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M. Rollin ont vu plus de perles que de bourgeons de vignes, ils ont cru que nom de ce qui leur étoit plus conu, étoit le nom propre, & que le figuré étoit celui de ce qu'ils conoiffoient moins.

I I I.

Ce qu'on doit obferver, & ce qu'on doir éviter dans l'ufage des Tropes, & pourquoi ils plaifent.

Les Tropes qui ne produifent pas les éfets que je viens de remarquer, font défectueux. Ils doivent fur-tout être clairs,

delectatiónis. Nam gemmáre vites, luxuriem effe in herbis, latas fégetes, étiam ruftici dicunt. Cic. de Orator. L. 111. n. 155. aliter xxxvIII.

Neceffitáte rúftici dicunt gemmam in vítibus.Quid enim dicerent aliud Quintil. inftit. orat. lib vIII. cap. 6. Metaph.

Gemma eft id quod in arboribus tumefcit cum párere incipiunt, à geno, id eft, gigno: hinc Margarita & deinceps omnis lapis pretiofus dicitur gemma.... quod habet quoque Peróttus, cujus hæc funt verba,» lapillos gem» mas vocavêre à fimilitúdine gemmárum quas in vítibus » five arbóribus cérnimus; gemmæ enim própriè funt púpuli quos primo vites emittunt ; & gemmáre vites di»cuntur, dum gemmas emittunt. « Martinii Lexicon,

دو

voce gemma.

Gemma óculus vitis propriè. 2. gemma deinde generále - nomen eft lápidum pretiofórum. Baf. Fabri Thefaur. v.

gemma,

faciles, fe préfenter naturèlement, & n'ê tre mis en œuvre qu'en tems & lieu. Il n'y a rien de plus ridicule en tout genre, que l'afectation & le défaut de convenance. Molière dans fes Précieuses, nous fournit un grand nombre d'exemples de ces expreffions recherchées & déplacées. La convenance demande qu'on dife fimplement à un laquais, doncz des fiéges, fans aler chercher le détour de lui dire, voitu Les Préc. rez-nous ici les comodités de la converfation. Rid. Sc. Ix. De plus, les idées acceffoires ne jouent point, fi j'ofe parler ainfi, dans le langage des Précieufes de Molière, ou ne jouent point come elles jouent dans l'imagination d' home fenfé: Le confeiller des gra- ibid. Sc.v1. ces, pour dire le miroir: contentez l'envie ibid. Sc. ix qu'a ce fauteuil de vous embraffer, pour dire afféyez-vous.

Toutes ces expreffions tirées de loin & hors de leur place, marquent une trop grande contention d'efprit, & font fentir toute la peine qu'on a eue à les rechercher : elles ne font pas, s'il eft permis de parler ainfi, à l'uniffon du bon fens, je veux dire qu'elles font trop éloignées de la manière de penser, de ceux qui ont l'esprit droit & jufte, & qui fentent les conve

Manière

d'enfeigner. T. II. P. 247.

nances. Ceux qui cherchent trop l'ornement dans le difcours, tombent fouvent dans ce défaut, fans s'en apercevoir; ils fe favent bon gré d'une expreffion qui leur paroît brillante & qui leur a coûté, & fe perfuadent que les autres en doivent être auffi fatisfaits qu'ils le font eux-mêmes,

On ne doit donc fe fervir de Tropes que lorfqu'ils fe préfentent naturèlement à l'efprit; qu'ils font tirés du fujet, que les idées acceffoires les font naître; ou que les bienféances les infpirent: ils plai fent alors, mais il ne faut point les aler chercher dans la vue de plaire.

Je ne crois donc pas que ces fortes de figures plaifent extrêmement, par l'ingénieuse hardieffe qu'il y a d'aler au loin chercher des expreffions étrangères à la place des naturèles, qui font fous la main, fi l'on peut parler ainfi. Quoique ce foit là une pensée de Cicéron, adoptée par M. Rollin, je crois plûtôt que les expreffions figurées donent de la grace au difcours, parce que, come ces deux grands homes le ib. p. 248. remarquent, elles donent du corps, pour ainfi dire, aux chofes les plus fpirituèles, & Les font prefque toucher au doigt & à l'œil par les images qu'elles en tracent à l'imagination;

en un mot, par les idées fenfibles & ac-

ceffoires

I V.

Suite des Réflexions générales fur le
Sens figuré.

1. Il n'y a peut-être point de mot qui ne fe prène en quelque fens figuré, c'està-dire, éloigné de fa fignification propre & primitive.

Les mots les plus comuns & qui reviènent fouvent dans, le difcours, font ceux qui font pris le plus fréquemment dans un fens figuré, & qui ont un plus grand nombre de ces fortes de fens: tels font corps, ame, tête, couleur, avoir, faire,

&c.

11. Un mot ne conferve pas dans la traduction tous les fens figurés qu'il a dans la langue originale: chaque langue a des expreffions figurées qui lui font particulières, foit parce que ces expreffions font tirées de certains ufages établis dans un pays, & inconus dans un autre ; foit par quelque autre raifon purement arbitraire. Les diférens fens figurés du mot voix, que nous avons remarqués, ne font pas tous en ufage en latin, on ne dit point vex pour

fufrage. Nous difons porter envie, ce qui ne feroit pas entendu, en latin par ferre invidiam: au contraire, morem gérere alicui, eft une façon de parler latine, qui ne feroit pas entendue en françois, fi on se contentoit de la rendre mot à mot, & que l'on traduisît, porter la coutume à quelqu'un, au lieu de dire, faire voir à quelqu'un qu'on fe conforme à fon goût, à fa manière de vivre, être complaifant, lui obéir. Il en eft de même de vicem gérere, verba dare, & d'un grand nombre d'autres. façons de parler que j'ai remarquées ailleurs, & que la pratique de la version interlinéaire aprendra.

Ainfi, quand il s'agit de traduire en une autre langue quelque expreffion figurée, le traducteur trouve fouvent que fa langue n'adopte point la figure de la langue originale, alors il doit avoir recours à quelque autre expreffion figurée de sa propre langue, qui réponde, s'il eft poffible, à celle de fon auteur.

Le but de ces fortes de traductions, n'est que de faire entendre la penfée d'un auteur; ainfi on doit alors s'atacher à la penféc & non à la lettre, & parler come l'auteur lui-même auroit parlé, fi la lan

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