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Enfin, quel chagrin cela lui produit-il? Mes vers ont-ils causé la dureté de sa muse et pétrifié son génie? Lorsqu'un livre s'étale au palais, que le premier venu a droit de le censurer, que le libraire en orne son deuxième pilier, le peu de goût du critique le fera-t-il tomber? Un ministre célébre cabale inutilement contre le Cid, le peuple entier a pour Chimène les yeux de son amant. Les sentiments de l'académię censurent vainement l'irrégularité de l'intrigue et la poésie de cette pièce, tout Paris demeure constant à son admiration. Cependant, aussitôt que le père de la Pucelle met quelque nouvel écrit au jour, ses lecteurs lui sont aussi à charge que Linière (1). En vain a-t-il été flatté par mille éloges, son volume ne paroît pas plus tôt qu'il efface l'encens qu'il a reçu. De cette manière, au lieu de me condamner, lorsque la ville entière le siffle, qu'il en accuse cette influence rebutante de ses vers allemands en françois. Mais oublions son poëme, et n'en disons plus rien.

On a dit il y a long-temps que la médisance traîne des suites fort périlleuses après elle, qu'elle divertit force personnes, et qu'elle ne plaît pas à beaucoup d'autres. Son venin est dangereux. Dans ses témérités, la crainte a fort souvent excité du trouble à Regnier. Abandonnez ces divertissements inutiles dont l'éclat surprend. A des occupations plus amies employez votre lyre, et cédez à Feuillet ces prédications outrées qui ne touchent qui que ce soit.

Mais sur quel sujet s'exercera donc dorénavant ma muse? Courrai-je, transporté de l'enthousiasme de Pindare, répéter avec Malherbe après Théophile? irai-je, rassemblant plusieurs de leurs centons ensemble,

Chanter d'un grave ton dans une ode superbe,

Faire trembler Memphis? etc.

(1) Ce poëte écrivit contre le poëme de la Pucelle. La note de la

Chausserai-je le cothurne, pour marcher au milieu d'une troupe rustique? Enflerai-je la simplicité de l'églogue, pour animer ses chalumeaux? et dessus mon papier, rêvant au ́pied des arbres, mettrai-je dans la bouche d'Écho une langue qu'elle n'a pas? Le cœur glacé, le jugement sain, faudrat-il sur un nom inventé imaginer une passion ridicule, ne lui pas épargner les épithètes les plus flatteuses; et, rempli des meilleurs morceaux, expirer par métaphore? Je cède aux fades amants l'affectation de cette langue, l'entretien d'une volupté ignorante.

L'ironie abondante en portraits donne seule du sel à la science et à la plaisanterie, et par une versification que le bon sens embellit, elle sait désabuser les hommes du siècle des erreurs qui s'y glissent. Le trône n'est pas à l'abri de ses poursuites. Elle ne redoute rien, et, souvent aidée d'une pensée vive, elle prend le parti de la raison attaquée par un butor. Voilà de quelle sorte le premier satirique romain, Lucilius, soutenu de Lélius, jouoit Lupus, Métellus, et les autres Cotins de son temps; et c'est ainsi qu'Horace, prodiguant ses, bons mots, parla avec liberté d'Alpinus et des Pelletiers romains. C'est la satire qui, guidant mes études, me fit haïr dès l'âge de quinze ans un mauvais livre, et qui, conduisant mes pas sur le Parnasse, encouragea ma témérité et m'ouvrit l'esprit. C'est pour la satire seule que j'ai pris la plume.

Cependant, s'il est nécessaire, je me démentirai sur ce que j'ai avancé ; et pour apaiser enfin ce monde de mécontents, je distinguerai les noms qui effarouchent tant d'auteurs. D'abord que vous m'imposez silence, je vais parler sur un autre ton. Je le dis donc une bonne fois avec fran

copie ajoute « qu'il est auteur de portraits en vers et en prose, qui ont fait grand bruit à la cour. »

chise Quinault fait mieux un opéra que Virgile; le soleil n'est pas plus éclatant que la réputation de Boursault (1); Pelletier tourne plus facilement un vers que Patru ni d'Ablancourt (2). Il y a un monde si surprenant aux sermons de Cotin, que la foule de ses auditeurs le fait suer avant qu'il puisse monter en chaire. Rien n'est au-dessus de l'esprit de Sauval [a], le phénix même: Pomone (3) ou Perrin....... Fort bien, mon Esprit, continuez, ne demeurez pas court; mais ne vous apercevez-vous pas déja que leur cabale furieuse ne regardera pas de meilleur œil ces derniers vers que les premiers? Et d'abord, que de poëtes courroucés vous attaqueront! Fertiles en injures et pauvres en inventions, vous les verrez augmenter contre vous des volumes de remarques. Tel vers sera regardé comme criminel, et tel bon mot comme une hardiesse contre l'état. Le roi sera en vain le sujet de vos veilles, son nom assurera inutilement chaque feuillet de vos écrits: d'abord que Cotin est critiqué par quelqu'un, il n'a pas d'amour pour sa majesté; et ce téméraire, si l'on en croit Cotin, ne connoît pas son Créateur, ni les lois civiles et humaines.

(1) L'auteur mit ensuite Pradon.

(2) L'ironie consiste en ce que d'Ablancourt et Patru ne faisoient point de vers. Despréaux dit dans la IX satire :

*

Pelletier écrit mieux qu'Ablancourt ni Patru, etc.

L'ironie consiste en ce que ces deux académiciens écrivoient en prose avec un grand succès, et que Du Pelletier écrivoit fort mal de toutes les manières.

[a] Il en est parlé dans la satire VII, page 172, note I.

(3) Opéra de Perrin, mis en musique par Cambert. * Il ne fut joué qu'en 1671, trois ans après la publication de la IX satire. Cette même année, le privilège de ce genre de spectacle ayant été donné à Lulli, Cambert se retira en Angleterre, où Charles II le fit surintendant de sa musique : il y mourut en 1677.

Il vous est facile de répondre : mais quel embarras nous peut causer Cotin à la cour? que ses criailleries produirontelles? Prétend-il par là frustrer mes vers des pensions que je n'ai jamais demandées? Non, pour faire l'éloge d'un prince estimé de tout le monde entier, ma langue désintéressée ne souffrira point que l'argent lui dicte jamais de panégyrique. Tels que sont mes ouvrages, l'intérêt ne leur a point fait voir le jour, et la gloire de louer le prince est le seul prix que je me suis proposé pour récompense. Retenu dans les libertés de ma plume, avec ce même pinceau dont j'ai peint tant de ridicules auteurs et de vicieux, je n'oublierai point l'hommage que doit ma muse à ses rares vertus. Je veux bien vous croire; cependant on se plaint, les menaces se multiplient. Je me soucie peu, répondrez-vous, de ces souteneurs de muses., Eh! redoutez le fiel d'un poëte en fureur, son style glaçant peut vous réduire à un éternel silence [a].

[a] Les anachronismes que nous avons fait remarquer dans cette pièce permettent de croire qu'elle n'est pas de Despréaux, et que d'Alembert l'avoit à peine examinée, lorsqu'il en a regardé la découverte comme importante. Le style embarrassé, ou plutôt dégoûtant, dont elle est écrite ajoute encore à la défiance; on n'y trouve presqu'aucune trace de l'esprit de l'auteur. Rien ne s'y présente sous les formes poétiques, et l'on conçoit difficilement qu'il ne les ait pas quelquefois employées, même sans le vouloir. L'exemple de Racine fortifie ces doutes, au lieu de les détruire. Le premier acte d'Iphigénie en Tauride existe en prose, écrit de la main de ce grand homme; mais ce n'est pas une paraphrase insipide: c'est une esquisse claire et rapide, dont il faut conclure qu'il traçoit en prose le plan de ses tragédies, en indiquant la matière générale de chaque scène en particulier.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR [a].

Voici le dernier ouvrage qui est sorti de la plume du sieur D***. L'auteur, après avoir écrit contre tous les hommes en général[b], a cru qu'il ne pouvoit mieux finir qu'en écrivant contre lui-même, et que c'étoit le plus beau champ de satire qu'il pût trouver [c]. Peut-être que ceux qui ne sont pas fort instruits des démêlés du Parnasse, et qui n'ont pas beau

[a] Cet avertissement précède la IX satire, dans l'édition qui en fut d'abord publiée séparément en 1668. L'auteur ne pouvoit avouer les éloges qu'il y reçoit, ou plutôt qu'il s'y donne sous le nom de son libraire: aussi l'a-t-il retranché dans toutes les éditions de ses œuvres, même dans celle de 1668. Brossette et Saint-Marc en font usage; mais le dernier le donne d'une manière inexacte. [b] Dans la VIIIe satire.

[c] La VIII satire avoit eu un succès extraordinaire, suivant ce que Brossette nous apprend : « Le roi lui-même, ajoute-t-il, à qui << on en fit la lecture, en parla plusieurs fois avec de grands éloges. « Le sieur de Saint-Mauris (1), chevau-léger de la garde du roi, qui « en fut témoin, lui dit que Boileau avoit fait une autre satire qui « étoit encore plus belle que celle-là, et dans laquelle il parloit de «sa majesté. Le roi lui dit fièrement, mais avec quelque surprise [a]: y parle de moi, dites-vous? Oui, sire, répondit Saint-Mauris; mais il en parle avec tout le respect qui est dû à votre majesté. « Alors le roi témoigna de la curiosité pour la voir, et Saint-Mauris

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(1) Il avoit l'honneur d'approcher de la personne du roi, parcequ'il lui montroit à tirer à la volée. ( Brossette.)

[a] Louis XIV dut éprouver moins de surprise que de plaisir le poëte l'avoit déja loué dans le Discours au roi, ainsi que dans la première et la cinquième satire.

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