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présent des conceptions écrites du génie de Boileau, dans l'autre période d'existence à laquelle son ame s'est élevée, elle ne doit plus considérer ces mêmes ouvrages que comme ceux d'une enfance terrestre dont elle s'est dépouillée.

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N° 7.

JUGEMENTS

SUR DESPRÉAUX.

« Celui-ci passe Juvénal, atteint Horace, semble créer les pensées d'autrui, et se rendre propre tout ce qu'il manie; « il a, dans ce qu'il emprunte des autres, toutes les graces « de la nouveauté, et tout le mérite de l'invention. Ses vers, «forts et harmonieux, faits de génie, quoique travaillés « avec art, pleins de traits et de poésie, seront lus encore " quand la langue aura vieilli, en seront les derniers débris: « on y remarque une critique sûre, judicieuse et innocente, << s'il est permis du moins de dire de ce qui est mauvais qu'il « est mauvais. » (LA BRUYÈRE, Discours à l'académie françoise, en 1693.)

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Je commence par l'endroit de votre lettre où vous m'ap« prenez que mon Dictionnaire n'a point déplu à M. Des<< préaux. C'est un bien si grand, c'est une gloire si relevée, « que je n'avois garde de l'espérer. Il y a long-temps que j'applique à ce grand homme un éloge plus étendu que <«< celui que Phèdre donne à Ésope: naris emunctæ, natura « nunquàm verba cui potuit dare. Il me semble aussi que l'in«dustrie la plus artificieuse des auteurs ne peut le tromper. » (BAYLE, Lettre à Marais.)

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« Boileau prouve, autant par son exemple que par ses pré« ceptes, que toutes les beautés des bons ouvrages naissent

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« de la vive expression et de la peinture du vrai..... Las « raison n'étoit pas distincte, dans Boileau, du sentiment;

« c'étoit son instinct. Aussi a-t-elle animé ses écrits de cet «< intérêt qu'il est si rare de rencontrer dans les ouvrages di«dactiques. Boileau ne s'est pas contenté de mettre de la « vérité et de la poésie dans ses ouvrages; il a enseigné son « art aux autres. Il a éclairé tout son siècle; il en a banni le « faux goût, autant qu'il est permis de le bannir de chez les « hommes. Il falloit qu'il fût né avec un génie bien singu« lier, pour échapper comme il a fait aux mauvais exemples « de ses contemporains, et pour leur imposer ses propres «lois. Ceux qui bornent le mérite de sa poésie à l'art et à « l'exactitude de la versification ne font pas peut-être atten«tion que ses vers sont pleins de pensées, de saillies, et « même d'invention de style. Admirable dans la justesse, « dans la solidité et la netteté de ses idées, il a su conserver « ces caractères dans ses expressions, sans perdre de son feu « et de sa force; ce qui témoigne incontestablement un grand << talent. » (VAUVENARGUES, Introd. à la connoiss. de l'Esprit humain.)

VOLTAIRE, dont nous avons combattu l'injustice envers Despréaux, en a plusieurs fois fait l'éloge. Il a dit:

« Racine et Despréaux sont les premiers qui écrivirent "purement: après eux, la poésie est devenue plus difficile « et plus belle. » (Note sur le Cid.)

« Courir après l'esprit, affecter des pensées ingénieuses, « c'étoit le goût du temps de Corneille. Racine et Despréaux « en corrigèrent la France. » (Note sur Héraclius.)

« Je ne sais rien de si honorable pour les ouvrages de «M. Despréaux que d'avoir été commentés par vous, et lus " par Charles XII. Vous avez raison de dire que le sel de

«ses satires ne pouvait guère être senti par un héros van« dale, qui était beaucoup plus occupé de l'humiliation du << Czar et du roi de Pologne, que de celle de Chapelain et de « Cotin [a]. Pour moi, quand j'ai dit que les satires de Boi<<< leau n'étaient pas ses meilleures pièces, je n'ai pas pré<< tendu pour cela qu'elles fussent mauvaises: c'est la première « manière de ce grand peintre, fort inférieure à la vérité à « la seconde, mais très supérieure à celle de tous les écri« vains de son temps, si vous en exceptez M. Racine. »

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« Je regarde ces deux grands hommes comme les seuls qui "aient eu un pinceau correct, qui aient toujours employé << des couleurs vives, et copié fidèlement la nature. Ce qui « m'a toujours charmé dans leur style, c'est qu'ils ont dit <«< ce qu'ils voulaient dire, et que jamais leurs pensées n'ont « rien coûté à l'harmonie, ni à la pureté du langage. » (Lettre à Brossette, du 14 avril 1732.)

« Je vous prêcherai donc éternellement cet art d'écrire « que Despréaux a si bien connu et si bien enseigné, ce res« pect pour la langue, cette liaison, cette suite d'idées, cet « air aisé avec lequel il conduit son lecteur, ce naturel qui « est le fruit de l'art, et cette apparence de facilité qu'on ne doit qu'au travail. Un mot mis hors de sa place gâte la « plus belle pensée. » (Lettre à Helvétius, du 20 juin 1741.)

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<«< Si des auteurs anciens, qui bronchent à chaque pas, ont << pourtant conservé leur grande réputation, c'est qu'il ne << s'est point trouvé d'écrivain pur et châtié chez ces nations, « qui leur ait dessillé les yeux, comme il s'est trouvé un Ho<< race chez les Romains, un Boileau chez les Français. » (Dictionnaire philosophique, art. Goût).

« Il n'y a peut-être en France que Racine et Boileau qui << aient une élégance continue.... Je dois exhorter les artistes

[a] Voyez la satire VIII, page 189 de ce volume, note b.

« à se nourir du style de Racine et de Boileau, pour empê« cher le siècle de tomber dans la plus ignominieuse bar« barie [a]. » (Dictionnaire philosophique, art. Vers.)

[al Voyez la Notice bibliographique, page xxvj de ce volume, et l'Art Poétique, tome II, page 308.

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