Page images
PDF
EPUB

Tandis que je faifois, dit M. Braun, les recherches les plus exactes fur les degrés de la chaleur du mercure bouillant, j'ai obfervé que ce même métal, contenu dans un vafe, bouilloit long-tems avant que celui qui étoit renfermé dans un thermometre, éprouvât le premier degré d'ébullition. Je jugeai que l'intervalle qui fe trouve entre l'ébullition de ces deux mercures féparés, étoit néceffaire, ou parce que la chaleur a besoin d'un certain efpace de tems pour fe communiquer, ou parce que le degré de chaleur du mercure dans le vafe & du mercure dans le thermometre, différent entr'eux non-feulement dès le commencement, mais encore pendant les progrès de l'ébullition, & ainside suite. La premiere de ces deux caufes ne me paroiffoit pas admifssible, puifque la communication de la chaleur, quoique fucceffive, ne devoit pas exiger un fi long efpace de tems; la feconde qui fuppofoit une différence dans la chaleur du mercure contenu dans le vafe ou dans le thermometre, offroit une efpece de paradoxe, puifque les degrés de chaleur du thermometre, celui de l'air ambiant ou des autres fuides, font cenfés être les mêmes. Dans cette perplexité, j'eus recours à l'expérience pour difiiper mes doutes, & c'eft la feule voie que le Phylicien doive reconnoître. Les thermometres remplis de mercure, ne peuvent fervir pour les expériences faites avec l'argent vif bouillant; j'ai cherché des liqueurs dans lefquelles le mercure du thermometre n'éprouvât pas fon degré d'ébullition, quoiqu'elles fuffent elles-mêmes. bouillantes. L'eau a été le premier fluide employée pour mes nouvelles épreuves. Un grand vafe de cuivre en fut rempli; & dans fon milieu fut placé un autre vafe du même métal, contenant ce même fluide, à la hauteur des deux tiers; de forte que l'eau du plus grand vase étant plus élevée que celle du petit, toutes les parties d'eau contenues dans ce dernier, étoient environnées par celles de l'autre. Un feu três-actif fuc pouffé fous cet appareil pendant plus d'une heure, l'eau du grand vafe bouillit avec violence, & celle du petit ne donna pas le moindre figne

d'ébullition.

Il ne m'étoit plus permis de douter que le degré de chaleur de l'eau bouillante, dans le grand vaiffeau, ne fût différent de celui de l'eau du petit vaiffeau, puifque cette eau ne put parvenir au point de l'ébullition par la communication de la chaleur, il reftoit donc à déterminer quelle étoit cette différence; le thermometre conftruit au mercure m'en fournit les moyens. Le thermometre de M. de Lifle, plongé dans l'eau bouillante, marquoit zero ou le cent cinquante-huitieme degré au-deffus de la congellation; (1) & la chaleur de l'eau du petit vaiffeau, éprouvée avec

(1) L'échéile de graduation du thermometre de M. de Lifle, dont M. Braun s'eft fervi, n'eft fans doute pas exacte. Voyez dans le Volume du mois d'Octobre 1772, le tableau du thermometre univerfel de comparaifon, dans lequel on découvre, au pic mier coup-d'œil, la concordanos des dix-fept thermometres connus.

le même thermometre, indiquoit neuf degrés de moins cette différence fut conftamment la même; elle n'augmenta ni ne diminua perdant tout le temps que dura l'ébullition de l'eau du grand vaiffeau.

Cette expérience a été plufieurs fois répétée dans toutes les circonftances néceffaires pour conftater le fait, & les résultats en ont toujours été les mêmes. Pour cet effet, j'ai employé des vaiffeaux de verre, de terre, de fer, &c.; la diverfité des vaiffeaux ne produifit aucun changement; mais au contraire, la différence étoit marquée quand j'opérois dans des vaiffeaux fermés. Je la ferai connoître dans la fuite de ce Mémoire.

mencé

Je penfois que les expériences que je pourrois faire fur les autres fluides, me fourniroient la même fingularité dans leur réfultat. J'ai compar l'efprit-de-vin le plus rectifié; il a bouilli au trente-deuxieme degré de mon thermometre (1), tandis que femblable efprit-de-vin renfermé dans un petit cylindre de verre, n'eft jamais parvenu à l'état d'ébullition, quoiqu'il fût plongé dans l'efprit de vin bouillant, contenu dans un vaiffeau de cuivre. La différence de chaleur qui s'eft trouvée entre l'un & l'autre, a été de quatre degrés. Ainfi l'efprit-de-vin très-rectifié, a préfenté les mêmes phénomenes que l'eau. La feule différence a été de quatre degrés.

a

Si on excepte ces deux fluides, aucune autre liqueur n'a présenté les mêmes phénomenes. L'efprit-de-vin de France, mais marchand, communiqué fon ébullition après un petit intervalle, à celui qui étoit placé au milieu de lui; & la différence de chaleur de l'un à l'autre étoit de douze degrés. Le meilleur efprit de-vin de Ruffie a produit le même phénomene; c'est-à-dire, qu'une portion de cet efprit-de-vin bouillant dans un vafe de cuivre, a fait bouillir une partie de la même liqueur renfermée dans un petit cylindre, & un autre renfermé dans un plus grand. La différence de chaleur de l'un & de l'autre étoit à-peu-près égale à celle de l'expérience précédente; c'est-à-dire, de treize degrés. L'efprit-de-vin de Ruffie produifit le même effet; mais la chaleur fut portée au quinzieme degré.

Les mêmes ellais furent répétés fur les vins; les résultats furent les mêmes; les vins bouillans faifoient bouillir ceux qui étoient placés au milieu de leur fphere d'activité, la variation de la chaleur fut de quatre à cinq degrés; & dans le lait elle fut de fept. Les huiles diftillées préfenterent les mêmes phénomenes & les mêmes réfultats.

L'huile de térébenthine commença à bouillir au cent vingt-cinquieme degré au-deffus de zéro, qui désigne le degré de l'eau bouillante, celui

(1) Si le thermometre employé par M. Braun, eft celui de M. de Lifle, les trentedeuxiemes degrés de ce thermometre correfpondent au cent foixante-treizieme degré de Fahrenheit, & à celui du quatre-vingt-huitieme de M. de Réaumur.

qui étoit contenu dans une petite bouteille, plongée dans le grand vaiffeau, commença à bouillir un peu après.

L'huile de ferpolet bouillit au cent cinquantieme degré au deffus de zéro, fuivant mon thermometre (1); l'ébullition de l'huile de fuccin fut fixée à peu près au même degré, & celle de l'huile de la petite bouteille. commença peu après.

[ocr errors]

Le pétrole diftillé eft entré en ébullition au cinquantieme degré audeffus de zéro; & dans toutes ces huiles, la chaleur a augmenté par la continuation de l'ébullition. Leur confiftance & leur couleur changeoient alors. Il ne m'a pas été poffible de remarquer exactement la différence des degrés de chaleur des huiles contenues dans les grands ou dans les petits vaiffeaux, ni de fpécifier parfaitement la précipitation avec laquelle le mercure montoit dans le thermometre. Je crois cependant pouvoir fixer cette différence entre quinze & vingt degrés (2)..

Il me reste à parler des épreuves faites dans les vaiffeaux fermés. Les phénomenes de la machine à papin montrent affez que l'eau eft fufceptible d'un degré de chaleur beaucoup plus confidérable dans les vaiffeaux fermés. Il eft conftant que les métaux, tels que le plomb, l'étain, &c. fe fondent à la chaleur de l'eau bouillante, par le moyen de cette machine. Perfonne n'ignore que l'eau bouillante eft fufceptible d'un degré de chaleur, en raifon de la plus ou moins forte preffion de l'athmofphere, & par conféquent l'élévation du mercure doit augmenter en même temps.

J'ai pas une bouteille dans laquelle j'ai mis de l'eau jufqu'au tiers de fa capacité, & un thermometre à mercure y a été plonge. Un cylindre d verre fut enfuite rempli d'eau & garni d'un femblable thermometre ;

fervoit de pieces de comparaifon. La bouteille fut bouchée & lutée avec de la pâte de farine: ces deux vaiffeaux furent placés fur des charbons peu ardens. L'eau contenue dans la bouteille commença bientôt après à bouillir: celle du cylindre, renfermée dans cette même bouteille ne donna encore aucun figne d'ébullition, & le mercure de fon thermometre n'étoit pas monté au point qui l'indique; il s'en falloit de deux

(1) Il auroit été a defirer que M. Braun eût indiqué de quel thermometre il parle, quand il l'appelle le fien. On ne peut entendre les degrés 125 & 150 pour être ceux du thermometre de M de Lifle, puifque fuivant les principes de cet Auteur, le terme de l'eau bouillante commence à zéro, & que les nombres vont en augmentant jufqu'à terme de la congellation. Le degré 150 de M. de Lifle répond à zéro de M. de Réaumur ; & celui de 125, au degré 18, où certainement l'huile queiconque ne fauroit bouillir. Si au contraire il s'est servi du thermometre de M.. de la Hire, le degré. rso correfpond au degré 75 de M. de Réaumur, & le point 125 au degré 60 ; ce qui parc't affez probable.

[ocr errors]

(2) Il feroit bien important d'avoir une détermination fixe : nous espérons que lês Phyficiens s'en occuperont ; & nous les prions de communiquer leurs procédés & leurs affultats.

:

degrés. Pendant cet intervalle, la chaleur de l'eau bouillante augmentoit de plus en plus; le mercure de fon thermometre étoit déjà parvenu à vingt degrés au-deffus de zéro ; & il feroit fans contredit monté beaucoup plus haut, fi les vapeurs ne s'étoient fait jour à travers le lur. Dans ce temps, l'eau contenue dans le cylindre qui étoit ouvert, commença à bouillir la même chofe eft arrivée à l'efprit-de-vin très-rectifié. Celui qui étoit contenu dans une bouteille lutée, a augmenté de chaleur pendant fon ébullition, & a fait bouillir une portion de la même liqueur contenue dans un petit cylindre placé dans la bouteille. Comme ces deux fluides font les feuls qui, à l'air libre, n'avoient pas pu communiquer leur ébullition, il feroit fuperflu de répéter les mêmes expériences fur les autres liqueurs, parce qu'il eft aifé de prévoir le même rapport dans le réfultat. De ces phénomenes, paffons aux conféquences qu'on peut en tirer.

On doit, autant qu'il eft poffible, remonter aux caufes pour trouver l'explication des effets, qui, dans cette circonftance, fe réduisent à deux points.

1o. Un fluide bouillant ne peut faire bouillir un autre fluide plongé dans le vaiffeau qui le contient. 2°. Un autre fluide produit un effet oppofé. L'eau & l'efprit-de-vin très-rectifié, éprouvés dans des vaiffeaux ouverts, font du premier genre; & toutes les autres liqueurs compofent le fecond. Comment peut-on rendre raifon de cette différence ? La caufe de l'eau & de l'efprit très- rectifié, confifte en ce que ces fluides retiennent conftamment, pendant leur ébullition, le même degré de chaleur. La différence qui eft entre l'eau bouillante & celle qui eft plongée dans le même vailleau, étant de neuf degrés, il s'en, fuit que l'eau contenue dans le petit vafe, ne fauroit parvenir au degré requis pour l'ébullition, ni par conféquent bouillir () à l'air ouvert & dans un vaiffeau non fermé. La raifon du phénomene de l'efpritde-vin très-rectifié eft la même. Cette liqueur, ainfi que l'eau, retient pendant fon ébullition, le même degré de chaleur. Or, comme la différence de la chaleur de l'efprit-de vin bouillant avec celle de celui qui ne boût pas, eft conftamment de quatre degrés, il eft vifible que ce dernier ne fauroit parvenir au degré de chaleur néceffaire à fon ébullition.

C'est par une raifon toute oppofée, que les mêmes fluides bouillent dans des vaiffeaux. fermés; ils contractent alors un degré de chaleur beaucoup plus confidérable, Il n'eft donc pas 'urprenant qu'ils commu niquent leur ébullition à ceux qu'ils environnent. L'eau, par exemple, peut alors être tellement échauffée par celle qui l'entoure, qu'elle par

(1) Il reste toujours à expliquer pourquoi cette différence de neuf degrés exifte;, & pourquoi elle eft conftante dans ces deux fluides, & non pas dans les autres..

vient au degré débullition; ce qui s'applique également à l'efprit-de-vin très-rectifié.

Les autres liquides que j'ai foumis aux mêmes expériences, ne fe foutiennent pas au même degré de chaleur pendant l'ébullition; mais plus celle-ci continue, plus l'autre augmente, parce que ces fluides font hétérogenes, & que leur confiftance change finguliérement pendant ce temps. Telle eft la raison pour laquelle ces liqueurs, en bouillant, font bouillir celles qui les environnent. Quoiqu'il y ait toujours une différence entre la chaleur du fluide environnant, & celle de celui qui eft environné; & que cette différence foit plus ou moins grande, fuivant la diverfité du fluide; cependant ce dernier peut acquérir, après un court intervalle le degré de chaleur requis pour fon ébullition, & doit bouillir en effet : par conféquent, on peut toujours prévoir & prédire les effets que produiront divers fluides; par exemple, fi les environnans feront bouillic ou non, les environnés. S'ils font hétérogenes, ils produiront le premier effet: fi, au contraire, ils font homogenes, & s'ils confervent pendant leur ébullition le même degré de chaleur, les fluides environnés ne parviendront jamais à l'ébullition.

C'est donc un étrange paradoxe, que les fluides bouillans ne communiquent pas à ceux qu'ils environnent leur propre degré de chaleur. Ona toujours regardé comme une loi univerfelle, que la chaleur des fluides eft la même que celle des cofps ambians. Le degré de chaleur indiqué par le thermometre fufpendu à l'air, paffe pour être de même que celui de l'air ambiant. Il en eft de même des autres fluides dans lesquels on plonge le thermometre ; & l'on croit communément que tous les corps expofés à l'air pendant un certain efpace de temps, fe mettent à la même température.

Il paroît réfuiter de ce qui vient d'être dit, que c'est mal à-propos qu'on regarde le degré de chaleur d'un fluide ou de tout autre corps en général, comme le même de celui du corps environné. Par conféquent, les thermometres n'indiquent jamais le degré de chaleur de l'air ou de tout autre fluide dans lequel on le plonge. Ainfi le degré défigné indique un peu moins de chaleur. Si cette différence eft conftante non-feulement dans les fluides bouillans, mais encore dans tous les autres degrés de température, entre le corps environnant & le corps environné, on peut & on doit même regarder comme une loi univerfelle que le corps environné a moins de chaleur

environnant.

que le

corps

On ne fauroit inférer cette loi générale de ces expériences, à moins de vouloir conclure du particulier au général : c'eft pourquoi j'ai pensé que c'étoit aux expériences à déterminer jufqu'à quel point elle pouvoir avoir lieu. J'ai enfin trouvé, après des effais plufieurs fois répétés, que cette loi n'eft pas univerfelle; mais qu'elle fe borne aux phéno

« PreviousContinue »