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Que ce n'est qu'en Dieu seul qu'est l'honneur véritable[a].

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Que de lui je médis, il me flatte et me dit

Que je veux par ces vers acquérir son crédit, etc.

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(Sat. VI, vers 229—232.)

[a] La Harpe reconnoît Despréaux dans les soixante premiers vers de la satire: «< Mais, à ses yeux, le reste est un sermon froid et languissant, chargé de redites. L'auteur est presque toujours hors du sujet, et les tournures monotones et le prosaïsme avertissent de la « foiblesse de l'âge [a]. » Cette critique, pour être juste, a besoin d'être restreinte dans tous ses points. La pièce n'offre pas seulement de bons vers parmi les soixante premiers; le reste n'est dépourvu ni d'intérêt ni de mouvement, et l'ordonnance est loin d'être presque toujours vicieuse.

D'après Brossette, cette satire fut composée à l'occasion d'un procès que les traitants, préposés à la recherche des usurpateurs des privilèges de la noblesse, avoient, en vertu de la déclaration du roi du 4 septembre 1696, intenté à M. Gilles Boileau, payeur des rentes de l'hôtel-de-ville de Paris, et cousin du poëte. Ce dernier intervint dans ce procès sur lequel nous nous sommes étendus ailleurs. Il se proposoit de crayonner énergiquement Bourvalais [b], l'un des principaux intéressés à la poursuite des faux nobles. Quand il eut obtenu un arrêt favorable [c], il oublia sa vengeance, et finit même par ne laisser dans sa pièce rien qui pût la retracer. En annonçant à Brossette que cette satire feroit partie de l'édition de 1701, il lui dit: « J'y parle de mon procès sur la noblesse d'une manière assez noble, et qui pourtant ne donnera aucune occasion de m'accuser d'orgueil [d]. » Il supprima ce passage pendant l'impression.

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[a] Cours de littérature, 1821, tome VII, page 12.

[6] Paul Poisson de Bourvalais, fils d'un paysan des environs de Rennes, fit une fortune si considérable, que le tribunal érigé en 1716 par le régent, pour rechercher la conduite des exacteurs, le condamna à payer une taxe de 4,400,000 liv. Il mourut en 1719.

[c] Voyez le tome IV, depuis la page 328 jusqu'à la page 335. [d] Lettre du 8 septembre 1700, page 367.

AVERTISSEMENT (1)

SUR LA SATIRE XII.

Quelque heureux succès qu'aient eu mes ouvrages, j'avois résolu depuis leur dernière édition [a] de ne plus rien donner au public; et quoiqu'à mes heures perdues, il y a environ cinq ans [b], j'eusse encore fait contre l'équivoque une satire que tous ceux à qui je l'ai communiquée ne jugeoient pas inférieure à mes autres écrits [c], bien loin de la publier, je la tenois soigneusement cachée, et je ne croyois pas que, moi vivant, elle dût jamais voir le jour. Ainsi donc, aussi soigneux désormais de me faire oublier, que j'avois été autrefois curieux de faire parler de moi, je jouissois, à mes infirmités près, d'une assez grande tranquillité, lorsque tout d'un coup j'ai appris qu'on débitoit dans le monde, sous mon nom, quantité de méchants écrits, et

(1) Cet avertissement est intitulé par M. Brossette et par tous les éditeurs qui l'ont suivi: Discours de l'auteur, pour servir d'apologie à la satire suivante. On a cru bien faire en lui donnant un titre pareil à celui que l'auteur a donné lui-même à l'avertissement qui précéde la satire X. (Saint-Marc.) * Brossette ayant été dépositaire du manuscrit de Despréaux, nous avons dû suivre son édition, où nous pensons que cet avertissement fut imprimé pour la première fois, en 1716. Saint-Marc y a fait de légers changements qui ont été adoptés par quelques éditeurs, tels que MM. Daunou, etc. [a] En 1701.

[b] Cet avertissement fut composé en 1710.

[c] La postérité n'a pas confirmé ce jugement.

entre autres une pièce èn vers contre les jésuites, également odieuse et insipide, et où l'on me faisoit, en mon propre nom, dire à toute leur société les injures les plus atroces et les plus grossières [a]. J'avoue que cela m'a donné un très grand chagrin : car, bien que tous les gens sensés aient connu sans peine que la pièce n'étoit point de moi, et qu'il n'y ait eu que de très petits esprits qui aient présumé que j'en pouvois être l'auteur, la vérité est pourtant que je n'ai pas regardé comme un médiocre affront de me voir soupçonné, même par des ridicules [6], d'avoir fait un ouvrage si ridicule.

J'ai donc cherché les moyens les plus propres pour me laver de cette infamie; et, tout bien considéré, je n'ai point trouvé de meilleur expédient que de faire imprimer ma satire contre l'équIVOQUE; parcequ'en la lisant, les moins éclairés, même de ces petits esprits, ouvriroient peut-être les yeux, et verroient manifestement le peu de rapport qu'il y a de mon style, même en l'âge où je suis, au style bas et rampant de l'auteur de ce pitoyable écrit. Ajoutez à cela que je pouvois mettre à la tête de ma satire, en la donnant au public, un avertissement en manière de préface, où je me justifierois pleinement, et tirerois tout le monde d'erreur. C'est ce que je fais aujourd'hui ; et j'espère que le peu que je viens de dire produira l'effet que je me suis proposé. Il ne me reste donc plus maintenant qu'à parler de la satire pour laquelle est fait ce discours.

Je l'ai composée par le caprice du monde le plus bizarre,

[a] Cette pièce est insérée dans le quatrième volume, page 653. [b] On disoit alors un ridicule, des ridicules, pour un homme ridicule, des hommes ridicules. Les préfaces de Despréaux et le Dictionnaire de l'académie françoise, édit. de 1694, fournissent plusieurs exemples de ce mot employé dans ce sens-là.

et par une espèce de dépit et de colère poétique, s'il faut ainsi dire, qui me saisit à l'occasion de ce que je vais raconter. Je me promenois dans mon jardin à Auteuil, et rêvois en marchant à un poëme que je voulois faire contre les mauvais critiques de notre siècle [a]. J'en avois même déja composé quelques vers, dont j'étois assez content. Mais voulant continuer, je m'aperçus qu'il y avoit dans ces vers une équivoque de langue; et m'étant sur-le-champ mis en devoir de la corriger, je n'en pus jamais venir à bout. Cela m'irrita de telle manière, qu'au lieu de m'appliquer davantage à réformer cette équivoque, et de poursuivre mon poëme contre les faux critiques, la folle pensée me vint de faire contre l'équivoque même une satire, qui pût me venger de tous les chagrins qu'elle m'a causés depuis que je me méle d'écrire. Je vis bien que je ne rencontrerois pas de médiocres difficultés à mettre en vers un sujet si sec; et même il s'en présenta d'abord une qui m'arrêta tout court: ce fut de savoir duquel des deux genres, masculin ou féminin, je ferois le mot d'équivoque, beaucoup d'habiles écrivains, ainsi que le remarque Vaugelas, le faisant masculin [b]. Je me déterminai pourtant assez vite au féminin, comme au plus usité des deux et bien loin que cela empêchát l'exécution de mon projet, je crus que ce ne

[a] Pope a traité le même sujet dans l'Essai sur la critique, poëme où Despréaux « auroit retrouvé la sagesse de ses principes et la so«<lidité de son jugement.» (Discours préliminaire de l'Essai sur l'homme, traduit par M. De Fontanes, 1821, page 50.)

[b] « Quelques uns encore, dit Vaugelas, le font masculin. » (Remarques sur la langue françoise, 1738, t. I, p. 144.) D'après l'acadé mie françoise, ce mot est présentement toujours féminin, et l'usage ne souffre plus qu'on le fasse masculin. ( Observations de l'académie françoise sur les remarques de M. de Vaugelas, 1704, in-4o, p. 31.)

seroit pas une méchante plaisanterie de commencer ma satire par cette difficulté même. C'est ainsi que je m'engageai dans la composition de cet ouvrage. Je croyois d'abord faire tout au plus cinquante ou soixante vers; mais ensuite les pensées me venant en foule, et les choses que j'avois à reprocher à l'équivoque se multipliant à mes yeux, j'ai poussé ces vers jusqu'à près de trois cent cinquante.

C'est au public maintenant à voir si j'ai bien ou mal ́ réussi. Je n'emploierai point ici, non plus que dans les préfaces de mes autres écrits, mon adresse et ma rhétorique à le prévenir en ma faveur. Tout ce que je lui puis dire[a], c'est que j'ai travaillé cette pièce avec le même soin que toutes mes autres poésies. Une chose pourtant dont il est bon que les jésuites soient avertis, c'est qu'en attaquant l'équivoque, je n'ai pas pris ce mot dans toute l'étroite rigueur de sa signification grammaticale; le mot d'équivoque, en ce sens-là, ne voulant dire qu'une ambiguité de paroles; mais que je l'ai pris, comme le prend ordinairement le commun des hommes, pour toutes sortes d'ambiguités de sens, de pensées, d'expressions, et enfin pour tous ces abus et toutes ces méprises de l'esprit humain qui font qu'il prend souvent une chose pour une autre [b]. Et c'est dans ce sens que j'ai dit que l'idolatrie avoit pris naissance

[a] Dans les dernières éditions, on lit: «Tout ce que je puis lui « dire; » ce qui n'est pas conforme au texte conservé par Brossette. [b] C'est le reproche que l'on fait généralement à cette pièce. Voici néanmoins le jugement qu'en portoit Jean-Baptiste Rousseau. <«< Cet ouvrage, disoit-il, doit avoir trouvé beaucoup de contradic<«teurs à sa naissance. Il attaque des partis trop puissants, pour ne « pas avoir révolté une grosse cabale; mais pour moi, je vous avone « que je l'ai trouvé admirable : l'idée générale en est grande et tout« à-fait neuve, l'économie parfaite, et la versification travaillée avec

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