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de l'équivoque; les hommes, à mon avis, ne pouvant pas s'équivoquer plus lourdement que de prendre des pierres, de l'or et du cuivre pour Dieu. J'ajouterai à cela que la Providence divine, ainsi que je l'établis clairement dans ma satire, n'ayant permis chez eux cet horrible aveuglement qu'en punition de ce que leur premier père avoit prêté l'oreille aux promesses du démon, j'ai pu conclure infailliblement que l'idolâtrie est un fruit, ou, pour mieux dire, un véritable enfant de l'équivoque. Je ne vois donc pas qu'on me puisse faire sur cela aucune bonne critique; surtout ma satire étant un pur jeu d'esprit, où il seroit ridicule d'exiger une précision géométrique de pensées et de paroles.

Mais il y a une autre objection plus importante et plus considérable, qu'on me fera peut-être au sujet des propositions de morale relâchée que j'attaque dans la dernière partie de mon ouvrage: car ces propositions ayant été, à ce qu'on prétend, avancées par quantité de théologiens, même célèbres, la moquerie que j'en fais peut, dira-t-on, diffamer en quelque sorte ces théologiens, et causer ainsi une espèce de scandale dans l'Église. A cela je réponds pre

« toute la force et tout l'art possible [a]. » Si l'on reconnoît dans ce jugement l'illusion d'un élève et d'un ami, on trouvera dans la critique de Voltaire une rigueur excessive. « Comment, dit-il, un << homme d'un aussi grand sens que lui ( Despréaux) s'est-il avisé de « faire de l'équivoque la cause de tous les maux de ce monde ?...... En «< un mot, rien n'est vrai dans cette satire. Aussi c'est sa plus mauvaise, de l'aveu des connoisseurs [b]. »

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[a] Clément de Dijon s'autorise de ce passage pour combattre Voltaire, dans la quatrième lettre qu'il lui adresse, 1773, page 102.

[b] OEuvres complètes de Voltaire, tome XLIII, Mélanges littéraires, t. II, 1821, page 123, du vrai dans les ouvrages.

mièrement qu'il n'y a aucune des propositions que j'attaque qui n'ait été plus d'une fois condamnée par toute l'Église, et tout récemment encore par deux des plus grands papes qui aient depuis long-temps rempli le saint siège. Je dis en second lieu qu'à l'exemple de ces célèbres vicaires de JésusChrist, je n'ai point nommé les auteurs de ces propositions, ni aucun de ces théologiens dont on dit que je puis causer la diffamation, et contre lesquels même j'avoue que je ne puis rien décider, puisque je n'ai point lu ni ne suis d'humeur à lire leurs écrits, ce qui seroit pourtant absolument nécessaire pour prononcer sur les accusations que l'on forme contre eux; leurs accusateurs pouvant les avoir mal entendus, et s'être trompés dans l'intelligence des passages où ils prétendent que sont ces erreurs dont ils les accusent[a]. Je soutiens en troisième lieu qu'il est contre la droite raison de penser que je puisse exciter quelque scan

[a] Despréaux s'étoit contenté d'extraire ces propositions de ce livre admirable qu'il lisoit habituellement, où Pascal a mis en œuvre avec tant d'habileté les matériaux que lui fournissoient MM. de Port-Royal contre leurs adversaires. « Ces opinions répréhensibles, dit un écri« vain respectable, n'appartenoient pas plus à quelques jésuites qu'à « des religieux de quelques autres ordres. La bonne foi exigeoit au « moins qu'on fît observer qu'elles avoient été réfutées de la manière << la plus forte par des membres de cette même société. C'est ainsi « que Nicole a puisé ses principaux raisonnements contre le proba« bilisme dans les écrits du jésuite Comitolo [a], et il se donne bien « de garde de le citer.» (Histoire de Fénélon, par M. le cardinal de Bausset, 1817, tome Ier, page 29.)

[a] Paul Comitolo, né à Pérouse en 1545, y mourut en 1626. Son principal ouvrage est une traduction du grec en latin d'un recueil des meilleurs commentateurs du livre de Job: Catena illustrium auctorum in librum Job, Lyon, 1586.

pour me

dale dans l'Église, en traitant de ridicules des propositions rejetées de toute l'Église, et plus dignes encore, par leur absurdité, d'être sifflées de tous les fidèles, que réfutées sérieusement. C'est ce que je me crois obligé de dire justifier. Que si après cela il se trouve encore quelques théologiens qui se figurent qu'en décriant ces propositions j'ai eu en vue de les décrier eux-mêmes, je déclare que cette fausse idée qu'ils ont de moi ne sauroit venir que des mauvais artifices de l'équivoque, qui, pour se venger des injures que je lui dis dans ma pièce, s'efforce d'intéresser dans sa cause ces théologiens, en me faisant penser ce que je n'ai pas pensé, et dire ce que je n'ai point dit.

Voilà, ce me semble, bien des paroles, et peut-être trop de paroles employées pour justifier un aussi peu considérable ouvrage qu'est la satire qu'on va voir. Avant néanmoins que de finir, je ne crois pas me pouvoir dispenser d'apprendre aux lecteurs qu'en attaquant, comme je fais dans ma satire, ces erreurs, je ne me suis point fié à mes seules lumières; mais qu'ainsi que je l'ai pratiqué, il y a environ dix ans, à l'égard de mon épître de l'Amour de Dieu, j'ai non seulement consulté sur mon ouvrage tout ce que je connois de plus habiles docteurs, mais que je l'ai donné à examiner au prélat de l'Église qui, par l'étendue de ses connoissances et par l'éminence de sa dignité, est le plus capable et le plus en droit de me prescrire ce que je dois penser sur ces matières: je veux dire M. le cardinal de Noailles, mon archevêque [a]. J'ajouterai que ce pieux et

[a] Louis-Antoine de Noailles, né le 27 mai 1651, fut d'abord évêque de Cahors en 1679, et l'année suivante il le fut de Châlonssur-Marne. En 1695, il remplaça M. de Harlay à l'archevêché de Paris. Sur la présentation de Louis XIV, le pape le nomma cardinal en 1700. Il mourut en 1728, laissant son diocèse agité par des

savant cardinal a eu trois semaines ma satire entre les mains, et qu'à mes instantes prières, après l'avoir lue et relue plus d'une fois, il me l'a enfin rendue en me comblant d'éloges, et m'a assuré qu'il n'y avoit trouvé à redire qu'un seul mot [a], que j'ai corrigé sur-le-champ, et sur lequel je lui ai donné une entière satisfaction. Je me flatte donc qu'avec une approbation si authentique, si sûre et si glorieuse [b], je puis marcher la tête levée, et dire hardiment des critiques qu'on pourra faire désormais contre la doctrine de mon ouvrage, que ce ne sauroient être que de vaines subtilités d'un tas de misérables sophistes formés dans l'école du mensonge, et aussi affidés amis de l'équivoque, qu'opiniâtres ennemis de Dieu, du bon sens et de la vérité.

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dissensions qu'il ne sut pas prévenir. Voici comment en parle l'un des meilleurs juges, le digne historien de Bossuet et de Fénélon : « Ce prélat, avec des vertus et des qualités infiniment estimables, avoit ce mélange d'entêtement et de foiblesse, apanage trop ordinaire des « caractères plus recommandables par la droiture des sentiments et << des intentions, qué par la rectitude et l'étendue des idées; il <«< consuma tout son épiscopat dans des discussions où il se voyoit « sans cesse obligé de reculer pour s'être trop imprudemment « avancé, et dans lesquelles il finissoit par mécontenter également << tous les partis. (Histoire de Fénélon, par M. le cardinal de

"

Bausset, 1817, tome III, livre VI, page 401.)

[a] Au vers 148, page 363, note f.

[b] Voyez la lettre de Despréaux au duc de Noailles, t. IV, p. 559. Cette approbation de l'archevêque de Paris, dont se glorifie Despréaux, ne fut peut-être pas un des moindres motifs qui firent défendre d'imprimer la XII satirë: le prélat étoit très opposé aux jésuites, et le père Le Tellier, dont la redoutable influence commençoit à se faire sentir, lui donnoit tous les désagréments qui étoient en son pouvoir.

SATIRE XII[a].

Du langage françois bizarre hermaphrodite,
De quel genre te faire, équivoque maudite,
Ou maudit? car sans peine aux rimeurs hasardeux (1)

[a] Le poëte commença cette pièce en 1705, et la termina en 1707. Son avertissement annonce qu'il se disposoit (en 1710) à l'insérer dans la dernière édition de ses œuvres. N'en ayant pas obtenu la permission, l'édition fut interrompue. Deux ans après sa mort, en 1713, cette édition fut donnée au public; mais la pièce proscrite ne s'y trouve point. L'abbé d'Artigny se trompe, lorsqu'il dit que cette pièce « ne parut pour la première fois qu'en 1713 dans une édition publiée à Amsterdam, deux volumes in-8° [a]. » Dès 1711, elle fut imprimée et séparément, in-8°, 14 pages, et dans un petit volume, intitulé OEuvres posthumes de M. Boileau-Despréaux, etc., enlevées du cabinet de l'auteur après sa mort, in-12 de 37 pages. Ces deux éditions sont très incorrectes, sur-tout celle de la pièce isolée, dont voici le titre, Satire sur les équivoques. Les autres pièces, contenues dans le petit volume, ne sont pas de la même main, à l'exception de l'épitaphe du docteur Arnauld.

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(1) On ne peut pas plus dire un rimeur hasardeux qu'un rimeur périlleux, etc. (Saint-Marc, Essais philologiques, tome V, p. 436.) * Erreur manifeste: le mot hasardeux s'applique aux personnes comme aux choses.

[a] Nouveaux Mémoires d'Histoire, de critique et de littérature, par l'abbé d'Artigny, tome VII, page 372.

Antoine Gachet d'Artigny, chanoine de l'église primatiale de Vienne en Dauphiné, naquit dans cette ville en 1706, et y mourut en 1778.

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