AU LECTEUR. Voici enfin la satire qu'on me demande depuis si longtemps. Si j'ai tant tardé à la mettre au jour, c'est que j'ai été bien aise qu'elle ne parût qu'avec la nouvelle édition qu'on faisoit de mon livre, où je voulois qu'elle fût insérée [a] Plusieurs de mes amis, à qui je l'ai lue, en ont parlé dans le monde avec de grands éloges, et ont publié que c'étoit la meilleure de mes satires [b]. Ils ne m'ont pas en cela fait plaisir. Je connois le public: je sais que naturellement il se révolte contre ces louanges outrées qu'on donne aux ouvrages avant qu'ils aient paru, et que la plupart des lecteurs ne lisent ce qu'on leur a élevé si haut qu'avec un dessein formé de le rabaisser. Je déclare donc que je ne veux point profiter de ces discours avantageux; et non seulement je laisse au public son jugement libre, mais je donne plein pouvoir à tous ceux qui ont tant critiqué mon ode sur Namur d'exercer aussi contre ma satire toute la rigueur de leur critique. J'espère qu'ils le feront avec le même succès; et je puis les assurer que [a] Achevée en 1693, elle parut, à la suite du Lutrin, sous le titre de Dialogue ou Satire X, dans les deux éditions in-4° et in-12 que l'auteur publia de ses œuvres diverses en 1694. [b] « C'est, ce me semble, le chef-d'œuvre de M. Despréaux. (Dictionnaire de Bayle, article Barbe, n. a.) La postérité est loin d'avoir confirmé ce jugement. tous leurs discours ne m'obligeront point à rompre l'espèce de vœu que j'ai fait de ne jamais défendre mes ouvrages, quand on n'en attaquera que les mots et les syllabes. Je saurai fort bien soutenir contre ces censeurs Homère [a], Horace, Virgile, et tous ces autres grands personnages dont j'admire les écrits; mais pour mes écrits, que je n'admire point, c'est à ceux qui les approuveront à trouver des railes défendre. C'est tout l'avis que j'ai à donner ici sons pour au lecteur. La bienséance néanmoins voudroit, ce me semble, que je fisse quelque excuse au beau sexe de la liberté que je me suis donnée de peindre ses vices; mais, au fond, toutes les peintures que je fais dans ma satire sont si générales, que, bien loin d'appréhender que les femmes s'en offensent, c'est sur leur approbation et sur leur curiosité que je fonde la plus grande espérance du succès de mon ouvrage[b]. Une chose au moins dont je suis certain qu'elles me loueront, c'est d'avoir trouvé moyen, dans une matière aussi délicate que celle que j'y traite, de ne pas laisser échapper un seul mot qui pût le moins du monde blesser la pudeur. J'espère donc que j'obtiendrai aisément ma grace, et qu'elles ne seront pas plus choquées des prédications que je fais contre leurs défauts dans cette satire, que des satires que les prédicateurs font tous les jours en chaire contre ces mêmes défauts. [a] Le plus grand des poëtes, et celui peut-être sur lequel on a le moins de détails positifs. L'opinion la plus vraisemblable le fait naître 900 ans avant l'ère vulgaire. [b] Cette satire fut imprimée séparément : nous en avons un exem plaire qui porte seulement ces mots, après le titre : à Cologne, 1694 Elle eut un si grand débit que le libraire avouoit en avoir tiré plus de deux mille écus; mais elle excita des critiques si vives et si nom. breuses, que l'auteur en fut presque entièrement découragé. Racine, pour le rassurer, lui dit : « Vous avez attaqué tout un corps, qui n'est composé que de langues, sans compter celles des galants, qui « prennent parti dans la querelle. Attendez que le beau sexe ait « dormi sur sa colère, vous verrez qu'il se rendra à la raison, et « votre satire reviendra à sa juste valeur. » (Bolæana, n. CXV.) す SATIRE X. Enfin bornant le cours de tes galanteries (1), Griffonné de ton joug l'instrument authentique (2). (1) M. Racine n'étoit pas content de ces deux vers; la construction ne lui en paroissoit pas nette. Il le manda à M. de Maucroix, chanoine de Reims, leur ami.commun; et M. de Maucroix les tourna de cette manière : Alcippe, il est donc vrai qu'enfin l'on te marie, Et que tu prends congé de la galanterie. les ayant trouvés Mais M. Despréaux ne s'en accommoda point, foibles et prosaïques. Alcippe est un personnage inventé. (Brossette.)* « M. Racine n'est pas le seul qui ait été blessé de ce début, « dit J. B. Rousseau. Beaucoup de personnes ont critiqué le gérondif bornant, qui fait tout l'embarras de la phrase, et qui paroît sur-tout « au commencement d'un ouvrage. Je crois que le vers auroit mar«ché plus légèrement en mettant : (Lettres de Rousseau, tome II, page 184.) Il est à présumer que Despréaux n'auroit pas accueilli cette correction, quoiqu'elle soit meilleure que la première. Voyez, sur Maucroix, le tome IV, page 267, note b, et sur J. B. Rousseau la page 388, note c. (2) Instrument, en style de pratique, veut dire toutes sortes de contrats. (Despréaux, édit. de 1713.) C'est bien fait. Il est temps de fixer tes desirs. S'effrayer d'un péril qui n'a point d'apparence, (1) Madame Colbert appeloit ainsi son mari. (Brossette.)* « Cette ma«nière de parler, bourgeoise à l'excès, dit J. B. Bousseau, ne répond point à la noblesse du reste de cette satire, que le célèbre M. Bayle appelle le chef-d'œuvre de l'auteur, et qui en effet est écrite avec " « autant d'art et de force qu'aucun de ses ouvrages. Il étoit aisé de « substituer à la place: " « De voir autour de soi croître dans son logis, etc. « La rime n'auroit pas été si riche à l'œil; mais elle est plus belle à l'oreille, et l'expression n'a rien de bas. » (Lettres de Rousseau, tome II, page 184.) K (2) Me semble un peu dur; j'aurois préféré : « Dont on se croit le père. » (Le Brun.) (3) .... Le poëte a eu particulièrement en vue madame B...... qui témoignoit des frayeurs excessives au moindre mal dont son mari étoit menacé; elle se pâmoit, il lui falloit jeter de l'eau sur le visage. (Brossette.)* C'étoit la femme de Jérôme Boileau, son frère aîné. |