Page images
PDF
EPUB

5

De tous côtés, docteur, voyant les hommes fous,
Qu'il (1) diroit de bon cœur, sans en être jaloux,
Content de ses chardons, et secouant la tête :
Ma foi, non plus que nous, l'homme n'est qu'une bête [a]!

(1) Le que dans qu'il diroit est absolument inutile. Il falloit simplement il diroit, l'auteur ayant commencé sa phrase par oh! que. (Saint-Marc.)* Les deux que sont assez éloignés l'un de l'autre pour en rendre la répétition presque insensible, si elle n'est pas nécessaire.

[a] Voici ce que La Harpe dit de cette pièce, dans le jugement qu'il porte des satires de l'auteur: « On regarde comme une de ses «< meilleures la satire sur l'homme: c'est une de celles où il y a le « plus de mouvement et de variété, et qui, dans le temps eut le

[ocr errors]

K

plus de vogue. Desmarets et d'autres écrivains de même trempe

« en firent une critique très absurde, en prenant le sens de l'auteur « dans une rigueur littérale. Ils crièrent au sacrilège sur le parallèle « d'un âne et d'un docteur; ils prouvèrent démonstrativement que « l'un en savoit plus que l'autre, et je crois que Boileau en étoit

« persuadé. Mais qui ne voit que le fond de cette satire est réelle

<< ment très vrai et très philosophique ? Qui peut nier que l'homme

qui fait un mauvais usage de sa raison ne soit en effet au-dessous « de l'animal qui suit l'instinct de la nature? Cette vérité appartient « à la satire morale, et Boileau l'a fort bien développée. » ( Cours de littérature, 1821, tome VII, page 15.) *

Bossuet ne nomme point Despréaux; mais il le désigne clairement. Il lui reproche de plaider contre l'homme la cause des bêtes, d'attaquer « en forme jusqu'à la raison, sans songer qu'il déprise l'image

[ocr errors]

de Dieu, dont les restes sont encore si vivement empreints dans << notre chute,.... » de cacher enfin cette grande vérité, parcequ'elle romproit « le cours de ses fausses et dangereuses plaisanteries. » ( OEuvres de Bossuet, 1816, tome X, Traité de la concupiscence, page 400.) C'est prendre bien sérieusement les badinages d'un poëte connu pour avoir toujours respecté la religion et la morale.

ESQUISSE EN PROSE

DE LA SATIRE IX [a].

J'ai dessein de m'entretenir avec vous, mon esprit. Je ne saurois vous passer vos libertés, ni vous accorder davantage

[a] Saint-Marc insère cette esquisse informe dans son édition, tome V, page 257. Il l'imprime sur une copie qui étoit dans un portefeuille, donné, dit-il, par un savant illustre à la bibliothèque du roi. Cette copie, que l'on a vainement cherchée, avoit pour titre : « Satire IX de M. Boileau Despréaux en prose, sur laquelle il a « mis depuis en vers celle qui se lit dans le premier volume de ses « œuvres, trouvée dans son cabinet après sa mort. » Il est impossible de garantir l'authenticité d'une pareille pièce, que Saint-Marc n'a point vue écrite de la main du poëte, et sur laquelle Brossette garde un silence absolu.

[ocr errors]

le sa

D'Alembert n'élève cependant aucun doute à cet égard. « On a, dit-il, imprimé la satire à son esprit écrite en prose par l'auteur... « Cette comparaison du tableau avec son esquisse peut être très << utile aux jeunes écrivains, et c'est un service que les commenta«teurs de Despréaux ont rendu à la littérature, etc. » (Note 25, sur l'éloge de Despréaux.) D'Alembert infère de cette esquisse que tirique écrivoit ordinairement ses ouvrages en prose avant de les mettre en vers. « On assure, ajoute-t-il, que Racine en usoit de même « pour ses tragédies. La nature du génie de ces deux grands poëtes, « formé d'une heureuse combinaison de verve et de sagesse, les au«torisoit à cette marche lente et mesurée; mais ce ne seroit pas un « conseil à donner à tous ceux qui écrivent en vers. Combien en est-il « dont les productions seroient desséchées dans leur germe par cette méthode, propre à faire avorter plus d'un poëte! Que celui dont

a

de basses flatteries sur les traits satiriques dont vous piquez les grands auteurs de votre siècle. J'ai donc résolu de ne vous rien cacher de ce que je pense.

Ne soupçonneroit-on pas en lisant vos bons mots, en vous entendant débiter vos belles maximes, au ton que vous prêtez à vos décisions sur les poëtes, et à la hardiesse avec laquelle vous réfutez des théologiens (1), que vous êtes l'u

[ocr errors]

"

« le pas est ferme et sûr, sans être tardif et pesant, suive et achève " pas à pas sa route; que celui qui en modérant sa marche la ren« droit chancelante et pusillanime s'élance dans la carrière en cou<< rant: la sage lenteur de Raphaël eût énervé la vigueur du Tintoret, << et le travail rapide de l'auteur des Métamorphoses eût été mortel à l'Énéide.» (Éloge de Despr., OEuv. de d'Alembert, t. VII, p. 91.) Au contraire, Clément de Dijon, qui ne plaide pas toujours la cause du goût avec un ton convenable, s'exprime sans aucun ménagement sur le commentateur Saint-Marc, dont il suspecte la bonne foi à l'égard de l'esquisse attribuée à Despréaux. « Il auroit dû voir, dit-il, que cette pièce avoit été forgée par quelque ennemi de ce poëte, pour faire croire qu'il n'avoit d'autre mérite que de tourner « un vers avec peine, ou pour défigurer le chef-d'œuvre du satirique, « en le travestissant d'une manière si indigne. Mais le faussaire a été «< si maladroit, qu'il n'y avoit que Saint-Marc qui en pût être la dupe, « à moins qu'il n'eût fait lui-même cette pièce: car on y trouve plu« sieurs anachronismes; entre autres, on y fait parler à Boileau de <<< la satire des femmes, qui fut faite plus de vingt ans après. En un << mot, je ne sais ce qu'il y auroit en cela de plus prodigieux, ou que Despréaux, ayant conçu un plan si excellent, eût pu écrire une " prose si sotte et si ridicule, ou qu'il eût pu, sur cette prose lourde, « traînante et fade, faire un chef-d'œuvre d'esprit, de naturel, et de plaisanterie. » (Sixième lettre à M. de Voltaire, page 154.)

"

[ocr errors]

Les opinions étant partagées sur cette pièce, nous avons dû l'offrir au jugement du lecteur, en lui soumettant les motifs qui peuvent faire penser qu'elle est supposée.

(1) Allusion à la VIII satire. (Saint-Marc.)* Ce commentateur

nique respecté de la médisance, et qu'il n'est permis qu'à vous de décider du bon ou du mauvais sort d'un ouvrage? Cependant un génie particulier me parle incessamment de vous contre ce procédé. Ma personne ne perd point de vue le haut et le bas de vos pensées; elle ne peut s'empêcher de sourire en voyant votre foiblesse et votre stérilité se mêler de critiquer la ville de Paris (1), dans vos coups de dent, plus bourru et plus cynique que le sexe en fureur, et l'avo- ́ cat Gautier qui plaide.

Néanmoins parlons ensemble. D'où vous est venue votre inspiration médisante? Boit-on de l'eau d'Hippocrène, si l'on n'a les muses favorables? Étiez-vous agité, répondezmoi, de cette imagination fougueuse dont le dieu des beaux vers transporte les poëtes qu'il aime? La double montagne a-t-elle été rendue facile pour vous seul? Ne devriez-vous pas être instruit que qui ne franchit pas d'abord la hauteur du Parnasse demeure au pied fort long-temps; et que si un auteur n'a pas l'autorité d'Horace et le badinage de Voiture, il croupit avec la traduction de l'Institution de l'Orateur (2)?

Mais, si mes avis ne sauroient retenir le penchant malicieux qui conduit votre plume, sans passer le temps que vous consacrez aux filles de Mémoire en reflexions inutiles, entreprenez l'histoire du roi. Dans un volume, employant avec grandeur toutes les connoissances que vous vous êtes faites des routes du sacré mont, chaque année ennobliroit

annonce qu'il a conservé les petites notes du copiste de l'esquisse en prose, en les réformant et les augmentant, lorsqu'il l'a cru nécessaire.

(1) Allusion à la VIa satire.

(2) Despréaux désigne ici l'abbé de Pure, auteur d'une version de Quintilien. Voyez les raisons qu'il avoit d'en vouloir à cet abbé, satire II, page 98, note c.

çe recueil, et votre réputation immortelle chargeroit Barbin de toute sa fumée.

Peut-être répondrez-vous que c'est inutilement que j'ose vous chatouiller d'un travail brillant, qui vous semble trop hardi; que tout poëte n'a pas la voix du chantre thébain; qu'un autre est extraordinaire de faire entonner la trompette à la touchante élégie; et qu'il n'est pas en la puissance de tout bel esprit de chausser le cothurne, pour faire parler de cette sorte la reine au roi:

Lille venoit de voir foudroyer ses remparts,
Et l'lhère vaincu fuyoit de toutes parts (1).

Avec un vol si téméraire, éloigné de celui d'Icare, le savant élève de Malherbe (2) toucheroit le luth de l'héroïque auteur de l'Iliade; mais, pour le pitoyable traducteur des Lamentations de Jérémie (3), et le caustique Boileau (4), à qui la passion de la poésie dicte des impromptu, et que l'envie de critiquer et l'étude ont rendu versificateur, quoique tous les pédants (5) prennent le parti de notre Minerve, il nous est plus favorable de nous croire dans l'oubli. Des vers froids et un panégyrique bas ôtent en même temps l'honneur au poëte et au prince. Je vous le dis, de pareilles entreprises surpassent une légère érudition.

(1) Ces deux vers sont d'une élégie de M. Fléchier, dans laquelle la reine parle au roi sur ses travaux guerriers.

(2) Racan.

(3) L'abbé Cotin.

(4) C'est l'auteur lui-mêmę.

(5) Ce mot est remplacé dans les vers par celui de grimauds, terme vague auquel nous n'attachons aucune idée précise, et qui ne peut rendre celle que le mot pédant exprime. * L'observation de Saint-Marc n'est pas juste: grimaud est un terme de mépris, qui signifie petit écolier.

« PreviousContinue »