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Son trépas est trop juste après son attentat,
Et toute excuse est vaine en un crime d'État :
Mourir en sa présence, et rejoindre mon père,
C'est tout ce qui m'amène, et tout ce que j'espère.

AUGUSTE.

Jusques à quand, ô ciel, et par quelle raison
Prendrez-vous contre moi des traits dans ma maison?
Pour ses débordemens j'en ai chassé Julie;
Mon amour en sa place a fait choix d'Émilie,
Et je la vois comme elle indigne de ce rang.
L'une m'ôtoit l'honneur, l'autre a soif de mon sang;
Et, prenant toutes deux leur passion pour guide,
L'une fut impudique, et l'autre est parricide.
O ma fille! est-ce là le prix de mes bienfaits?
ÉMILIE.

Ceux de mon père en vous firent mêmes effets.

AUGUSTE.

Songe avec quel amour j'élevai ta jeunesse.

ÉMILIE.

Il éleva la vôtre avec même tendresse;
Il fut votre tuteur et vous son assassin;
Et vous m'avez au crime enseigné le chemin :
Le mien d'avec le vôtre en ce point seul diffère,
Que votre ambition s'est immolé mon père,
Et qu'un juste courroux dont je me sens brûler
A son sang innocent vouloit vous immoler.

LIVIE.

C'en est trop, Émilie, arrête, et considère
Qu'il t'a trop bien payé les bienfaits de ton père :
Sa mort, dont la mémoire allume ta fureur.
Fut un crime d'Octave, et non de l'empereur.
Tous ces crimes d'État qu'on fait pour la couronne
Le ciel nous en absout alors qu'il nous la donne,
Et dans le sacré rang où sa faveur l'a mis,
Le passé devient juste et l'avenir permis.
Qui peut y parvenir ne peut être coupable;
Quoi qu'il ait fait ou fasse, il est inviolable :
Nous lui devons nos biens, nos jours sont en sa main;

Et jamais on n'a droit sur ceux du souverain.

ÉMILIE.

Aussi, dans le discours que vous venez d'entendre,
Je parlois pour l'aigrir, et non pour me défendre.
Punissez donc, seigneur, ces criminels appas
Qui de vos favoris font d'illustres ingrats;
Tranchez mes tristes jours pour assurer les vôtres.
Si j'ai séduit Cinna, j'en séduirai bien d'autres;
Et je suis plus à craindre, et vous plus en danger,
Si j'ai l'amour ensemble et le sang à venger.

CINNA.

Que vous m'ayez séduit, et que je souffre encore
D'être déshonoré par celle que j'adore!
Seigneur, la vérité doit ici s'exprimer :
J'avois fait ce dessein avant que de l'aimer;
A mes plus saints désirs la trouvant inflexible,
Je crus qu'à d'autres soins elle sero1t sensible;
Je parlai de son père et de votre rigueur,

Et l'offre de mon bras suivit celle du cœur.
Que la vengeance est douce à l'esprit d'une femme!
Je l'attaquai par là, par là je pris son âme;
Dans mon peu de mérite elle me négligeoit,
Et ne put négliger le bras qui la vengeoit :
Elle n'a conspiré que par mon artifice;

J'en suis le seul auteur, elle n'est que complice.
ÉMILIE.

Cinna, qu'oses-tu dire? est-ce là me chérir,

Que de m'ôter l'honneur quand il me faut mourir?

CINNA.

Mourez, mais en mourant ne souillez point ma gloire. ÉMILIE.

La mienne se flétrit, si César te veut croire.

CINNA.

Et la mienne se perd, si vous tirez à vous
Toute celle qui suit de si généreux coups.

ÉMILIE.

Eh bien prends-en ta part, et me laisse la mienne Ce seroit l'affoiblir que d'affoiblir la tienne ;

La gloire et le plaisir, la honte et les tourmens,
Tout doit être commun entre de vrais amans.

Nos deux âmes, seigneur, sont deux âmes romaines,
Unissant nos désirs, nous unîmes nos haines;
De nos parens perdus le vif ressentiment
Nous apprit nos devoirs en un même moment;
En ce noble dessein nos cœurs se rencontrèrent;
Nos esprits généreux ensemble le formèrent;
Ensemble nous cherchons l'honneur d'un beau trépas:
Vous vouliez nous unir, ne nous séparez pas.

AUGUSTE.

Oui, je vous unirai, couple ingrat et perfide,
Et plus mon ennemi qu'Antoine ni Lépide;
Oui, je vous unirai, puisque vous le voulez :
Il faut bien satisfaire aux feux dont vous brûlez,
Et que tout l'univers, sachant ce qui m'anime,
S'étonne du supplice aussi bien que du crime.

SCENE III. AUGUSTE, LIVIE, CINNA MAXIME, ÉMILIE, FULVIE.

AUGUSTE.

Mais enfin le ciel m'aime, et ses bienfaits nouveaux
Ont arraché Maxime à la fureur des eaux.
Approche, seul ami que j'éprouve fidèle.

MAXIME.

Honorez moins, seigneur, une âme criminelle.

AUGUSTE.

Ne parlons plus de crime après ton repentir,
Après que du péril tu m'as su garantir;
C'est à toi que je dois et le jour et l'empire.

MAXIME.

De tous vos ennemis connoissez mieux le pire :
Si vous régnez encor, seigneur, si vous vivez,
C'est ma jalouse rage à qui vous le devez.

Un vertueux remords n'a point touché mon âme;
Pour perdre mon rival j'ai découvert sa trame;
Euphorbe vous a feint que je m'étois noyé,

De crainte qu'après moi vous n'eussiez envoyé :
Je voulois avoir lieu d'abuser Émilie,
Effrayer son esprit, la tirer d'Italie,

Et pensois la résoudre à cet enlèvement

Sous l'espoir du retour pour venger son amant;
Mais, au lieu de goûter ces grossières amorces,
Sa vertu combattue a redoublé ses forces:
Elle a lu dans mon cœur; vous savez le surplus,
Et je vous en ferois des récits superflus.

Vous voyez
le succès de mon lâche artifice :
Si pourtant quelque grâce est due à mon indice,
Faites périr Euphorbe au milieu des tourmens,
Et souffrez que je meure aux yeux de ces amans.
J'ai trahi mon ami, ma maîtresse, mon maître,
Ma gloire, mon pays, par l'avis de ce traître,
Et croirai toutefois mon bonheur infini,
Si je puis m'en punir après l'avoir puni.

AUGUSTE.

En est-ce assez, ô ciel! et le sort, pour me nuire,
A-t-il quelqu'un des miens qu'il veuille encor séduire!
Qu'il joigne à ses efforts le secours des enfers;
Je suis maître de moi comme de l'univers;
Je le suis, je veux l'être. O siècles! ô mémoire!
Conservez à jamais ma dernière victoire;
Je triomphe aujourd'hui du plus juste courroux
De qui le souvenir puisse aller jusqu'à vous.

Soyons amis, Cinna, c'est moi qui t'en convie⚫
Comme à mon ennemi je t'ai donné la vie,
Et malgré la fureur de ton lâche dessein,
Je te la donne encor comme à mon assassin.
Commençons un combat qui montre par l'issue
Qui l'aura mieux de nous ou donnée ou reçue.
Tu trahis mes bienfaits, je les veux redoubler;
Je t'en avois comblé, je t'en veux accabler :
Avec cette beauté que je t'avois donnée,
Reçois le consulat pour la prochaine année,
Aime Cinna, ma fille, en cet illustre rang,
Préfères en la pourpre à celle de mon sang;

Apprends sur mon exemple à vaincre ta colère :
Te rendant un époux, je te rends plus qu'un père.
ÉMILIE.

Et je me rends, seigneur, à ces hautes bontés;
Je recouvre la vue auprès de leurs clartés :
Je connois mon forfait qui me sembloit justice;
Et (ce que n'avoit pu la terreur du supplice)
Je sens naître en mon âme un repentir puissant,
Et mon cœur en secret me dit qu'il y consent.
Le ciel a résolu votre grandeur suprême;

Et pour preuve, seigneur, je n'en veux que moi-même
J'ose avec vanité me donner cet éclat,

Puisqu'il change mon cœur, qu'il veut changer l'État.
Ma haine va mourir, que j'ai crue immortelle;
Elle est morte, et ce cœur devient sujet fidèle;
Et, prenant désormais cette haine en horreur,
L'ardeur de vous servir succède à sa fureur.

CINNA.

Seigneur, que vous dirai-je.après que nos offenses
Au lieu de châtimens trouvent des récompenses?
O vertu sans exemple! ô clémence qui rend
Votre pouvoir plus juste, et mon crime plus grand'

AUGUSTE.

Cesse d'en retarder un oubli magnanime;

Et tous deux avec moi faites grâce à Maxime :
Il nous a trahis tous; mais ce qu'il a commis
Vous conserve innocens, et me rend mes amis.
(A Maxime.)

Reprends auprès de moi ta place accoutumée;
Rentre dans ton crédit et dans ta renommée;
Qu'Euphorbe de tous trois ait sa grâce à son tour;
que demain l'hymen couronne leur amour.
Si tu l'aimes encor, ce sera ton supplice.

Et

MAXIME.

Je n'en murmure point, il a trop de justice;
Et je suis plus confus, seigneur, de vos bontés
Que je ne suis jaloux du bien que vous m'ôtez.

CINNA.

Souffrez que ma vertu dans mon cœur rappelée

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