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Fort bien! le trait est bon! dans les femmes, dis-tu, Enfin vous n'approuvez ni vice ni vertu.

Voilà le sexe peint d'une noble manière :

Et Théophraste même, aidé de La Bruyère(1),
Ne m'en pourroit pas faire un plus riche tableau.

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« le goût seul peut en désigner les exceptions. Tel est un logis fai neuf, pour faire une maison neuve. » Despréaux profita de la censure de Perrault, qui paroît bien motivée. Dans cette locution faire maison neuve, le mot maison se prend pour ceux qui habitent la maison, au lieu que le mot logis n'est jamais pris dans une acception semblable. D'ailleurs, quand on pourroit dire l'un pour l'autre, s'ensuivroit-il que faire sa maison neuve, eût au figuré la même signification que faire maison neuve, c'est-à-dire changer tous ses domestiques? La langue poétique a de grands privilèges; mais ils ne s'étendent pas jusqu'à changer à ce point les locutions consacrées. Despréaux les respecte presque toujours, à cause de leur clarté et du mérite de la difficulté vaincue. Le changement que Le Brun lui reproche ici est heureux sous tous les rapports.

(1) La Bruyère a traduit les Caractères de Théophraste, et a fait ceux de son siècle. (Despréaux, édit. de 1713.)* Voyez sur Théophraste le tome III, page 326, note a, et sur La Bruyère le tome IV, page 37, note a.

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Despréaux mettoit des restrictions à l'éloge qu'il fait de ce dernier. Il disoit « que c'étoit un homme qui avoit beaucoup d'esprit et d'érudition; mais que son style étoit prophétique, qu'il falloit souvent « le deviner; qu'un ouvrage comme le sien ne demandoit que de l'esprit, puisqu'il délivroit de la servitude des transitions, qui est la pierre d'achoppement de presque tous les écrivains.» (Bolæana, nomb. LXXIV.) En parlant de l'immortel auteur des Caractères, l'abbé d'Olivet adopte ce jugement rigoureux, qu'il développe dans son Histoire de l'académie. Si La Bruyère s'écarte quelquefois du naturel, en recherchant l'effet, personne, il faut en convenir, n'a mis un plus heureux artifice dans son style et dans ses portraits. A cet égard,

C'est assez: il est temps de quitter le pinceau;
Vous avez désormais épuisé la satire.

on le trouve généralement supérieur au philosophe grec, auquel Despréaux et d'Olivet paroissent néanmoins donner la préférence.

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M. Suard, dans son intéressante Notice sur la personne et les écrits `de La Bruyère, n'a pas bien saisi tout ce que le satirique entendoit par la difficulté des transitions. Voici comment il s'exprime : « Despréaux observoit, à ce qu'on dit, que La Bruyère, en évitant les « transitions, s'étoit épargné ce qu'il y a de plus difficile dans un « ouvrage. Cette observation ne me paroît pas digne d'un si grand << maître. Il savoit trop bien qu'il y a dans l'art d'écrire des secrets plus importants que celui de trouver ces formules qui servent à lier « les idées, et à unir les parties du discours. » (Mélanges de littérature, tome II, page 108.)

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La Harpe réfute son confrère, en écrivant au grand duc de Russie. « Il paroît, dit-il, que c'est M. Suard qui n'a pas assez réfléchi « sur les secrets de l'art d'écrire, pour pénétrer tout le sens de la re« marque de Boileau. Il se trompe fort, s'il croit que tout l'art des « transitions consiste dans les formules qui servent à lier les idées et << les parties du discours. Il a cru parler apparemment des particules; <«< mais l'art des transitions, tel qu'il est en effet, et tel que Boileau « le connoissoit parfaitement, est celui qui apprend à disposer les « idées principales de manière que l'une semble naître de l'autre, << que cet ordre leur donne plus d'effet et de clarté, et que le lecteur <«< soit mené insensiblement par cette succession d'objets, sans aper« cevoir jamais ni vide à remplir, ni intervalle à franchir, ni les ef<< forts de l'auteur pour passer d'une chose à une autre. Or, il est

« sûr qu'après le talent naturel qu'il faut toujours supposer, ce qu'il

« y a de plus difficile, c'est d'exceller dans cette partie de l'art d'é

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crire, l'une de celles qui constituent le bon écrivain, et qui font

« relire le plus souvent les ouvrages, mais, par la même raison,

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« l'une des plus méconnues du vulgaire des auteurs et des critiques. (Correspondance littéraire, 1820, tome II, lettre CLIX, page 450.) Jean de La Bruyère, né à Dourdan, suivant les uns en 1639, sui

Épuisé, cher Alcippe! Ah! tu me ferois rire!
Sur ce vaste sujet si j'allois tout tracer,

Tu verrois sous ma main des tomes s'amasser.
Dans le sexe j'ai peint la piété caustique:
Et que seroit-ce donc si, censeur plus tragique,
J'allois t'y faire voir l'athéisme établi,

Et, non moins que l'honneur, le ciel mis en oubli;
Si j'allois t'y montrer plus d'une Capanée (1)
Pour souveraine loi mettant la destinée,
Du tonnerre dans l'air bravant les vains carreaux,
Et nous parlant de Dieu du ton de Desbarreaux (2)?
Mais sans aller chercher cette femme infernale,
T'ai-je encor peint, dis-moi, la fantasque inégale
Qui, m'aimant le matin, souvent me hait le soir?

vant d'autres en 1644. Cette dernière date paroît être la véritable, l'abbé d'Olivet le faisant mourir en 1696, à l'âge de 52 ans. Voyez l'Histoire de l'Académie françoise, 1743, tome II, page 342.

(1) Capanée étoit un des sept chefs de l'armée qui mit le siège devant Thèbes. Les poëtes ont dit que Jupiter le foudroya à cause de son impiété. ( Despréaux', édit. de 1713.)* Voici sur ce nom la remarque de Charles Perrault : « Je ne sais pas si on peut dire qu'une << femme est une Capanée, pour signifier qu'elle est une impie ; mais je sais << bien qu'on ne dira jamais qu'une femme est une Thésée, pour dire qu'elle est une infidèle ; qu'elle est une Cicéron, pour dire qu'elle << est fort éloquente; ni qu'elle est une Socrate, pour dire qu'elle est " fort sage.» (Préface de l'apologie des femmes.) La remarque de Perrault est juste; si le nom de Capanée ne blesse pas ici, c'est qu'il est généralement peu connu. Le Brun applaudit à l'image employée par le poëte; mais il n'aime pas qu'une femme, dont le nom est « grec d'origine, parle à Dieu du ton de Desbarreaux. »

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(2) On dit qu'il se convertit avant que de mourir. (Despréaux, édit. de 1713.)* Voyez sur Desbarreaux la satire Ire, page 93, note 1.

Tai-je peint la maligne aux yeux faux, au cœur noir?
T'ai-je encore exprimé la brusque impertinente?
T'ai-je tracé la vieille à morgue dominante,
Qui veut, vingt ans encore après le sacrement,
Exiger d'un mari les respects d'un amant (1)?
T'ai-je fait voir de joie une belle animée,
Qui souvent d'un repas sortant tout enfumée,
Fait, même à ses amants, trop foibles d'estomac,
Redouter ses baisers pleins d'ail et de tabac?
T'ai-je encore décrit la dame brelandière
Qui des joueurs chez soi se fait cabaretière (2),
Et souffre des affronts que ne souffriroit pas
L'hôtesse d'une auberge à dix sous pas repas?
Ai-je offert à tes yeux ces tristes [a] Tisiphones,
Ces monstres pleins d'un fiel que n'ont point les lionnes,
Qui, prenant en dégoût les fruits nés de leur flanc,
S'irritent sans raison contre leur propre sang [b];
Toujours en des fureurs que les plaintes aigrissent,
Battent dans leurs enfants l'époux qu'elles haïssent,
Et font de leur maison, digne de Phalaris (3),

(1) Madame de T......, madame de la F....., madame de Freg...... et tant d'autres. (Brossette.)

(2) Il y a des femmes qui donnent à souper aux joueurs, de peur de ne les plus revoir s'ils sortoient de leurs maisons. ( Despréaux, édit. de 1713.)* Telle étoit madame de Miramion, que le poëte a déja désignée. Voyez la page 286, note 1.

[a] Tristes est une épithète foible pour les furies.

[b] La première femme du père de l'auteur avoit pris en aversion l'une de ses filles; ses mauvais traitements firent mourir cette jeune personne.

(3) Tyran en Sicile très cruel. (Despréaux, édit. de 1713.)

Un séjour de douleur, de larmes et de cris?
Enfin t'ai-je dépeint la superstitieuse,

La pédante au ton fier, la bourgeoise ennuyeuse,
Celle qui de son chat fait son seul entretien [a],
Celle qui toujours parle et ne dit jamais rien?
Il en est des milliers; mais ma bouche enfin lasse
Des trois quarts pour le moins veut bien te faire grace.
J'entends: c'est pousser loin la modération.

Ah! finissez, dis-tu, la déclamation.

Pensez-vous qu'ébloui de vos vaines paroles,
J'ignore qu'en effet tous ces discours frivoles.
Ne sont qu'un badinage, un simple jeu d'esprit
D'un censeur dans le fond (1) qui folâtre et qui rit,
Plein du même projet qui vous vint dans la tête
Quand vous plaçâtes l'homme au-dessous de la bête [b]?

[a] Une sœur de l'auteur se reconnut à ce portrait: elle en fụt très blessée. Le vers qui suit lui étoit sans doute également applicable.

(1) Dans le fond, pour au fond: construction louche et irrégulière. (Le Brun.)* Ces deux expressions sont également admises, et la première convient mieux au style soutenu. Le vers critiqué n'offre, dans sa marche, aucun embarras à l'esprit.

[b] Le poëte indique assez qu'elles furent ses intentions, en composant la VIII et la X satire. Aussi Bossuet, même au jugement du pieux Racine le fils [a], pousse-t-il trop loin la sévérité, lorsqu'il dit que Despréaux, dans la première pièce,

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attaque en forme la raison, sans songer qu'il dégrade l'image de Dieu. » En parlant de la seconde pièce, le grand évêque prend un ton plus imposant encore. « Celui-là, dit-il, s'est mis dans l'esprit de blâmer les femmes; << il ne se met point en peine s'il condamne le mariage, et s'il en

[a] OEuvres de Louis Racine, 1808, Réflexions sur la poésie, chap. Jer, tome II, pages 141 et 170.

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