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croirai que c'est vous qui vous ennuyez de lire mes lettres, et que vous vous trouvez fatigué d'y mais sur cela je vous promets enfaire réponse; core de faire mes lettres plus courtes, si je puis, et je vous quitte de la peine de me répondre, quoique j'aime encore vos lettres. Après ces déclarations, je ne pense pas que vous espériez d'empêcher le cours de mes gazettes. Quand je songe que je vous fais un peu de plaisir, j'en ai beaucoup. Il se présente si peu d'occasions de témoigner son estime et son amitié, qu'il ne faut pas les perdre quand elles viennent s'offrir. Je vous supplie de faire tous mes compliments chez vous et dans votre voisinage. La reine est bien mieux.

36.

Au même.

Le lundi 24 novembre 1664.

Si j'en croyois mon cœur, c'est moi qui vous suis véritablement obligée de recevoir si bien le soin que je prends de vous instruire. Croyez-vous que je ne trouve point de consolation en vous écrivant? Je vous assure que j'y en trouve beaucoup, et que je n'ai pas moins de plaisir à vous entretenir que vous en avez à lire mes lettres. Tous les sentiments que vous avez sur ce que je vous mande sont bien naturels; celui de l'espérance est commun à tout le monde, sans que l'on puisse dire pourquoi; mais enfin cela soutient le cœur. Je fus dîner à Sainte-Marie de Saint-Antoine, il y a deux jours; la mère supérieure me conta en détail quatre visites que Puis... lui a faite depuis trois mois, et dont je suis infiniment étonnée. Il lui vint dire que le bienheureux évêque de Genève (St. François de Sales) lui avoit obtenu des grâces si particulières pendant la maladie qu'il a eue cet été, qu'il ne pouvoit douter de l'obligation qu'il lui avoit; qu'il la supplioit de faire prier pour lui toute la communauté. Il lui donna mille écus pour accomplir son vou; il la pria de lui faire voir le cœur du bienheureux. Quand il fat à la grille il se jeta à genoux, et fut plus d'un quart d'heure fondu en larmes, apostrophant ce cœur, lui demandant une étincelle du feu dont

l'amour de Dieu l'avoit consumé. La mère supé rieure pleuroit de son côté : elle lui donna des reliques du bienheureux. Il les porte incessamment. Il parut pendant ces quatre visites si touché du désir de son salut, si rebuté de la cour, si transporté de l'envie de se convertir, qu'une plus fine que la supérieure y auroit été trompée. Elle lui parla adroitement de l'affaire de M. Fouquet; il lui répondit, comme un homme qui ne regardoit que Dieu seul, qu'on ne le connoissoit point, qu'on lui verroit, et qu'on lui feroit justice, selon Dieu, sans rien considérer que lui. Je ne fus jamais plus surprise que d'entendre tout ce discours. Si vous me demandez maintenant ce que j'en pense, je vous dirai que je n'en sais rien, que je n'y comprends rien, et que d'un côté je ne conçois pas à quoi peut servir cette comédie, et si ce n'en est pas une, comment il accommode tous les pas qu'il a faits depuis ce temps avec de si belles paroles.

Voilà de ces choses qu'il faut que le temps explique, car d'elles-mêmes elles sont obscures: cependant n'en parlez pas; car la mère supérieure m'a priée de ne pas faire courir cette petite histoire.

J'ai vu la mère de M. Fouquet: elle me conta de quelle façon elle avoit fait donner cet emplâtre par madame de Charost à la reine. Il est certain que l'effet en fut prodigieux; en moins d'une heure, la reine sentit sa tête dégagée, et il se fit une évacuation si extraordinaire, et de quelque chose de si corrompu, et de si propre à la faire mourir la nuit suivante dans son accès, qu'ellemême dit tout haut que c'étoit madame Fouquet qui l'avoit guérie; que c'étoit ce qu'elle avoit vidé qui lui avoit donné les convulsions dont elle avoit pensé mourir la nuit d'auparavant. La reine-mère en fut persuadée, et le dit au roi, qui ne l'écouta pas. Les médecins, sans qui on avoit mis l'emplâtre, ne dirent point ce qu'ils en pensoient, et firent leur cour aux dépens de la vérité. Le même jour le roi ne regarda pas ces pauvres femmes qui furent se jeter à ses pieds; cependant cette vérité est dans le cœur de tout le monde. Voilà encore une de ces choses dont il faut attendre la suite.

(Mercredi 26 novembre.)

Ce matin M. le chancelier a interrogé M. Fouquet; mais sa manière a été différente; il semble qu'il soit honteux de recevoir tous les jours sa leçon par B....... Il a dit au rapporteur de lire l'article sur quoi on vouloit interroger l'accusé ; le rapporteur a lu, et cette lecture a duré si long-temps qu'il étoit dix heures et demie quand on eut fini. Il a dit : Qu'on fasse entrer Fouquet, et puis s'est repris, M. Fouquet; mais il s'est trouvé qu'il n'avoit point dit qu'on le fit venir, de sorte qu'il étoit encore à la Bastille. On l'est donc allé quérir; il est venu à onze heures. On l'a interrogé sur les octrois : il a fort bien répondu; pourtant il s'est allé embrouiller sur certaines dates, sur lesquelles on l'auroit bien embarrassé, si on avoit été bien habile et bien éveillé; mais, au lieu d'être alerte, M. le chancelier sommeilloit doucement: on se regardoit, et je pense que notre ami en auroit ri, s'il avoit osé. Enfin il s'est remis, et a continué d'interroger; et, quoique M. Fouquet ait trop appuyé sur cet endroit où on le pouvoit pousser, i s'est trouvé pourtant que par l'événement il aura bien dit; car dans son malheur, il a de certains petits bonheurs qui n'appartiennent qu'à lui. Si l'on travaille tous les jours aussi doucement qu'aujourd'hui, le procès durera encore un temps infini. Je vous écrirai tous les soirs; mais je n'enverrai ma lettre que le samedi au soir ou le dimanche ; elle vous rendra compte de jeudi, vendredi et samedi; et il faudroit que l'on pût vous en faire tenir encore une le jeudi qui vous apprendroit le lundi, mardi et mercredi ; ainsi les lettres n'attendroient pas long-temps chez vous. Je vous conjure de faire mes compliments à votre solitaire et à votre chère moitié. Je ne vous dis rien de votre chère voisine, ce sera bientôt à moi à vous en donner des nouvelles.

37.

Au méme.

Du jeudi 27 novembre 1664.

On a continué aujourd'hui les interrogatoires sur les octrois. M. le chancelier avoit bonne inten

tion de pousser M. Fouquet aux extrémités, et de l'embarrasser; mais il n'en est pas venu à bout. M. Fouquet s'est fort bien tiré d'affaire, il n'est entré qu'à onze heures, parce que M. le chancelier a fait lire le rapporteur, comme je vous l'ai mandé; et, malgré toute cette belle dévotion, il disoit tout le pis contre notre pauvre ami. Le rapporteur prenoit toujours son parti, parce que le chancelier ne parloit que pour un côté ; enfin il a dit : Voici un endroit sur quoi l'accusé ne pourra pas répondre. Le rapporteur a dit : Ah! monsieur, pour cet endroit-là, voici l'emplâtre qui le guérit; et a dit une très-forte raison, et puis il a ajouté : Monsieur, dans la place où je suis, je dirai toujours la vérité, de quelque manière qu'elle se ren

contre.

On a souri de l'emplâtre, qui a fait souvenir de celui qui a fait tant de bruit. Sur cela on a fait entrer l'accusé, qui n'a pas été une heure dans la chambre; et en sortant, plusieurs ont fait compliment à d'Ormesson de sa fermeté.

Il faut que je vous conte ce que j'ai fait. Imaginez-vous que des dames m'ont proposé d'aller dans une maison qui regarde droit dans l'arsenal', pour voir revenir notre pauvre ami. J'étois masquée, je l'ai vu venir d'assez loin. M. d'Artagnan étoit auprès de lui; cinquante mousquetaires à trente ou quarante pas derrière. Il paroissoit assez rêveur. Pour moi, quand je l'ai aperçu, les jambes m'ont tremblé, et le cœur m'a battu si fort, que je n'en pouvois plus; en s'approchant de nous pour rentrer dans son trou, M. d'Artagnan l'a poussé, et lui a fait remarquer que nous étions là. Il nous a donc saluées, et a pris cette mine riante que vous lui connoissez. Je ne crois pas qu'il m'ait reconnue; mais je vous avoue que j'ai été étrangement saisie, quand je l'ai vu entrer dans cette petite porte. Si vous saviez combien on est malheureux quand on a le cœur fait comme je l'ai, je suis assurée que vous auriez pitié de moi; mais je pense que vous n'en êtes pas quitte à meilleur marché, de la manière dont je vous connois. J'ai été voir votre chère voisine; je vous plains autant de ne l'avoir plus, que nous nous trouvons heureux de l'avoir. Nous avons bien parlé de notre cher ami, elle a vu Sapho (mademoiselle de Scuderi qui lui a redonné du courage. Pour moi j'irai demain en reprendre chez elle; car de temps en temps je

sens que j'ai besoin de réconfort; ce n'est pas l'on ne dise mille choses qui doivent donner que de l'espérance; mais, mon Dieu ! j'ai l'imagination si vive, que tout ce qui est incertain me fait mourir.

Vendredi 28 novembre.

Dès le matin, on est entré à la chambre. M. le chancelier a dit qu'il falloit parler des quatre prêts; sur quoi d'Ormesson a dit que c'étoit une affaire de rien, et sur laquelle on ne pouvoit rien reprocher à M. Fouquet; qu'il l'avoit dit dès le commencement du procès. On a voulu le contredire il a prié qu'il pût expliquer la chose comme il la concevoit, et a prié son camarade de l'écouter. On l'a fait, et il a persuadé la cour que cet article n'étoit pas considérable. Sur cela on a dit de faire entrer l'accusé: il étoit onze heures. Vous remarquerez qu'il n'est pas plus d'une heure sur la sellette. M. le chancelier a voulu parler de ces quatre prêts. M. Fouquet a prié qu'on voulût lui laisser dire ce qu'il n'avoit pas dit la veille sur les octrois; on l'a écouté, il a dit des merveilles ; et comme le chancelier lui disoit : « Avez-vous eu >> votre décharge de l'emploi de cette somme? » Il a dit : « Oui, Monsieur, mais ç'a été conjointe>>ment avec d'autres affaires », qu'il a marquées, et qui viendront en leur temps. Mais, a dit M. le chancelier, quand vous avez eu vos décharges, vous n'aviez pas encore fait la dépense? Il est vrai, a-t-il dit, mais les sommes étoient destinées. Ce n'est pas assez, a dit M. le chancelier. Mais, Monsieur, par exemple, a dit M. Fouquet, quand je vous donnois vos appointements, quelquefois j'en avois la décharge un mois auparavant ; et comme cette somme étoit destinée, c'étoit comme si elle eût été donnée. M. le chancelier a dit : il est vrai, je vous en avois l'obligation. M. Fouquet a dit que ce n'étoit pas pour le lui reprocher, qu'il se trouvoit heureux de le pouvoir servir dans ce tempslà; mais que les exemples lui revenoient, selon qu'il en avoit besoin.

On ne rentrera que lundi. Il est certain qu'il semble qu'on veuille trainer l'affaire en longueur. Puis... a promis de faire parler l'accusé le moins qu'il pourroit. On trouve qu'il dit trop bien. On voudroit donc l'interroger légèrement, et ne pas parler sur tous les articles. Mais lui, il veut parler

sur tous, et ne veut pas qu'on juge son procès sur des chefs sur lesquels il n'aura pas dit ses raisons. Puis... est toujours en crainte de déplaire à Petit. Il lui fit excuse l'autre jour de ce que M. Fouquet avoit parlé trop long-temps, mais qu'il n'avoit pu l'interrompre. Ch... est derrière le paravent quand on interroge; il écoute ce que l'on dit, et offre d'aller chez les juges leur rendre compte des raisons qu'il a eues de faire ses conclusions si extrêmes. Tout ce procédé est contre l'ordre, et marque une grande rage pour ce pauvre malheureux. Pour moi, je vous avoue que je n'ai plus aucun repos. Adieu, Monsieur : jusqu'à lundi : je voudrois que vous puissiez connoître les sentiments que j'ai pour vous, vous seriez persuadé de cette amitié que vous dites que vous estimez un peu.

38.

Au même.

(Lundi 1" décembre 1664.)

Il y a deux jours que tout le monde croyoit que l'on vouloit tirer l'affaire de M. Fouquet en longueur; présentement ce n'est plus la même chose, c'est tout le contraire: on presse extraordinairement les interrogations. Ce matin, M. le chancelier a pris son papier, et a lu, comme une liste, dix chefs d'accusation, sur quoi il ne donnoit pas le temps de répondre. M. Fouquet a dit : « Mon» sieur, je ne prétends pas tirer les choses en >> longueur; mais je vous supplie de me donner le » loisir de vous répondre; vous m'interrogez, et il » semble que vous ne vouliez pas écouter ma » réponse il m'est important que je parle. Il y a >> plusieurs articles qu'il faut que j'éclaircisse, et il » est juste que je réponde à tous ceux qui sont dans » mon procès. » Il a donc fallu l'entendre, contre le gré des malintentionnés; car il est certain qu'ils ne sauroient souffrir qu'il se défende si bien. Il a fort bien répondu sur tous les chefs: on continuera de suite, et la chose ira si vite, que je compte que les interrogations finiront cette semaine. Je viens de souper à l'hôtel de Nevers; nous avons bien causé, la maîtresse du logis et moi, sur ce chapitre. Nous sommes dans des inquiétudes qu'il n'y

a que vous qui puissiez comprendre, car je viens de recevoir votre lettre : elle vaut mieux que tout ce que je puis écrire. Vous mettez ma modestie à une trop grande épreuve, en me mandant de quelle manière je suis avec vous et avec votre cher solitaire. Il me semble que je le vois et que je l'entends dire ce que vous me mandez: je suis au désespoir que ce ne soit pas moi qui aie dit : La mètamorphose de Pierrot en Tartufe. Cela est si naturellement dit, que si j'avois autant d'esprit que vous m'en croyez, je l'aurois trouvé au bout de ma plume.

Il faut que je vous conte une petite historiette, qui est très-vraie, et qui vous divertira. Le roi se êle depuis peu de faire des vers : messieurs de Saint-Aignan et Dangeau lui apprennent comment il faut s'y prendre. Il fit l'autre jour un petit madrigal, que lui-même ne trouva pas trop joli. Un matin, il dit au maréchal de Grammont: M. le maréchal, lisez, je vous prie, ce petit madrigal, et voyez si vous en avez jamais vu un si impertinent parce qu'on sait que 'depuis peu j'aime les vers, on m'en apporte de toutes les façons. Le maréchal, après avoir lu, dit au roi : Sire, votre majesté juge divinement bien de toutes choses; il est vrai que voilà le plus sot et le plus ridicule madrigal que j'aie jamais lu. Le roi se mit à rire, et lui dit: N'est-il pas vrai que celui qui l'a fait est bien fat? Sire, il n'y a pas moyen de lui donner un autre nom. Oh! bien! dit le roi, je suis ravi que vous m'en ayez parlé si bonnement: c'est moi qui l'ai fait. Ah! sire, quelle trahison! que votre majesté me le rende: je l'ai lu brusquement. Non, M. le maréchal; les premiers sentiments sont toujours les plus naturels. Le roi a fort ri de cette folie, et tout le monde trouve que voilà la plus cruelle petite chose que l'on puisse faire à un vieux courtisan. Pour moi, qui aime toujours à faire des réflexions, je voudrois que le roi en fit là-dessus, et qu'il jugeât par-là combien il est loin de connoitre jamais la vérité. Nous sommes sur le point d'en avoir une bien cruelle, qui est le rachat de nos rentes sur un pied qui nous envoie à l'hôpital. L'émotion est grande, mais la dureté l'est encore plus. Ne trouvez-vous point que c'est entreprendre bien des choses à la fois? Celle qui me touche le plus n'est pas celle qui me fait perdre une partie de mon bien.

Mardi 2 décembre.

Notre cher et malheureux ami a parlé deux heures ce matin, mais si admirablement, que plusieurs n'ont pu s'empêcher de l'admirer. M. Renard a dit, entre autres: « Il faut avouer que cet » homme est incomparable; il n'a jamais si bien » parlé dans le parlement, il se possède mieux » qu'il n'a jamais fait. » C'étoit encore sur les six millions et sur ses dépenses. Il n'y a rien de com parable à ce qu'il a dit là-dessus. Je vous écrirai jeudi et vendredi, qui seront les deux derniers jours de l'interrogation, et je continuerai encore jusqu'au bout.

Dieu veuille que ma dernière lettre vous apprenne ce que je souhaite le plus ardemment. Adieu, mon très-cher Monsieur; priez notre solitaire (Arnauld d'Andilly) de prier Dieu pour notre pauvre ami. Je vous embrasse tous deux de tout mon cœur, et, par modestie, j'y joins madame votre femme.

Pour toute la famille du malheureux, la tranquillité y règne. On dit que M. de Nesmond a témoigné en mourant que son plus grand déplaisir étoit de n'avoir pas été d'avis de la récusation de ces deux juges; que s'il eût été à la fin du procès, il auroit réparé cette faute; qu'il prioit Dieu qu'il lui pardonnât celle qu'il avait faite.

Mardi 3 décembre.

M. Fouquet a parlé aujourd'hui deux heures entières sur les six millions; il s'est fait donner audience, il a dit des merveilles; tout le monde en étoit touché, chacun selon son sentiment. Pussort faisoit des mines d'improbation et de négative, qui scandalisoient les gens de bien.

Quand M. Fouquet a eu cessé de parler, M. Pussort s'est levé impétueusement, et a dit : « Dieu >> merci, on ne se plaindra pas qu'on ne l'ait laissé » parler tout son saoûl. Que dites-vous de ces paroles? Ne sont-elles pas d'un bon juge? On dit que le chancelier est fort effrayé de l'érysipèle de M. de Nesmond, qui l'a fait mourir; il craint que ce ne soit une répétition pour lui. Si cela pouvoit lui donner les sentiments d'un homme qui va paroître devant Dieu, encore seroit-ce quelque chose; mais il faut craindre qu'on ne dise de lui comme d'Argant c mori come visse.

59.

Au même.

Jeudi 4 décembre 1064.

Enfin les interrogations sont finies ce matin. M. Fouquet est entré dans la chambre; M. le chancelier a fait lire le projet tout du long. M. Fouquet a repris la parole le premier, et a dit: Monsieur, je crois que vous ne pouvez tirer autre chose de ce papier, que l'effet qu'il vient de faive, qui est de me donner beaucoup de confusion. M. le chancelier a dit: Cependant vous venez d'entendre, et vous avez pu voir par-là que cette grande passion pour l'état, dont vous nous avez parlé tant de fois, n'a pas été si considérable que vous n'ayez pensé à le brouiller d'un bout à l'autre. Monsieur, a dit M. Fouquet, ce sont des pensées qui me sont venues dans le fort du désespoir où me mettoit quelquefois M. le cardinal, principalement lorsqu'après avoir contribué plus que personne du monde à son retour en France, je me vis payé d'une si noire ingratitude. J'ai une le.tre de lui et une de la reine-mère, qui font foi de ce que je dis; mais on les a prises dans mes papiers, avec plusieurs autres. Mon malheur est de n'avoir pas brûlé ce misérable papier, qui étoit tellement hors de ma mémoire et de mon esprit, que j'ai été près de deux ans sans y penser, et sans croire l'avoir. Quoi qu'il en soit, je le désavoue de tout mon cœur, et je vous supplie de croire, Monsieur, que ma passion pour la personne et pour le service du roi n'en a pas été diminuée. M. le chancelier a dit: Il est bien difficile de le croire, quand on voit une pensée opiniâtre exprimée en différents temps. M. Fouquet a répondu Monsieur, dans tous les temps, et même au péril de ma vie, je n'ai jamais abandonné la personne du roi; et dans ce temps-là vous étiez, Monsieur, le chef du conseil de ses ennemis, et vos proches donnoient passage à l'armée qui étoit contre lui.

M. le chancelier a senti ce coup; mais notre pauvre ami étoit échauffé, et n'étoit pas tout-à-fait le maître de son émotion. Ensuite on lui a parlé de ses dépenses; il a dit : Je m'offre à faire voir que je n'en ai fait aucune que je n'aie pu faire, soit par mes revenus, dont M. le cardinal avoit connoissance, soit par mes appointements, soit par le bien de ma femme; et si je ne prouve ce que je dis, je

consens d'être traité aussi mal qu'on le peut imaginer. Enfin cet interrogatoire a duré deux heures, où M. Fouquet a très-bien dit, mais avec chaleur et colère, parceque la lecture de ce projet l'avoit extrêmement touché.

Quand il a été parti, M. le chancelier a dit : Voici la dernière fois que nous l'interrogerons. M. Poncet s'est approché de M. le chancelier, et lui a dit : Monsieur, vous ne lui avez pas parlé des preuves qu'il y a, comme il a commencé à exécuter le projet. M. le chancelier a répondu Monsieur, elles ne sont pas assez fortes, il y auroit répondu trop facilement. Là-dessus, Sainte-Hélène et Pussort ont dit : Tout le monde n'est pas de ce sentiment. Voilà de quoi rêver et faire des reflexions. A demain le reste.

Vendredi 5 décembre.

On a parlé ce matin des requêtes, qui sont de peu d'importance; sinon autant que les gens de bien y voudront avoir égard en jugement. Voilà qui est donc fait; c'est à M. d'Ormesson à parler; il doit récapituler toute l'affaire : cela durera encore toute la semaine prochaine, c'est-à-dire, qu'entre ceci et là, ce n'est pas vivre que la vie que nous passerons. Pour moi, je ne suis pas reconnoissable, et je ne crois pas que je puisse aller jusque-là. M. d'Ormesson m'a priée de ne le plus voir que l'affaire ne soit jugée; il est dans le conclave, et ne veut plus avoir de commerce avec le monde. Il affecte une grande réserve; il ne parle point, mais il écoute; et j'ai eu le plaisir, en lui disant adieu, de lui dire tout ce que je pense. Je vous manderai tout ce que j'apprendrai. Hé! Dieu veuille que ma dernière nouvelle soit bonne! je la désire. Je vous assure que nous sommes tous à plaindre, j'entends vous et moi, et ceux qui en font leur affaire comme nous. Adieu, mon cher Monsieur, je suis si triste et si accablée ce soir, que je n'en puis plus.

40.

Au même.

Mardi 9 décembre 1664.

Je vous assure que ces jours sont bien longs à passer, et que l'incertitude est une épouvantable

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