuvera jamais son étrange et opiniâtre résolution, mais qui ne cessera de gémir sur le dommage immense fait, par sa faute, au manuscrit de Longus. Plus j'aime et estime le mérite de M. Courier, plus je déplore que cette affaire l'ait exposé au blâme universel des gens de lettres, et lui ait fait oublier ce précepte d'Euripide:

ἄνδρα δ' ουχρίων

Τον αγαδον, πρασσονία μεγάλα, τις Τρόπος

μεδιςάναι.

IPHIG. IN AULI.

Dès que cette perte fut consommée, je me hâtai d'en prévenir M. Thomas Puccini, chambellan de S. A. I. et R. la grande duchesse de Toscane, conservateur des établissements publics et des monuments des arts et des sciences, et directeur de la galerie de Florence. Il demeura, comme moi, saisi d'horreur, et frémit en apprenant cet horrible événement, et surtout lorsqu'il vit l'état du manuscrit. Mais pénétré de tout le zèle qui le distingue si éminemment et qui l'enflamme pour l'honneur

de la patrie et pour la conservation des objets confiés à ses soins, il eut recours à tous les moyens pour apporter quelque remède à ce malheur inoui. En effet il serait trop long de dire tout ce qu'il fit pour engager M. Courier à rendre une copie de la page détruite et préserver, de cette manière, Longus d'un nouveau désastre. Qu'il vous suffise de savoir qu'il mit tout en œuvre pour l'obtenir et que si le succès ne répondit pas à ses soins infatigables, il faut vraiment dire ou que le manuscrit de Longus de l'Abbaye florentine était, dans les arrêts de la destinée, réservé à rester inutile pour les lettres, ou à se voir détruit au moment même qu'il passait de son obscurité à un éclat qui devait le préserver de ce malheur.

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Après l'entretien qu'il eut avec M. Courier, monsieur le conservateur songea à recourir à des moyens plus puissants et plus efficaces, aux ressources que fournit la chimie des encres si étonnante et si utile depuis les récentes découvertes. Il invita M. Gazzevi, un des chimistes les plus distingués dont s'honore non-seulement Florence, mais toute l'Italie, célèbre professeur du musée Impérial, à coopérer à une entreprise qui avait pour objet de rendre la page tachée à son ancien état. Il s'agissait de voir si parmi tant d'acides divers qui agissent sur les couleurs et en détruisent les principes, il ne s'en trouverait pas un qui eût la propriété d'enlever l'encre nouvelle sans attaquer l'ancienne écriture dont on n'apercevait plus de vestige; l'entreprise était difficile, le

Fac- Simile de la tache d'encre faite par PL Courier, dans le manuscrit de Daphnis et Chloë.

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