Soit que le ciel me garde un cours long et tranquille (1), A Rome ou dans Paris, aux champs ou dans la ville, Dût ma muse par là choquer tout l'univers, Riche, gueux, triste ou gai[a], je veux faire des vers. Primores populi arripuit populumque tributim; Scilicet uni æquus virtuti atque ejus amicis. (Liv. II, sat. I, vers 57-70.) HORACE. En un mot, que j'atteigne une heureuse vieillesse, TRÉBATIUS. Jeune homme, je vous plains; vous perdrez, je parie, HORACE. Quoi! lorsque de cet art l'inventeur courageux, Sa muse fit justice et du peuple et des grands; (M. Daru.) (1) Me garde un cours n'est ni assez clair, ni assez françois. (Le Brun.) * Cette expression concise n'est-elle pas suffisamment développée par les vers qui la précédent? [a] Dans les éditions antérieures à celle de 1683, on lit: Riche, gueux ou content, je veux faire des vers, « Ce content, dit Desmarets, est bien mal placé, et tout seul il ne «< contente point. Il falloit lui opposer un mot, comme triste; car on Pauvre esprit, dira-t-on, que je plains ta folie! Eh quoi! lorsqu'autrefois Horace, après Lucile, Et que craindre, après tout, d'une fureur si vaine? « ne sait à quoi s'attache ce mot ou content. Il falloit dire riche ou «gueux, content ou triste, pour faire les oppositions nécessaires. « Cela est pris et mal traduit d'Horace, qui fait toutes les oppositions « nécessaires, tant pour ce qui est d'être vieux ou jeune, riche ou pauvre, soit qu'il fût à Rome ou en exil, si la fortune le vouloit. « Il dit: ne longum faciam, etc.; donc sans s'extravaguer sur le vol affreux de la mort, et en faisant les oppositions justes, il devoit « dire, pour imiter raisonnablement Horace : Enfin, soit que m'attende une heureuse vieillesse, Soit que la mort m'arrête en ma verte jeunesse, « Dans Paris, ou banni, vaguant par l'univers, << Riche ou gueux, triste ou gai, je veux faire des vers. » Dans cette traduction de Desmarets, il n'y avoit de bon que le premier hémistiche du quatrième vers. Despréaux profita d'une partie de cet hémistiche. Il auroit mieux valu l'adopter entièrement. [a] Les vers qui caractérisent Horace et Juvénal portent l'empreinte de la composition de ces deux poëtes. [b] Cette satire est l'un des premiers ouvrages de l'auteur, qui n'en avoit encore ni dédié ni fait imprimer aucun. On ne voit point mes vers, à l'envi de Montreuil (1), Pour plaire à quelque ami que charme la satire [a], (1) Le nom de Montreuil dominoit dans tous les fréquents recueils de poésies choisies qu'on faisoit alors. (Despréaux, édition de 1713.) * L'abbé Mathieu de Montreuil, ou plutôt de Montereul, de l'académie françoise, né à Paris en 1620, étoit fils d'un avocat au parlement. Il ne sut point mauvais gré à Despréaux de sa petite raillerie. Le volume de ses œuvres, in-12, 1671, contient beaucoup de lettres, parmi lesquelles on distingue la relation du mariage de Louis XIV. Ses poésies consistent en sonnets, stances, madrigaux, etc. Sa prose et ses vers sont d'un écrivain fort gai, souvent ingénieux sans affectation, et galant sans fadeur; mérite rare dans tous les temps, mais sur-tout au milieu du dix-septième siècle. Quoiqu'il possédât un bénéfice assez considérable en Bretagne, sa vie dissipée lui fit bientôt contracter des dettes. M. de Cosnac lui ayant offert une place de secrétaire, il l'accepta, et mourut long-temps après en 1692, à Valence, chez ce prélat qui étoit évêque de cette ville. Madame de Sévigné écrivoit à Ménage, vers 1656, que « Mon« treuil étoit douze fois plus étourdi qu'un hanneton. » Il ne faut pas, comme on l'a fait dans quelques recueils, le confondre avec son frère Jean de Montereul, de l'académie françoise, mort en 1651, dont rien n'a été imprimé. [a] . Cur metuas me? Nulla taberna meos habeat, neque pila libellos, etc. (Horace, liv, I, sat. IV, vers 70-71.) " [b] « Par ces derniers vers, dit d'Alembert, il désignoit l'abbé Furetière, si connu par son caractère caustique et mordant, qui Enfin c'est mon plaisir; je veux me satisfaire [a]: Et, dès qu'un mot plaisant vient luire à mon esprit [b], Mais c'est assez parlé; prenons un peu d'haleine: « a fini par le déshonorer et le perdre. Quand Despréaux lut sa * première satire à cet abbé, il s'aperçut qu'à chaque trait Furetière « sourioit malignement, et laissoit voir une joie secrète de la nuée « d'ennemis qui alloit fondre sur l'auteur. Voilà qui est bien, disoit« il, mais cela fera du bruit. Cette perfide approbation fut bien remarquée par Despréaux, et peut-être lui auroit fait brûler ses satires [a], « s'il n'étoit presque impossible, malgré les réflexions et les exemples, d'échapper à son caractère et à sa destinée. » ( Éloge de Despréaux, œuvres de d'Alembert, 1805, tome VII, page 112.) C'est que d'Alembert dit que les vers auxquels se rapporte cette note appartiennent à la neuvième satire. " par erreur [a] Dans toutes les éditions avouées par l'auteur, excepté dans celle de 1701, on lit, suivant l'ancien usage: .Je me veux satisfaire. Quoique cette leçon ait été rétablie dans l'édition de 1713, nous avons, à l'exemple des éditeurs les plus modernes, suivi la leçon de l'édition de 1701 : elle est aujourd'hui la seule qui soit usitée. 〃 [6]. « On a trouvé, dit Pradon, vient luire bien galimatias. (Nouvelles remarques, page 45. ) Cette expression est juste et claire ; un mot plaisant jaillit comme une étincelle. [a] C'est-à-dire ses deux premiers essais en ce genre. SATIRE VIII (1). À M. M. (MOREL), DOCTEUR DE SORBONNE [a]. .... De tous les animaux qui s'élèvent dans l'air, Qui marchent sur la terre, ou nagent dans la mer (2), (1) Cette satire est tout-à-fait dans le goût de Perse, et marque un philosophe chagrin qui ne peut plus souffrir les vices des hommes. (Despréaux, édit. de 1713.)* Cette pièce que, suivant Brossette, l'auteur nommoit «la satire de l'homme, et non pas contre l'homme, fut composée en 1667, et publiée l'année suivante, d'abord séparément, ensuite dans la troisième édition des satires. [a] Ce docteur étoit surnommé la mâchoire d'âne, parcequ'il avoit la mâchoire fort grande et fort avancée; c'est pour cette raison que Despréaux, par le conseil de son frère, autre docteur de Sorbonne, lui adressa cette satire, à la fin de laquelle il met l'homme au-dessous de l'âne. « Il étoit, dit Brossette, grand en« nemi des jansénistes, contre lesquels il a composé divers ouvrages, mais tous assez mauvais. Cependant le poëte Santeuil fit « des vers latins dans lesquels il affecta de louer ce docteur de ce « que, par ses discours et par ses écrits, il avoit confondu les disciples de Jansénius, comme Samson défit les Philistins, armé « d'une mâchoire d'âne. Claude Morel étoit de Châlons en Cham"pagne, d'une bonne famille de robe. Il mourut à Paris le 30 d'a " « vril 1679, étant doyen de la faculté de théologie, et chanoine théologal de Paris. Il avoit refusé l'évêché de Lombez. » Voyez le tome III, page 124, sur ses tentatives pour le maintien de la doctrine d'Aristote dans les écoles. (2) Ce vers est tout entier dans Ronsard. Hymne VI, liv. I, page 126. (Le Brun.) * Il se présente si naturellement à l'esprit, qu'il n'est pas à présumer que Despréaux l'ait puisé dans cette source. |