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En traits éclatants que Sapho S'inscrive au temple de Mémoire; Ses chants, moins discrets que l'histoire, De ses erreurs furent l'écho; Un vain délire a fait sa gloire : La tienne, aimable Sévigné, S'enorgueillit d'un plus beau titre; De ton cœur l'amour éloigné N'approcha point de ton pupître ; Ce cœur, épris des plus doux nœuds, Et bien plus aimant que rigide, Avoit à ses coups dangereux Opposé Grignan pour égide. Confus et soumis une fois, Le dieu reconnut sa foiblesse, Et de l'amitié par ta voix Reçut des leçons de tendresse.

Tu jouis de ces souvenirs Sans doute au sein de l'Elysée, Et la coupe des vrais plaisirs Par toi ne peut être épuisée. Lorsqu'à ton culte maternel Ta fille enfin n'est plus ravie, Tu t'applaudis du coup mortel Qui dans ses bras trancha ta vie; Sans regret tu fermas les yeux,

Cédant au mal contagieux

Dont tes soins l'avoient su défendre.
Heureux trépas! faveur des Dieux,
Qu'à jamais t'envie un cœur tendre!
Ici bas, où, trompant nos vœux,
L'amitié se montre infidèle,
Où se forment d'aimables nœuds
Que détruit l'absence cruelle ;
En ces lieux, séjour des regrets,
Que si peu le bonheur visite,
O Sévigné ! sois désormais,
Sois ma compagne favorite.
Seule, en secret, délasse-moi
D'un monde qui traîne après soi
Des ennuis que le sage ignore;
Et quand, plus loin de mon aurore,
Du temps je subirai la loi,
En te lisant, puissé-je encore
Apprendre à vieillir comme toi!
Mais, d'un hommage trop vulgaire
Devrois-je oser t'entretenir?
Ai-je pu même te l'offrir,

Et ne pas sembler téméraire ?
Si le Pinde a pu te vouer

Les honneurs de l'apothéose,

Je dois cesser de te louer

En vers moins heureux que ta prose.

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LETTRE PREMIÈRE.

De mademoiselle Marie DE RABUTIN-CHANTAL à MÉNAGE.

Paris.......

Je vous dis encore une fois que nous ne nous entendons point, et vous êtes bien heureux d'être éloquent, car, sans cela, tout ce que vous m'avez mandé ne vaudroit guère, quoique cela soit merveillensement bien arrangé; je n'en suis pourtant pas effrayée, et je sens ma conscience si nette de ce que vous me dites, que je ne perds pas espérance de vous faire connoître sa pureté. C'est pourtant une chose impossible, si vous ne m'accordez une visite d'une demi-heure; et je ne comprends pas par quel motif vous me la refusez si opiniâtrément. Je vous conjure, encore une fois, de venir ici; et, puisque vous ne voulez pas que ce soit aujourd'hui, je vous supplie que ce soit demain. Si vous n'y venez pas, peut-être ne me fermerez-vous pas votre porte, et je vous poursuivrai de si près, que vous serez contraint d'avouer que vous avez un peu de tort. Vous me voulez cependant faire passer pour ridicule, en me disant que vous n'êtes brouillé avec moi qu'à cause que vous êtes fâché de mon

départ; si cela étoit ainsi, je mériterois les PetitesMaisons et non pas votre haine; mais il y a toute différence, et j'ai seulement peine à comprendre que, quand on aime une personne et qu'on la regrette, il faille, à cause de cela, lui faire froid au dernier point les dernières fois qu'on la voit. Cela est une façon d'agir tout extraordinaire, et, comme je n'y étois pas accoutumée, vous devez excuser ma surprise. Cependant je vous conjure de croire qu'il n'y a pas un de ces anciens et nouveaux amis, dont vous me parlez, que j'estime ni que j'aime tant que vous; c'est pourquoi, devant que de vous perdre, donnez-moi la consolation de vous mettre dans votre tort, et de dire que c'est vous qui ne m'aimez plus.

2. ***

De la même au même.

CHANTAL.

Paris, jeudi.....

C'est vous qui m'avez appris à parler de votre amitié comme d'une pauvre défunte, car pour moi je ne m'en serois jamais avisée, en vous aimant

comme je fais. Prenez-vous-en donc à vous de cette vilaine parole qui vous a déplu; et croyez que jé ne puis avoir plus de joie que de savoir que vous conservez pour moi l'amitié que vous m'avez promise, et qu'elle est ressuscitée glorieusement. Adieu. Marie CHANTAL.

5. *

Du comte DE BUSSY-RABUTIN et de M. DE LENET, à M. et madame DE SÉVIGNÉ.

De commander que l'on s'amasse
Ou pour la pêche, ou pour la chasse;
Rouer de coups qui ne fait pas
Corvée de charrue ou de bras;
Donner à filer la poupée,
Où Madame n'est point trompée;
Car on rend ribaine-ribon,
Plus qu'elle ne donne, dit-on.
L'ordre vouloit riban-ribaine,
Mais d'ordre se rit notre veine;
Et pour rimer à ce dit-on,
Elle renverse le dicton.

Mars 1646.

Salut à vous, gens de campagne,
A vous, immeubles de Bretagne,
Attachés à votre maison

Au-delà de toute raison;
Salut à tous deux, quoique indignes
De nos saluts et de ces lignes;
Mais un vieux reste d'amitié
Nous fait avoir de vous pitié;
Voyant le plus beau de votre âge
Se passer dans votre village,
Et que vous perdez aux Rochers
Des moments à tous autres chers.
Peut-être que vos cœurs tranquilles,
Censurant l'embarras des villes,
Goûtent aux champs en liberté
Le repos et l'oisiveté;
Peut-être aussi que le ménage
Que vous faites dans le village,
Fait aller votre revenu

Où jamais il ne fût venu;

Ce sont raisons fort pertinentes,

D'être aux champs pour doubler ses rentes;
D'entendre là parler de soi
Conjointement avec le roi,

Soit aux jours, ou bien à l'église,
Où le prêtre dit à sa guise:

<< Nous prierons tous notre grand Dieu
» Pour le roi, et Monsieur du lieu;
>> Nous prierons aussi pour Madame,
>> Qu'elle accouche sans sage-femme;
>> Prions pour les nobles enfants
>> Qu'ils auront d'ici à cent ans.

» Si quelqu'un veut prendre la ferme,
>> Monseigneur dit qu'elle est à terme,
» Et que l'on s'assemble à midi;
>> Or, disons tous de profundi

>> Pour tous Messeigneurs ses ancêtres. »
(Quoiqu'ils soient en enfer peut-être.)
Certes, ce sont là des honneurs
Que l'on ne reçoit point ailleurs ;
Sans compter l'octroi de la fête;
De lever tant sur chaque bête;
De donner des permissions;
D'être chef aux processions;

4.

De madame la marquise DE SÉVIGNÉ au comte DE BUSSY-RABUTIN.

Ce 15 mars 1647.

Je vous trouve un plaisant mignon de ne m'avoir pas écrit depuis deux mois; avez-vous oublié qui je suis, et le rang que je tiens dans la famille? Ah! vraiment, petit cadet, je vous en ferai bien ressouvenir: si vous me fâchez, je vous réduirai au lambel. Vous savez que je suis sur la fin d'une grossesse, et je ne trouve en vous non plus d'inquiétude sur ma santé, que si j'étois encore fille. Eh bien! je vous apprends, quand vous en devriez enrager, que je suis accouchée d'un garçon, à qui je vais faire sucer la haine contre vous avec le lait, et que j'en ferai encore bien d'autres, seulement pour vous faire des ennemis : vous n'avez pas en l'esprit d'en faire autant : le beau faiseur de filles.

Mais c'est assez vous cacher ma tendresse, mon cher cousin; le naturel l'emporte sur la politique: j'avois résolu de vous gronder sur votre paresse, depuis le commencement jusqu'à la fin; je me fais trop de violence, et il en faut revenir à vous dire que M. de Sévigné et moi vous aimons fort, et que nous parlons souvent du plaisir qu'il y auroit d'être

avec vous.

3.*

Du comte DE BUSSY à madame DE SÉVIGNÉ.

A Valence, le 12 avril 1647.

Pour répondre à votre lettre du 15 mars, je vous dirai, Madame, que je m'aperçois que vous prenez

nne certaine habitude à me gourmander, qui a plus l'air de maîtresse que de cousine. Prenez garde à quoi vous vous engagez, car enfin, quand je me serai une fois bien résolu à souffrir, je voudrai avoir les douceurs des amans, aussi bien que les rudesses. Je sais que vous êtes chef des armes, et que je dois du respect à cette qualité; mais vous abusez un peu de mes soumissions. Il est vrai que vous êtes aussi prompte à vous apaiser qu'à vous mettre en colère, et que si vos lettres commencent par je vous trouve un plaisant mignon, elles finissent par nous vous aimons fort, M. de Sévigné et moi.

Au reste, ma belle cousine, je ne vous régale point sur la fécondité dont vous me menacez; car, depuis la loi de grâce, on n'en a pas plus d'estime pour une femme, et quelques modernes même, fondés en expérience, en ont fait moins de cas. Tenez-vous-en donc, si vous m'en croyez, au garcon que vous venez de faire; c'est une action bien lonable, et je vous avoue que je n'ai pas eu l'esprit d'en faire autant; aussi envié-je ce bonheur à M. de Sévigné plus que chose du monde.

J'ai fort souhaité que vous vinssiez tous deux à Paris quand j'y étois; mais, maintenant que j'en suis parti, je serois bien fâché que vous y allassiez; c'est-à-dire, que vous eussiez des plaisirs sans moi : vous n'en avez déjà que trop en Bretagne.

Je m'accommode fort de M. de Launay-Lyais; il recevra de moi toutes les assistances et tous les bons offices que je puis rendre à un de mes amis auprès de M. le prince. Il est honnête homme, et ma chère cousine me l'a recommandé; je vous laisse à penser si je le servirai!

6. **

Du même à M. et à madame DE SÉVIGNÉ.

A Paris, le 15 novembre 1648.

J'ai pensé d'abord écrire à chacun de vous en particulier, mais j'ai cru ensuite que cela me donneroit trop de peine, de faire ainsi des baisemens à l'um, dans la lettre de l'autre ; j'ai appréhendé que l'apostille ne l'offensât; de sorte que j'ai pris le parti de vous écrire à tous deux l'un portant l'autre.

La plus sûre nouvelle que j'aie à vous apprendre, c'est que je me suis fort ennuyé depuis que je ne vous ai vus. Il faut dire la vérité, je ne le prévoyois pas, quand je sortis d'auprès de vous. Au contraire, allant voir cette petite brune pour qui vous m'avez vu le cœur un peu tendre, je croyois que je ne songerois plus que vous fussiez au monde : cependant je m'étois trompé ; la petite brune m'avoit, ce qu'on appelle, sauté aux yeux; et je ne lui avois point encore parlé : c'est une beauté surprenante, de qui la conversation guérit: on peut dire que pour l'aimer, il ne la faut voir qu'un moment; car, si on la voit davantage, on ne l'aime plus. Voilà où j'en suis réduit.

Ainsi, c'est vous aujourd'hui
Qui causez tout mon ennui.

Mais j'oubliois de vous demander des nouvelles de la santé de notre cher oncle: je vous prie de l'entretenir toujours de propos joyeux; si vous ne le faites rire à gorge déployée, quand même il devroit tousser un peu, vous me désobligeriez fort. Dites-lui de ma part qu'il se conserve plus qu'il ne fait, et que, s'il ne se veut aimer pour lui, il s'aime pour nous autres neveux, qui l'aimons plus que nous-mêmes. Je n'en dirai pas davantage, de peur de perdre mes peines, et que cela ne servît de rien. Vous avez bien la mine, fripons que vous êtes, de lui cacher toutes les marques de mon bon naturel; de l'humeur dont je vous connois, vous enrageriez qu'on m'aimât autant, ou plus que vous.

Si vous ne revenez bientôt ici, je vous irai retrouver; aussi bien mes affaires ne se termineront qu'après les fêtes de Noël; mais gardez-vous de revenir l'un sans l'autre, car je ne serois pas homme à me payer de raison.

Depuis que je vous ai quittés, je ne mange presque plus. Vous, qui présumez de votre mérite, vous ne manquerez point de croire que le regret de votre absence me réduit à cette extrémité : point du tout; ce sont les soupes de messire Crochet qui me donnent du dégoût pour toutes les

autres.

7. **

Du même à madame DE SÉVIGNÉ.

A Saint-Denis, le 15 février 1649.

J'ai long-temps balancé à vous écrire, ne sachant si vous étiez devenue mon ennemie, ou si vous étiez toujours ma bonne cousine, et si je devais vous envoyer un laquais, ou un trompette. Enfin, me ressouvenant de vous avoir ouïe blåmer la brutalité d'Horace pour avoir dit à son beau-frère qu'il ne le connoissoit plus, depuis la guerre déclarée entre leurs républiques, j'ai cru que l'intérêt de votre parti ne vous empêcheroit pas de lire mes lettres; et pour moi, je vous assure que, hors le service du roi mon maître, je suis votre très-humble serviteur.

Ne croyez pas, ma chère cousine, que ce soit ici la fin de ma lettre; je vous veux dire encore deux mots de notre guerre. Je trouve qu'il fait bien froid pour faire garde. Il est vrai que le bois ne nous coûte rien ici, et que nous y faisons grande chère à bon marché avec tout cela il m'y ennuie fort; et, sans l'espérance de vous faire quelque plaisir au sac de Paris, et que vous ne passerez que par mes mains, je crois que je déserterois. Mais cette vue me fait prendre patience.

J'envoie ce laquais pour me rapporter de vos nouvelles, et pour me faire venir mes chevaux de carrosse, sous le nom de notre oncle le GrandPrieur. Adieu, ma chère cousine.

8. **

Du même à la méme.

A Saint-Denis, le 25 mars 1649.

C'est à ce coup que je vous traite en ennemie, Madame, en vous écrivant par mon trompette. La vérité est que c'est au maréchal de La Mothe que je l'envoie, pour le prier de me renvoyer les chevaux de carrosse du grand-prieur de France notre oncle, que ses domestiques ont pris, comme on me les amenoit. Je ne vous prie pas de vous y employer; car c'est votre affaire aussi bien que la mienne : mais nous jugerons, par le succès de votre entremisc, quelle considération on a pour vous

dans votre parti; c'est-à-dire, que nous aurons bonne opinion de vos généraux, s'ils font le cas qu'ils doivent de vos recommandations.

J'arrive présentement de notre expédition de Brie-Comte-Robert, las comme un chien. Il y a huit jours que je ne me suis déshabillé : nous sommes vos maîtres; mais il faut avouer que ce n'est pas sans peine. La guerre de Paris commence fort à m'ennuyer. Si vous ne mourez bientôt de faim, nous mourrons bientôt de fatigue; rendez-vous, ou nous allons nous rendre. Pour moi, avec tous mes autres maux, j'ai encore une extrême impatience de vous voir. Si M. le cardinal (Mazarin) avoit à Paris une cousine faite comme vous, je me trompe fort, ou la paix se feroit à quelque prix que ce fût; tant y a que je la ferois, moi, si j'étois à sa place, car, sur ma foi, je vous aime fort.

9.

Du même à la même.

A Saint-Denis, le 26 mars 1649.

Tant pis pour ceux qui vous ont refusé mes chevaux, ma belle cousine; je ne sais pas si cela leur fera grand profit; mais je sais bien que cela ne leur fait pas grand honneur. Pour moi, je suis tout consolé de cette perte, par les marques d'amitié que j'ai reçues de vous en cette rencontre. Pour M. de La Mothe, maréchal de la ligue, si jamais il avoit besoin de moi, il trouveroit un chevalier pen courtois.

Mais, parlons un peu de la paix; qu'en croit-on à Paris? L'on en a ici fort méchante opinion: cela est étrange que les deux partis la souhaitent, et qu'on n'en puisse venir à bout.

Vous m'appelez insolent de vous avoir mandé que nous avions pris Brie. Est-ce que l'on dit à Paris que cela n'est pas vrai? Si nous en avions levé le siége, nous aurions été bien inquiets; car pour vos généraux, ils ont eu toute la patience imaginable: nous aurions tort de nous en plaindre.

Voulez-vous que je vous parle franchement, ma belle cousine? comme il n'y a point de péril pour nous à courre avec vos gens, il n'y a point aussi d'honneur à gagner, ils ne disputent pas assez la partie ; nous n'y avons point de plaisir ; qu'ils se ren

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