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Mais enfin vous et moi c'est assez badiner,

Il est temps de conclure; et, pour tout terminer,
Je ne dirai qu'un mot. La fille qui m'enchante,
Noble, sage, modeste, humble, honnête, touchante,
N'a pas un des défauts que vous m'avez fait voir.
Si, par un sort pourtant qu'on ne peut concevoir,
La belle, tout-à-coup rendue insociable,
D'ange, ce sont vos mots, se tranformoit en diable,
Vous me verriez bientôt, sans me désespérer,
Lui dire: Eh bien! madame, il faut nous séparer [a];
Nous ne sommes pas faits, je le vois, l'un pour l'autre.
Mon bien se monte à tant: tenez; voilà le vôtre.
Partez: délivrons-nous d'un mutuel souci.

Alcippe, tu crois donc qu'on se sépare ainsi?
Pour sortir de chez toi sur cette offre offensante,
As-tu donc oublié qu'il faut qu'elle y consente?
Et crois-tu qu'aisément elle puisse quitter
Le savoureux plaisir de t'y persécuter?

Bientôt son procureur, pour elle usant sa plume,

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éloigne ceux à qui il a été donné comme un remède : pourvu qu'avec « de beaux vers il sacrifie la pudeur des femmes à son humeur sati

rique, et qu'il fasse de belles peintures d'actions bien souvent très « laides, il est content. » C'est ainsi qu'il s'exprime, dans son Traité de la Concupiscence, ouvrage où, suivant son historien (M. le cardinal de Bausset), il a allié la plus haute philosophie à la plus sublime théologie [a]. Voy. la satire VIII, page 206, note a.

[a] Ce vers et les deux suivants contiennent la formule usitée chez les Romains pour le divorce: res tuas tibi habeto ; tuas res tibi agito, etc. Loi 2, SI au Digeste de divortiis et repudiis.

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[a] Histoire de J. B. Bossuet, etc., 1814, tome II, page 352, note 1.

De ses prétentions va t'offrir un volume:
Car, grace au droit reçu chez les Parisiens [a],
Gens de douce nature, et maris bons chrétiens,
Dans ses prétentions une femme est sans borne [b].
Alcippe, à ce discours je te trouve un peu morne.
Des arbitres, dis-tu, pourront nous accorder.
Des arbitres!.... Tu crois l'empêcher de plaider [c]!
Sur ton chagrin déja contente d'elle-même,

Ce n'est point tous ses droits, c'est le procès qu'elle aime.
Pour elle un bout d'arpent qu'il faudra disputer
Vaut mieux qu'un fief entier acquis sans contester.
Avec elle il n'est point de droit qui s'éclaircisse,
Point de procès si vieux qui ne se rajeunisse;
Et sur l'art de former un nouvel embarras,
Devant elle Rolet mettroit pavillon bas.

Crois-moi, pour la fléchir trouve enfin quelque voie,
Ou je ne réponds pas dans peu qu'on ne te voie

[a] Pierre Corneille avoit dit, dans la Suite du Menteur, en 1643:

Il est riche, et de plus il demeure à Paris,

Où des dames, dit-on, est le vrai paradis;

Et, ce qui vaut bien mieux que toutes ces richesses,

Les maris y sont bons et les femmes maîtresses.

(Acte II, scène Ire.)

[b] La coutume de Paris étoit très favorable aux femmes. « Parmi « nous, dit Patru, les femmes ont des douaires et des préciputs; r elles partagent la communauté, où pourtant elles n'apportent pres« que rien que le bonheur de leur sexe et la faveur de nos coutumes. Enfin, à bien parler, elles sont les principales héritières de leurs « maris. » (Plaid. IX.)

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[c] Ce portrait de la plaideuse, l'un des mieux amenés, est celui de la comtesse de Crissé. Voyez la satire III, page 116, note 1.

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Sous le faix des procès abattu, consterné,
Triste (1), à pied, sans laquais, maigre, sec, ruiné,
Vingt fois dans ton malheur résolu de te pendre,
Et, pour comble de maux, réduit à la reprendre [a].

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(1) Triste est une épithète oisive après consterné. (Le Brun.) [a] << La satire contre les femmes, quoique plus travaillée (que les « deux dernières), dit La Harpe, quoiqu'elle offre des portraits bien frappés, entre autres celui du directeur, quoique les transitions " y soient ménagées avec un art dont le poëte avoit raison de s'ap« plaudir, n'est pourtant qu'un lieu commun, qui rebute par la lon<< gueur et révolte par l'injustice. Tout y est appuyé sur l'hyperbole, «<et Boileau, qui en a reproché l'excès à Juvénal, n'auroit pas dû « l'imiter dans ce défaut. » (Cours de littérature, 1821, tome VII, page 13.) La Harpe confond ici le jugement porté par Brossette avec celui de l'auteur. On ne voit pas que ce dernier se soit applaudi des transitions qui lui avoient coûté de longs efforts, et qui, suivant ses expressions, le tuoient par leur multitude [a]. En général, elles sont pénibles et monotones. Malgré ce défaut d'aisance et de mouvement, cette satire si critiquée est remplie de beaux détails. Les plaisanteries qui la commencent et la terminent, dont Brossette nous apprend que le poëte se félicitoit, annoncent qu'il ne vouloit pas que l'on prît à la lettre les déclamations qu'il s'est permises.

Le Brun, en rapportant l'épigramme très connue de Fontenelle contre la satire des femmes, met ce dernier au nombre des ennemis que cette pièce suscita au poëte. C'est une erreur : lorsqu'elle parut, il y avoit déja long-temps que l'auteur des Mondes étoit brouillé avec Racine et Despréaux, d'une manière irréconciliable. Voyez la lettre du premier, écrite du camp devant Mons, le 3 avril (1691), tome IV, page 128, note a.

[a] Lettre à Racine, du 7 octobre 1692, tome IV, page 168.

SATIRE XI [a].

A M. DE VALINCOUR,

CONSEILLER DU ROI EN SES CONSEILS, SECRÉTAIRE GÉNÉRAL DE LA

MARINE ET DES COMMANDEMENTS DE MONSEIGNEUR LE COMTE

DE TOULOUSE [b].

Oui, l'honneur, Valincour, est chéri dans le monde: Chacun, pour l'exalter, en paroles abonde;

A s'en voir revêtu chacun met son bonheur;

Et tout crie ici-bas: L'honneur! Vive l'honneur!

"

[a] Cette pièce, commencée au mois de novembre 1698, ne doit pas avoir été publiée par l'auteur avant 1701. En parlant de l'édition de ses œuvres, qui parut cette dernière année, il écrit à Brossette: « Le faux honneur y fera la onzième satire, et j'espère qu'elle ne « vous paroitra pas plus mauvaise que lorsque je vous en récitai les premiers vers. » (Lettre du 8 septembre 1700, tome IV, page 367.) [b] Jean-Baptiste-Henri du Trousset de Valincour, né en 1653 d'une famille noble, originaire de Picardie, mort en 1730, de l'académie françoise et de celle des sciences, étoit un bon littérateur, dont il reste quelques vers, des Lettres à madame la marquise la princesse de Clèves, une Vie du duc de Guise, des Observations sur Sophocle, etc. On connoît ce mot si philosophique, lorsque sa bibliothèque fut consumée en 1725 dans un incendie à Saint-Cloud: « Je n'aurois guère profité de mes livres, si je ne savois pas les per«dre. Voyez le tome IV, page 326, note b. La satire « que Despréaux lui a adressée fait, suivant Voltaire, sa plus grande répu« tation. » (Écrivains français du siécle de Louis XIV, article Valincour.)

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sur

Entendons discourir, sur les bancs des galères Ce forçat abhorré même de ses confrères; Il plaint, par un arrêt injustement donné, L'honneur en sa personne à ramer condamné(1). En un mot, parcourons et la mer et la terre; Interrogeons marchands, financiers, gens de guerre, Courtisans, magistrats: chez eux, si je les croi, L'intérêt ne peut rien, l'honneur seul fait la loi. Cependant, lorsqu'aux yeux leur portant la lanterne (2), J'examine au grand jour l'esprit qui les gouverne,

(1) Allusion à une action mémorable du duc d'Ossone, vice-roi de Sicile et de Naples. Ce seigneur étant un jour à Naples, et visitant les galères du port, eut la curiosité d'interroger les forçats; mais ils se trouvèrent tous innocents, à l'exception d'un seul qui avoua de bonne foi que si on lui avoit fait justice, il auroit été pendu. « Qu'on « m'ôte d'ici ce coquin-là, dit le duc, en lui donnant la liberté, il gâte<< roit tous ces honnêtes gens. » (Brossette.) * Ce fait est une réponse à Voltaire qui s'exprime ainsi, en rapportant les vers de Despréaux : « Nous ignorons s'il y a beaucoup de galériens qui se plaignent du « peu d'égard qu'on a eu pour leur honneur. » (Dictionnaire philosophique, au mot honneur, tome IV, page 448.)

(2) Allusion au mot de Diogène le cynique, qui portoit une lanterne en plein jour, et qui disoit qu'il cherchoit un homme. ( (Despréaux, édition de 1713.)* Diogène, né à Sinope, ville de l'Asie mineure, paroît n'avoir pas toujours méprisé les richesses: on rapporte qu'il ne vint à Athènes que pour échapper aux peines qu'il avoit encourues, en altérant la monnoie dans sa profession de chan

geur.

Il ne faut pas ajouter foi à ce que les anciens racontent de son tonneau ; il est cependant possible qu'il ait couché quelquefois dans celui qui étoit dans le temple de la mère des dieux. On lui attribue un grand nombre de reparties. Il mourut l'an 323 avant J.-C., la même année qu'Alexandre, à l'âge de quatre-vingt-dix-ans. Il ne reste aucun de ses ouvrages, dans lesquels on devoit retrouver son esprit

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